FENTANYL PAR VOIE BUCCALE - L'Infirmière Magazine n° 327 du 15/07/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 327 du 15/07/2013

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

Mme M., 91 ans est hospitalisée en soins de suite le 8/11 pour ischémie dépassée du membre inférieur gauche et amputation refusée par la patiente et sa famille. La patiente présente également une polyarthrose, une hypertension artérielle, un diabète de type 2, une fibrillation auriculaire et un zona récent. La patiente reçoit de la Prégabaline 75mg (Lyrica®) pour traiter ses douleurs neuropathiques et du Durogesic 50µg/h (Fentanyl en patch).

Au cours de son hospitalisation, un ajustement du traitement hypoglycémique est réalisé ainsi qu’une correction de l’anémie (Hemoglobinémie à 9,3 g/dl) le 13/11 par transfusion. A cette même date, devant la persistance de la douleur, est prescrit en complément Effentora® 100mg (Fentanyl en comprimé buccal) à raison de quatre comprimés par jour si besoin.

Le 23/11, lors du renouvellement de la dotation en Effentora® 100µg, la pharmacie en dispense sept comprimés de 400µg par erreur. Le cadre de santé ne détecte pas l’erreur et met à disposition les sept comprimés dans le coffre du service de soins.

Le 29/11, la pharmacie, en faisant l’inventaire hebdomadaire de son coffre à stupéfiants, découvre l’erreur, prévient le service et constate, lorsqu’elle se rend dans l’unité de soins pour récupérer les comprimés, qu’ils ne sont plus dans le stock. Il est conclu que les sept comprimés ont été administrés à Mme M., seule patiente du service à recevoir ce médicament. Le médecin de la patiente ne relève pas de signes de surdosage, outre une somnolence plus marquée qu’à l’accoutumée. Aucune conséquence n’a été relevée durant le suivi effectué pendant plusieurs jours. Ce traitement est maintenu jusqu’à la sortie de la patiente, le 16/01/2013.

QUE S’EST-IL-PASSÉ ?

Une analyse des causes révèle que le point de départ de l’erreur est situé à la pharmacie, lors de la dispensation. Cette inadvertance n’a pas été corrigée malgré les points de contrôle en place prévus dans le circuit du médicament. De plus, le mauvais dosage a été administré sept jours consécutifs. En effet, dans l’unité de soins, le coffre a été vérifié quotidiennement entre le 23 et le 29/11.

Lors de l’administration, le relevé nominatif a été complété et la validation de l’administration a été systématiquement réalisée. À l’évidence, la procédure n’a pas été suivie en termes de contrôle effectif du médicament, et chaque intervenant de la chaîne a (trop) fait confiance à l’intervenant précédent, rendant les contrôles suivants virtuels. Des facteurs favorisants l’erreur ont été identifiés : le conditionnement identique entre les deux dosages n’a pas attiré l’attention des soignants, comme l’existence d’un seul dosage dans le coffre de l’unité.

2. RAPPELS : LE FENTANYL PAR VOIE TRANSMUQUEUSE 

Le Fentanyl, est un dérivé de la phénylpipéridine (Pethidine) agoniste morphinomimétique pur, il agit essentiellement sur le récepteur morphinique mu. Plusieurs spécialités de Fentanyl transmuqueux existent (Actiq, Abstral, Instanyl, PecFent). Celle qui a été utilisée dans le cas présent est Effentora®, présentée sous forme de comprimés buccaux.

Indications

Effentora® est indiqué pour traiter les accès douloureux paroxystiques chez des patients adultes ayant un cancer et recevant déjà un traitement de fond morphinique pour des douleurs chroniques d’origine cancéreuse. Les effets thérapeutiques principaux sont l’analgésie et la sédation.

Contre-indications

Hypersensibilité au Fentanyl, patients non traités par un traitement de fond morphinique, en raison d’un risque accru de dépression respiratoire ; dépression respiratoire sévère ou obstruction sévère des voies aériennes ; traitement de la douleur aiguë autre que les accès douloureux paroxystiques.

Posologie et précautions d’emploi

Ce médicament, classé stupéfiant, fait l’objet d’une prescription limitée à 28 jours et d’une délivrance limitée à 7 jours. Cinq dosages sont disponibles (100, 200, 400, 600 et 800 µg).

Les effets analgésiques du Fentanyl sont dose-dépendant. Il existe une grande variation interindividuelle du taux de développement d’une tolérance morphinique. Par conséquent, la titration de la dose de ce médicament permettant d’obtenir l’effet recherché doit être réalisée pour chaque patient. Le Fentanyl est considéré comme 100 fois plus puissant que la morphine. Peu utilisée, la naloxone (Narcan®) est son antidote.

Après administration par voie buccale transmuqueuse, le Fentanyl est rapidement absorbé avec une biodisponibilité absolue de 65 %. Celle-ci est 30 à 50 % supérieure aux autres formes buccales. De ce fait, chez les patients passant d’une autre forme orale de citrate de fentanyl à ce médicament, la titration de la dose doit être réalisée.

Le soulagement des accès douloureux paroxystiques débute dès 10 à 15 minutes après l’administration du médicament.

Les patients doivent placer un comprimé immédiatement dans la cavité buccale (près d’une molaire entre la joue et la gencive) pendant 14 à 25 minutes. Le comprimé peut également être placé sous la langue. Après trente minutes, s’il reste des morceaux de comprimé, il est possible de les avaler avec un verre d’eau.

Le comprimé ne doit pas être sucé, mâché ou avalé, car les concentrations plasmatiques seraient alors inférieures à celles obtenues lors de l’utilisation selon les instructions.

Lorsqu’un comprimé se trouve dans la cavité buccale, les patients ne doivent ni boire ni manger. En cas d’irritation des muqueuses buccales, il est recommandé de changer l’emplacement du comprimé.

Effets indésirables

Les effets indésirables majeurs sont la dépression respiratoire, la bradycardie, l’hypothermie, la constipation, le myosis, la dépendance physique et l’euphorie. Le risque de dépression respiratoire est moindre chez les patients qui reçoivent un traitement morphinique de fond, car ces patients développent une tolérance à la dépression respiratoire.

Interactions médicamenteuses

Des interactions peuvent survenir en cas d’administration concomitante de fentanyl avec ritonavir, kétoconazole, itraconazole, troléandomycine, clarithromycine, et nelfinavir, amprénavir, aprépitant, diltiazem, érythromycine, fluconazole, fosamprénavir, jus de pamplemousse, et vérapamil en augmentant les concentrations plasmatiques de Fentanyl, ce qui pourrait entraîner des effets indésirables graves, y compris une dépression respiratoire. Les patients recevant ce médicament en même temps que des inhibiteurs modérés ou puissants du CYP3A4 doivent faire l’objet d’une surveillance étroite pendant une période prolongée. L’augmentation posologique doit être réalisée avec prudence.

L’administration concomitante de ce médicament et d’autres dépresseurs du SNC (autres morphiniques, sédatifs ou hypnotiques, anesthésiques généraux, phénothiazines, tranquillisants, myorelaxants, antihistaminiques sédatifs ou alcool) peut potentialiser les effets dépresseurs de chaque produit.

L’utilisation concomitante d’antalgiques morphiniques agonistes/antagonistes partiels (exemples : buprénorphine, nalbuphine, pentazocine) n’est pas recommandée. En effet, ils possèdent une forte affinité pour les récepteurs morphiniques et antagonisent partiellement l’effet analgésique du Fentanyl, pouvant ainsi induire un syndrome de sevrage chez les patients dépendants aux opioïdes.

Compte tenu qu’une potentialisation sévère et imprévisible, Effentora® est contre-indiqué chez les patients ayant reçu des IMAO dans les 14 jours précédant la prise de ce médicament.

> Pendant la grossesse, Fentanyl ne doit pas être utilisé, sauf en cas d’une nécessité absolue, ni pendant l’allaitement.

3. EN PRATIQUE

Suite à l’analyse des causes de l’erreur relatées ci-dessus, des mesures d’amélioration ont été mises en place :

pour la pharmacie : un changement dans le rangement du coffre évitant la proximité des médicaments similaires de dosages différents ; une modification des feuilles de renouvellement de dotation de manière à renforcer le contrôle au moment de la dispensation par le pharmacien et le cadre de santé.

dans le service de soins : un rappel de la procédure en vigueur aux IDE en insistant sur les phases de contrôles en particulier au moment de l’administration « dernier verrou de sécurité ».

La procédure insiste sur la réalisation d’un contrôle général du coffre à chaque changement d’équipe et le contrôle de concordance entre la prescription et le médicament administré (nom, dosage, forme et quantité) au moment de l’administration.

VIGILANCE

Cet incident, heureusement exceptionnel, montre que même sur un circuit aussi suivi que celui des médicaments stupéfiants, les erreurs sont possibles et nécessitent une vigilance continue. Même si de nombreux contrôles sont institués, chaque intervenant doit considérer qu’il est le seul et ne doit tenir compte ni des contrôles ni des intervenants précédents. Cela permet de réaliser un contrôle effectif et efficace garantissant la sécurité des traitements administrés au patient.