« Comprendre l’étiologie de l’acte » - L'Infirmière Magazine n° 327 du 15/07/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 327 du 15/07/2013

 

ADOS AUTEURS DE VIOLENCES SEXUELLES

RÉFLEXION

Samuel Lemitre, psychologue et criminologue, présente le dispositif créé pour prendre en charge les adolescents abuseurs sexuels, au centre medico-pscyhologique de la Garenne-Colombes.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Pouvez-vous présenter la consultation pour adolescents responsables de violences sexuelles mise en place au centre de la Garenne-Colombes ?

SAMUEL LEMITRE : Cette consultation a été ouverte il y a douze ans à l’initiative du Dr Roland Coutanceau, psychiatre et responsable de l’antenne de psychiatrie et de psychologie légales du CMP de la Garenne-Colombes. La prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles est relativement récente en France, et reste source de nombreux questionnements et difficultés pour les professionnels. Éducateurs comme soignants nous le disent : ils sont mal à l’aise face aux troubles de la sexualité. Quand il s’agit, qui plus est, d’adolescents, très rarement demandeurs de soins, souvent instables, inhibés, opposants, la difficulté est encore plus grande. L’objectif était donc de créer un lieu de soins adapté pour ces jeunes. Un espace de prise en charge n’excluant, qui plus est, aucune grille de lecture – que celle-ci soit psychologique, psychiatrique, criminologique, sexologique, familiale… Et qui soit non sectorisé, car dans nombre de régions, les lieux de prise en charge manquent et/ou ne sont pas adaptés.

Aujourd’hui, nous sommes quatre psychologues cliniciens à exercer au sein de cette consultation. Les jeunes que nous accueillons sont des garçons, pour la plupart âgés de 13 à 15 ans (en douze ans, nous n’avons pris en charge que deux filles inculpées pour agression sexuelle). Certains sont parfois plus âgés (16-18 ans), ou plus jeunes (9-13 ans). Nous recevons la majorité d’entre eux dans le cadre d’une obligation de soins, qu’ils soient condamnés à une peine de sursis ou en attente de jugement. Les autres nous sont adressés, notamment, par l’Aide sociale à l’enfance et des services psychiatriques.

L’I. M. : Existe-t-il des chiffres concernant ces adolescents ?

S. L : Oui. Peu de gens le savent, mais plus du tiers des personnes mises en cause pour des faits de violence sexuelle sont des mineurs, dont 70 % de 13-15 ans. Et si l’on considère les seules violences sexuelles envers des enfants, cette proportion est encore plus grande. On parle ici d’actes graves – attouchements, agressions, viols… Mais, attention aux raccourcis hâtifs : la gravité pénale des faits commis par ces jeunes n’est pas proportionnelle à un quelconque état psychopathologique. Certains adolescents peuvent, ainsi, commencer par des actes a priori moins graves, type exhibitionnisme, mais présenter d’importants troubles de la personnalité sous-jacents. Quand d’autres, auteurs de faits juridiquement plus graves, comme des viols, ont des profils moins préoccupants sur le plan de l’évolution psychopathologique. Pas question de banaliser, mais simplement de démystifier, et de garder à l’esprit le fait que, sauf dans les cas où ils s’inscrivent dans une pathologie autistique ou psychotique, les actes de ces jeunes révèlent souvent des difficultés relationnelles plutôt que de véritables troubles sexuels.

L’I. M. : Avez-vous dégagé différents profils ?

S. L. : Oui. J’en distinguerais trois. Un profil d’adolescents « immatures » – présentant des retards importants de développement, peu autonomes, très dépendants sur le plan affectif, chez qui le passage à l’acte est étroitement lié à cette immaturité, pouvant remonter à la sexualité infantile ou à une incapacité qu’éprouve certains à « draguer » une fille de leur âge. Un profil d’adolescents « instables » – des personnalités plutôt borderline, parfois aménagées sur un mode psychopathique, avec une polydélinquance opportuniste non spécifiquement sexuelle, un mode de relation à l’autre de l’ordre du contrôle et de la domination et des problématiques complexes du rapport hommes-femmes, des adolescents que l’on reçoit un peu moins que les autres tant ils ont besoin d’un espace de soins contenant. Et, enfin, un profil marqué par une certaine anxiété – des adolescents se sentant inférieurs aux autres, soumis, souvent phobo-obsessionnels, avec des angoisses de contact et une forte culpabilité morale, fonctionnant plutôt sur le mode du passage à l’acte ritualisé. Des profils variés donc, avec une constante reposant sur de grandes difficultés dans les relations aux autres.

L’I. M. : À ce propos, combien de ces adolescents ont eux-mêmes été victimes de violences sexuelles ?

S. L. : Des statistiques épidémiologiques solides sur le sujet manquent, mais celles qui existent révèlent que près de 40 % de ces jeunes ont eux-mêmes été victimes d’abus sexuels. Ce chiffre est cependant sous-évalué car beaucoup d’enfants ne parlent pas des actes subis. En outre, la plupart des études n’incluent pas d’autres formes de victimisation – sévices physiques, maltraitance morale, carences affectives… – tout aussi délétères en termes de pronostic évolutif. En ce qui nous concerne, 80 % des jeunes que nous avons reçus ont subi des expériences graves de victimisation sexuelle, physique ou morale. Le poids des schémas relationnels, notamment familiaux, est alors majeur. Il ne s’agit pas ici de rationnaliser un acte criminel, mais d’en comprendre l’étiologie. En effet, si l’on ne souffre pas d’un problème relationnel majeur, on entre rarement dans la sexualité sur le mode de l’agression.

L’I. M. : Comment accueillez-vous ces jeunes ?

S. L. : Lorsqu’un mineur est orienté vers nous, le premier entretien est centré sur le motif de la consultation. Nous lui demandons de nommer les raisons pour lesquelles il est là et ce qu’il attend de nous. Une étape majeure, tant nommer les choses a une fonction symbolique. Puis, vient une période d’évaluation, avec un axe criminologique et un axe psychopathologique. Nous avons, d’ailleurs, élaboré une grille d’évaluation criminologique nous permettant d’appréhender les passages à l’acte sous un angle clinique (mécanismes, modes opératoires, ressentis, associations à des événements antérieurs…). Une grille de lecture riche en informations, et qui permet aux jeunes de parler des agirs avec plus de facilité, d’entrer dans une relation de confiance avec nous, car le questionnaire, opérant comme un tiers médiateur, démystifie le sujet. Ils prennent conscience qu’ils ne sont pas les seuls dans leur cas. L’évaluation clinique permet d’élaborer un protocole de soins propre à chacun, discuté avec tous les intervenants – le jeune lui-même, ses parents, les psychologues, les éducateurs de la PJJ ou de l’ASE…

L’I. M. : Et quelle forme prend ce dispositif de soins ?

S. L. : Il est fondé sur une articulation entre thérapie de groupe et entretiens individuels, sachant que nous suivons ces jeunes, en moyenne, durant deux ans. Nous avons mis en place trois groupes, adaptés aux âges et aux profils des ados, et animés par deux d’entre nous. L’un accueille des jeunes aux personnalités « déficientes », le deuxième des ados immatures entre 13 et 16 ans, et le troisième réunit les plus instables âgés de 14 à 19 ans.

Dans le premier groupe, nous utilisons des outils de médiation type vignettes, photos, notamment lorsque nous travaillons sur ce qui est autorisé ou non, ou via le modelage, pour appréhender le corps et le ressenti sur le plan sexuel. Dans les autres, nous allions temps de parole et jeux de rôles. Jouer une scène cocasse pour travailler sur la honte et les déficits d’image de soi ; jouer le rôle d’une famille convoquée chez le juge, situation qui fait généralement émerger chez eux les schémas relationnels maltraitants ou abandonniques ; « quiz sexe » permettant d’avoir une représentation réaliste de la sexualité ; gants de boxe pour travailler sur l’affirmation de soi et l’ajustement dans la relation entre expression de l’agressivité et contrôle de soi… Autant de « petites choses » permettant de travailler le vivre ensemble, les troubles relationnels et sociaux sous-jacents à la violence sexuelle.

Les entretiens individuels sont, eux, davantage orientés sur le travail de l’angoisse, la culpabilité, les traumatismes infantiles… Ils permettent, aussi, de dénouer une difficulté d’adhésion de certains jeunes au dispositif de soins, et de répondre à certaines grosses problématiques psychopathologiques.

SAMUEL LEMITRE

DOCTEUR EN PSYCHOPATHOLOGIE ET FORMÉ À LA CRIMINOLOGIE CLINIQUE

→ Responsable de la consultation dédiée aux adolescents auteurs de violences sexuelles de l’antenne de psychiatrie et de psychologie légales de la Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine). Il est chargé d’enseignements universitaires et membre de l’Association de langue française pour l’étude du stress et du traumatisme (Alfest). Il vient de créer « Eido », un centre de soins des traumatismes et violences, qui devrait ouvrir sous peu à Paris.

Aller plus loin

→ « Profils de personnalité des adolescents auteurs d’agressions sexuelles » in Les troubles de la personnalité, Roland Coutanceau, Joanna Smith et Samuel Lemitre, ed. Dunod, 2013.

→ Trauma et résilience, Victimes et auteurs, Roland Coutanceau, Joanna Smith et Samuel Lemitre, ed. Dunod, 2012.

→ Jeux criminels, documentaire d’Adrien Rivollier, 2011.

http://www.cocottesminute.fr/films:jeux_criminels