« Nous voulions créer une communauté virtuelle d’entraide » - L'Infirmière Magazine n° 321 du 15/04/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 321 du 15/04/2013

 

INTERVIEW : SYLVIE ROUSSEL Directrice de la mission Innovation Solidarité du conseil général du Val-de-Marne, elle est à l’origine de l’Université des aidants, primée en 2011 aux Trophées du Grand Âge.

DOSSIER

L’objectif de l’Université des aidants, expérimentée entre 2009 et 2012, était de favoriser les échanges et de mener des travaux collectifs, notamment, autour de l’utilisation des NTIC, créatrices de lien.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Qu’est-ce que l’Université des aidants ?

SYLVIE ROUSSEL : C’est une initiative menée entre janvier 2009 et décembre 2012, soutenue par le Fonds européen de développement régional (Feder), le département du Val-de-Marne et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Elle a rassemblé une centaine d’aidants, choisis parmi 15 000 personnes, que l’on a équipés de tablettes tactiles ou de télévisions connectées (et aidés dans l’utilisation de ces outils). L’objectif était non seulement de favoriser les échanges, mais aussi de mener onze projets, à savoir des travaux collectifs autour de contenus multimédias, de l’emploi et la formation, et sur des usages liés aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC)(1). Les participants n’étaient pas présentés comme aidants mais plus comme collaborant à une expérience.

L’I. M. : Pourquoi avoir misé sur les NTIC ?

S. R. : J’ai toujours milité pour que les nouvelles technologies aient du sens. Elles ne sont bien sûr pas une fin en soi mais un moyen qui permet de créer du lien. D’ailleurs, aujourd’hui, la page Facebook de l’Université des aidants regroupe plus de 1 800 personnes ! Je suis moi-même aidante auprès de mes parents, l’un étant atteint de la maladie d’Alzheimer, l’autre aveugle. Si je ne disposais pas des nouvelles technologies pour être reliée à mes enfants, je ne tiendrais pas… Il ne faut pas oublier, non plus, que c’est très chronophage d’être aidant ! On ne peut pas avoir un psychologue derrière chaque personne. Il y a près de 10 millions d’aidants (8,3 M selon la Drees, NDLR) en France. Et dans le Val-de-Marne, on en recense environ 20 000. Tous ne sont pas au bord du burn out. D’ailleurs, sur les 100 personnes qui participaient à l’Université des aidants, 90 ne fréquentaient pas de groupe de parole. Nous avons donc voulu montrer comment on pouvait se rencontrer à distance grâce aux NTIC, créer une communauté virtuelle d’entraide.

L’I. M. : Cela a-t-il débouché sur des rencontres réelles ?

S. R. : Bien sûr ! Par exemple, l’un des projets réalisés a abouti à une exposition de peintures et de travaux d’écriture, portée par une trentaine de participants particulièrement actifs. Les tablettes tactiles étaient un prétexte. Il y a eu un accompagnement pour utiliser ces nouvelles technologies, puis tout cela a conduit à des rencontres conviviales. L’un des conseils importants que l’on répète aux aidants est qu’ils prennent soin d’eux-mêmes. Mais c’est difficile lorsqu’on se sent seul. Les aidants sont souvent isolés, même lorsqu’ils ont des amis. Au début, il y a de la compassion autour d’eux. Tout le monde est là. Mais, au bout de quelques mois, les gens reprennent leur vie… Lorsqu’on se retrouve entre « pairs », on n’a pas besoin de faire de grands discours. En 2008, lorsque le projet commençait à naître, les aidants ne se reconnaissaient pas vraiment comme tels. Ils étaient d’abord conjoints, conjointes ou « enfants de ». Durant ces quatre années d’expérimentation avec l’Université des aidants, il est arrivé que des personnes « pètent un câble ». Il y a de quoi. Dans ces cas-là, nous avions recours aux dispositifs médico-sociaux comme les Clic(2) ou encore à des psychologues. Cela dit, les participants réclamaient surtout de pouvoir souffler, davantage que de se confier à un thérapeute. Le rôle d’aidant, c’est lourd et chronophage. Ça peut mettre un couple en l’air !

L’I. M. : Quel regard les aidants portent-ils sur les soignants ?

S. R. : De mon point de vue, le rôle du professionnel de santé n’a rien à voir avec celui de l’aidant. Je considère que faire la toilette de mon père, ce n’est pas mon travail. Il ne s’agit pas de pudibonderie. J’estime seulement que ce n’est pas de mon ressort. En revanche, préparer un bon repas à mes parents, leur montrer leur petite-fille ou arrière-petite-fille, dont j’ai reçu les photos, redire à maman « c’e n’est pas grave si papa répète dix fois la même chose, la maladie d’Alzheimer provoque ce genre d’attitude… », tout cela, c’est mon rôle. Je fais des caresses, des câlins, mais je n’ai pas à effectuer de soins techniques.

1– Tout cela est visible sur le site www.universitedesaidants.fr.

2– Comités locaux d’information et de coordination.