De la rivalité à la complicité - L'Infirmière Magazine n° 321 du 15/04/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 321 du 15/04/2013

 

SUR LE TERRAIN

DOSSIER

Présent dans les gestes du quotidien, l’aidant interfère parfois dans les soins. Difficile à mesurer, son intervention technique auprès du patient dépendant nécessite une collaboration avec les soignants, notamment les infirmières.

Pas le choix. « On ne peut pas se passer d’eux. Le principe de base du maintien à domicile impose de faire avec les aidants. Si on ne se penche pas sur ce sujet-là, on met inévitablement les soins en échec. » Pour Anne-Marie Gentet, directrice des services infirmiers à la Fondation du dispensaire général de Lyon, hors de question de percevoir les proches d’un patient comme des rivaux. Si bien qu’elle a choisi, avec son équipe, de s’en saisir et d’en faire un axe majeur de la démarche qualité de son service. Depuis un an, une psychologue intervient ainsi auprès des familles pour écouter leur parole, entendre les problématiques qu’elles rencontrent. Résultat : tous les indicateurs de difficultés de soins ont chuté, c’est-à-dire les réclamations émises par les aidants à l’encontre des soignants et inversement. « Il fallait que chacun trouve sa place, commente Anne-Marie Gentet. Il s’agit de se placer dans une juste collaboration. L’aidant n’a pas à être un partenaire de soins à part entière, mais il a besoin d’être impliqué. C’est sa raison d’être. La démarche est assez facile, car elle se construit ensemble. Une fois les problèmes de compréhension dépassés, chacun peut trouver sa place. Cela devient une vraie collaboration. » Encore faut-il créer une relation de confiance. Ce que confirme Corinne Maucuer, infirmière et directrice de l’Ehpad La Renaissance à Marseille, à l’origine du Café des aidants mis en place dans son établissement. « Si une famille est très présente, ce n’est pas un problème. Le personnel ne peut pas subvenir à tous les besoins, poursuit-elle. C’est plus compliqué lorsque la famille est dans le déni. »

Une relation paradoxale

Même remarque de la part de Jean-Philippe Alosi, délégué général du Syndicat des prestataires de santé à domicile (Synalam), chargés de mettre en place les dispositifs médicaux chez les patients dans le cadre de la liste des produits et prestations remboursables (LPPR).

« Avoir un aidant est un vrai plus pour le traitement à domicile, reconnaît-il. C’est un atout fort, du moins pour certaines pathologies. Il faut tenir compte de sa présence. Car, lorsque le proche est dans le déni, cela peut compliquer le traitement. La relation d’aide devient parfois un peu paradoxale. Ce n’est pas parce qu’il y a encore un conjoint que c’est lui qui va tout faire. Dans les cas d’iléostomie, par exemple, il n’est pas toujours évident pour le conjoint de changer les poches… » Et le délégué général du Synalam de citer les différentes pathologies où l’implication d’un tiers s’avère fort utile, notamment le cancer, le diabète, les insuffisances respiratoires et bien d’autres maladies chroniques, ou encore Parkinson, sans parler de la fin de vie …« Le prestataire travaille pour faire en sorte que le malade soit autonome, précise Jean-Philippe Alosi. Mais la LPPR prévoit, dans certains cas, une formation pour les proches du patient, afin qu’ils sachent changer les bouteilles dans le cadre d’une oxygénothérapie, une poche dans celui d’une nutrition entérale ou parentérale… » À cela s’ajoutent tous les éléments de sécurité à connaître pour l’utilisation de matériels type lit médicalisé. Hors prise en charge en hospitalisation à domicile ou structures de ce genre, le prestataire se doit de vérifier les conditions de mise en œuvre du traitement. « Si l’aidant ou le malade ne sont pas en mesure de l’employer, le prestataire doit dire au médecin que toutes les conditions ne sont pas réunies ou proposer d’autres options, comme le recours à l’HAD », souligne Jean-Philippe Alosi.

Des compétences professionnelles

L’assistance des proches peut largement varier d’une pathologie à l’autre. Pour le changement de poche, cela peut nécessiter deux interventions quotidiennes. N’en demeure pas moins, pour Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants, que « les compétences requises doivent toujours être recherchées au sein des aidants professionnels. Il faut d’abord assurer aux personnes malades, handicapées ou âgées, les réponses professionnelles dont elles ont besoin ». L’objectif, soutenu par l’association qu’elle dirige, vise à éviter, autant que faire se peut, que le proche aidant ait à effectuer des gestes techniques. Pas question, cependant, de nier la nécessité pour ce dernier d’apprendre les gestes basiques, afin qu’il puisse prêter main-forte aux personnes en situation de handicap lourd. « Lorsque, exceptionnellement, l’aide-soignante ne peut pas se rendre, en soirée, chez mon père, si la toilette n’est pas faite, la couche pas mise, je ne vais pas le laisser attendre le lendemain matin, explique Florence Leduc. Mais ce ne doit pas être le quotidien ! »

Aucun référentiel universel

Reste à savoir comment distinguer ce qui relève du soin technique et ce qui n’en relève pas. Il existe des référentiels pour évaluer ces besoins, et donc les financer dans une certaine mesure (lire également encadré p. XX). Chaque structure utilise son propre cahier des charges. Le secteur du handicap dispose du référentiel GEVA. C’est sur ce document que s’appuient les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). « Mais il n’en existe pas d’universel », déplore Florence Leduc, avant de citer l’outil DESIR (démarche d’évaluation d’une situation individuelle et de réponse), qu’elle avait initié à l’Union nationale de l’aide, des soins et des services à domicile (UNA). En l’absence d’évaluation correcte, il est impossible qu’une réponse soignante coordonnée avec celle des aidants puisse voir le jour. Ce manque apparaît encore plus criant lorsqu’on se penche sur l’état de santé des aidants eux-mêmes. « À l’heure actuelle, il n’y a pas vraiment de repérage de leurs besoins, commente Florence Leduc. On ne peut plus se contenter d’entendre un médecin traitant dire qu’un époux est formidable pour sa femme, en oubliant que ce pauvre homme est tout décharné tant il est éprouvé ! » Les tentatives destinées à mieux prendre ces situations en considération affluent. En atteste Anne-Marie Gentet, qui pointe les visites au domicile des aidants menées par la psychologue de son service et le projet de groupe de parole porté par son établissement. « Il ne s’agit pas de répondre à tout, prévient-elle néanmoins. Nous tâchons aussi d’offrir une orientation adaptée. Nous n’avons pas l’apanage du bon accompagnement. À Lyon, il existe de nombreux dispositifs spécifiques pour les aidants. » Entre les actions soutenues par la caisse primaire d’assurance maladie, les caisses de retraite, les centres médico-psychologiques, voire également le conseil général, les initiatives se multiplient. Souvent impulsées par des plans gouvernementaux comme celui dédié à la maladie d’Alzheimer. À quand le plan consacré à toutes les dépendances confondues ?