Une équipe enquête - L'Infirmière Magazine n° 319 du 15/03/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 319 du 15/03/2013

 

MORT SUBITE DES JEUNES

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

À Nantes, un centre unique dédié aux morts subites du sujet jeune vient d’ouvrir. Au cœur du travail de l’équipe, trois infirmières de recherche clinique allient expertise et relationnel.

Le chiffre fait froid dans le dos : chez les personnes de 1 à 22 ans, la mort subite représente un décès sur dix. « Mort subite cardiaque »… Une expression angoissante, qui recouvre un décès soudain, inattendu, d’une personne, survenu une heure après le début d’un symptôme ou du démarrage d’un défibrillateur ou, dans les cas sans témoin, dans les vingt-quatre heures qui ont suivi un état normal. Malgré les campagnes de sensibilisation aux gestes qui sauvent et la mise en place de défibrillateurs automatiques dans les lieux publics, la mortalité en cas d’arrêt cardiaque reste supérieure à 95 %. Dans 70 à 80 % des décès qui frappent les plus jeunes, la personne n’a jamais eu de symptômes. Le phénomène est encore assez méconnu. Pour tordre le cou à ce qui est vécu généralement comme une fatalité, deux médecins nantais, Vincent Probst et Hervé Le Marec, cardiologues, ont ouvert, en septembre 2012, le premier centre français dédié à la prise en charge de la mort subite du sujet jeune, avant que cette démarche essaime à travers des centres de compétences(1). Car, derrière cette réalité qui défraie régulièrement la chronique – on ne compte plus les cas de jeunes sportifs qui s’écroulent sur un terrain de foot ou pendant une course –, des données récentes permettent d’avancer certaines explications. Près de la moitié des morts subites du sujet jeune sont liées à des causes héréditaires et génétiques. Vingt ans de recherche en génétique sur les troubles cardiaques, qui ont débouché, notamment, sur l’identification de cent gènes responsables de mort subite, placent l’équipe nantaise à la pointe pour structurer la prise en charge des familles. « Grâce à une évaluation clinique approfondie des membres de la famille, à une prise de sang permettant les analyses génétiques et, si possible, à une autopsie de la personne décédée, il devient donc possible d’établir un diagnostic, même a posteriori. C’est décisif : cela permet de mettre en place une prévention qui fera quasiment disparaître le risque de mortalité », souligne le Pr Vincent Probst. D’où cette incompréhension : « Je suis toujours très étonné de constater que, souvent, rien ne se passe. Tous les professionnels de santé compatissent…, et c’est tout ! J’ai quand même reçu une famille dont onze membres de moins de 35 ans avaient fait une mort subite. »

Enjeu de santé publique

Organiser ce diagnostic et le suivi des familles devient donc le défi à relever et un véritable enjeu de santé publique. Avant ce centre dédié, Vincent Probst et Hervé Le Marec avaient créé, en 2004, un centre de référence national pour la prise en charge des maladies rythmiques héréditaires, un des premiers labellisés « Maladies rares ». « L’histoire des familles que nous suivions alors montrait que les enquêtes familiales débutaient souvent à distance d’un décès, voire après la survenue de plusieurs morts subites, et une fois le diagnostic posé », se souvient le Pr Probst. Le rôle de trois infirmières de recherche clinique est essentiel dans la nouvelle organisation. Un rôle qui symbolise bien l’action de l’établissement : entre expertise génétique et relationnel. « Dans des situations aussi ­dramatiques et violentes, il peut y avoir un fort sentiment de culpabilité des proches. Apporter écoute et empathie, gagner leur confiance et, parfois, entrer dans l’intimité familiale afin de poursuivre la prise en charge fait partie intégrante de notre métier d’infirmière en recherche Pgénétique », ajoutent de concert Christine Fruchet et Emmanuelle Bourcereau.

« Prenons un cas concret : le Samu nous informe de la survenue de la mort subite inexpliquée d’une personne de moins de 45 ans. Conformément à la procédure mise en place à la création du centre, un prélèvement sanguin est effectué sur le défunt. Dans un délai de deux à trois semaines après le décès, une infirmière de recherche contacte la personne de confiance pour expliquer le fonctionnement du centre, obtenir le consentement écrit de la famille pour chercher dans l’ADN les gènes impliqués et mettre en place le dépistage familial. Avant ce délai, le risque est qu’elle ne soit pas réceptive », précise Annabelle Rajalu, infirmière au centre de Nantes depuis 2008 et en cours de formation en DIU Formation d’assistante de recherche clinique. « Nous expliquons à la famille que le centre va essayer d’expliciter cette mort subite. Généralement, dès le premier contact après la perte d’un enfant, les parents comptent beaucoup sur nous pour avoir une explication. À nous de créer un climat de confiance, grâce au temps et à l’écoute que nous allons leur accorder… » ajoute Emmanuelle Bourcereau, qui a rejoint l’équipe du Pr Probst il y a quatre ans, après avoir passé seize ans dans des services de soins.

Arbre généalogique

L’enquête familiale débute avec les parents, à travers l’élaboration d’un arbre généalogique pour rechercher les éventuels antécédents familiaux. Une étape systématique. Un oncle mort en pleine rue de manière inexpliquée, une rupture d’anévrisme ou une crise d’épilepsie chez un apparenté sont des pistes à explorer. Les circonstances de la survenue de la mort subite donnent aussi de précieuses indications. Certains examens sont alors prescrits, si une pathologie est déjà soupçonnée. Ils sont plus importants quand aucune piste n’est retenue – ce qui est le cas le plus fréquent : ECG, échographie cardiaque, épreuve d’effort, test à l’Ajmaline, test à l’adrénaline, IRM… L’équipe peut ainsi identifier des maladies rythmiques cardiaques comme la tachycardie ventriculaire catécholergique, les cardiopathies hypertrophiques, le syndrome de Brugada, celui du QT long ou encore la dysplasie arythmogène du ventricule droit et, plus récemment, le syndrome de repolarisation précoce. Chaque infirmière est spécialisée dans certaines pathologies. Les trois soignantes occupent une grande partie de leur temps à organiser tous les examens. « Quand une anomalie cardiaque est détectée sur un des parents, on s’intéresse à ses frères et sœurs éventuels, explique Emmanuelle Bourcereau. Le parent concerné devient donc informateur, car, légalement, l’infirmière de recherche ne peut pas contacter directement les autres membres de la famille. On a besoin de lui et de son accord pour contacter les autres membres de sa famille. L’intérêt étant de dépister le plus grand nombre de parents possible, on comprend bien l’importance du lien. » Comme le souligne sa collègue Christine Fruchet « cela peut être délicat d’informer un frère, par exemple, avec qui l’on n’est plus en relation, surtout pour lui dire qu’il est peut-être porteur d’une anomalie génétique ». Il arrive que l’équipe essuie un refus de transmettre l’information au reste de la famille.

La volonté des infirmières et des médecins ne suffit pas non plus pour répondre à toutes les situations. L’identification d’une centaine de gènes comme pouvant être responsables de mort subite ne permet toujours pas de poser un diagnostic clair. D’où l’importance de poursuivre la recherche génétique, qui conduira à prendre en charge certaines anomalies, comme, aujourd’hui, notamment, le syndrome du QT long-1. Le risque de mortalité avant l’âge de 20 ans est passé de 20 % à quasiment 0 % uniquement grâce à la mise en place d’un traitement par bêtabloquants.

1 – Le centre de référence « Maladies rythmiques héréditaires » de l’Institut du thorax coordonne des centres de compétence basés à : Amiens, Angers, Bordeaux, Brest, Caen, Dijon, Grenoble, La Rochelle, Lille, Marseille, Martinique, Montpellier, Nancy, Nice, Poitiers, Rennes, Réunion, Rouen, Strasbourg, Toulouse, Tours.

TÉMOIGNAGE

Clinique et génétique

ANNABELLE RAJALU

INFIRMIÈRE

La grande nouveauté du centre dédié aux morts subites de Nantes est de systématiser le prélèvement sanguin sur la personne victime. Parallèlement à la mise en place du dépistage familial, un diagnostic génétique complet ciblé sur la centaine de gènes impliqués dans les maladies du rythme cardiaque est réalisé grâce à un séquenceur d’ADN haut débit. Le résultat peut éclairer le diagnostic clinique. Indispensable, ce séquençage ne peut être la réponse clinique. Par exemple, dans le cas des dysplasies, seulement la moitié des gènes responsables sont connus. Ce « flou », inhérent à la recherche, n’est pas toujours bien compris par les familles. Contrairement aux syndromes de Brugada ou du QT long, pour lesquels le diagnostic est assez fiable, la part d’incertitude est plus grande avec le syndrome de repolarisation précoce… « On fait du cas par cas. Certaines personnes n’acceptent pas ce manque de précision », souligne Annabelle Rajalu, infirmière au centre de Nantes.