« LES INFIRMIÈRES NE SONT PAS FORMÉES » - L'Infirmière Magazine n° 319 du 15/03/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 319 du 15/03/2013

 

SEXUALITÉ

ACTUALITÉ

Directeur de recherches à l’Inserm(1), Alain Giami a mené une étude sur la place de la sexualité dans le travail infirmier.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Pourquoi avoir choisi de vous intéresser aux infirmières ?

ALAIN GIAMI : Notre programme de recherches concerne principalement les professionnels de santé, la façon dont ils réagissent face à la sexualité au travail. Nous avons déjà étudié les médecins généralistes, les sexologues et les éducateurs. L’infirmière est en première ligne d’un contact intime avec les patients. Dans l’imaginaire collectif, elle est encore assimilée soit à la bonne sœur, soit à une figure érotique. Nous avons pensé que cela pouvait jouer, d’autant que les soignantes rejettent ces fantasmes et cherchent à s’imposer en tant que professionnelles.

L’I. M. : Quel est l’objet de votre étude ?

A. G. : Nous nous intéressons à tout ce qui peut être érotique dans la relation soignant/patient, qui peut la faciliter ou, au contraire, être un obstacle du fait des malentendus qui peuvent surgir. Il s’agissait notamment de savoir si l’infirmière est en mesure de parler des conséquences négatives des maladies chroniques et de leurs traitements sur la vie sexuelle. En cela, le cancer est un miroir grossissant.

L’I. M. : Quelles sont vos principales constatations ?

A. G. : Les infirmières ne sont pas formées à l’abord de la sexualité dans la relation de soins. Donc elles font avec ce qu’elles sont, c’est-à-dire, en majorité, avec leur identité de femme. Elles sont plus à l’aise pour aborder le sujet avec les patientes qu’avec les patients, car avec les hommes, il y a un risque d’érotisation indésirable de la relation de soins. Elles craignent la confusion des genres. Les différences de réactions sont associées avant tout au sexe du patient. Ensuite, c’est l’histoire personnelle de l’infirmière qui entre en ligne de compte ; tout dépend de si elle est à l’aise ou non avec la sexualité.

L’I. M. : Vous pointez le manque de formation. En quoi est-ce important ?

A. G. : Il y a des choses qui touchent à la sexualité et qui font partie des soins prodigués, comme l’information du patient atteint d’un cancer ou, par exemple, des massages ou des soins de toilette qui impliquent une intimité. Ce n’est pas normal, que cela soit soumis à un arbitrage personnel du soignant. Il faudrait développer des recommandations, ainsi que la formation, pour apprendre aux infirmières à répondre aux besoins de tous les patients et gérer la survenue non désirée de la sexualité dans la relation de soins.

L’I. M. : Vous évoquez l’exhibitionnisme, la masturbation, les plaisanteries salaces de certains patients… Dans quelle mesure les infirmières vous en ont-elles fait part ?

A. G. : C’est revenu assez souvent au cours de la soixantaine d’entretiens qualitatifs que nous avons recueillis. Une majorité des infirmières interrogées y ont été confrontées, donc cela nous a paru important de l’aborder.

1 – Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), équipe « Genre, Santé sexuelle et Reproductivité ». Giami A. et al., « La place de la sexualité dans le travail infirmier : l’érotisation de la relation de soins », Sociologie du travail, janvier 2013.