Larvothérapie et guérison des plaies infectées - L'Infirmière Magazine n° 319 du 15/03/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 319 du 15/03/2013

 

DOSSIER

QUESTIONS SUR

Longtemps utilisé par les Mayas et les Aborigènes, puis pendant la guerre de sécession, le traitement des plaies par les larves de la mouche verte fut supplanté avec l’avènement de la pénicilline. Mais l’évolution des bactéries le fit revenir sur le devant de la scène.

Les larves de la mouche verte Lucilia sericata sont capables de guérir des plaies et sont spécifiquement utilisées pour une détersion efficace(1)-(2). Compte tenu de la résistance croissante aux antibiotiques et des difficultés à traiter les plaies infectées, l’asticothérapie prend une place de plus en plus importante dans le choix thérapeutique.

Quelles furent les premières utilisations de cette méthode ?

Il y a des siècles, les Indiens mayas du Pérou et les aborigènes d’Australie découvraient l’effet médical des asticots(3). Ambroise Paré, chirurgien et anatomiste français, et le baron Dominique-Jean Larrey, chirurgien de Napoléon Bonaparte, faisaient part de leurs observations concernant des soldats aux blessures colonisées par des larves(3). Les blessures étaient très propres et bien vascularisées. La plupart des chirurgiens confirmaient les résultats de Paré et Larrey, mais John Zacharias, chirurgien militaire durant la guerre civile américaine, aurait été le premier à introduire les asticots comme thérapie et à considérer que « ces larves […] en un seul jour nettoient une blessure bien mieux que tous les agents que nous avions à notre disposition… Je suis sûr d’avoir sauvé beaucoup de vies par leur utilisation. »(3)

En 1929, William Baer, orthopédiste à l’hôpital John– Hopkins de Baltimore, dans le Maryland (États-Unis), utilisait les larves pour le traitement d’ostéomyélite chez des enfants(4). Des infections par le tétanos entraînèrent plusieurs décès d’enfant, car les larves n’étaient pas stériles. Dès lors que les larves l’étaient, il n’y avait plus d’effets secondaires. L’asticothérapie pouvait se développer.

Ce procédé abandonné, pourquoi est-il réapparu ?

Malgré les résultats satisfaisant, cette technique a été abandonnée après la Seconde Guerre mondiale. Une découverte importante en est à l’origine : l’activité antibactérienne du champignon Penicillium par Alexander Fleming(5). En 1944, la pénicilline était largement utilisée, et les plus graves infections pouvaient être traitées avec succès. Malheureusement, l’évolution des bactéries était très rapide et l’antibiotique n’était pas efficace à long terme(6).

Ainsi, en quatre ans, la majorité des staphylococcus aureus sont devenus résistants à la pénicilline. Cinquante ans plus tard, après la découverte de plusieurs sortes d’antibiotiques, il est avéré que la résistance aux antibiotiques augmente et qu’elle rend difficile le traitement des infections. La larvothérapie revient donc dans la clinique, comme une thérapie alternative dans le cas de plaies infectées(7).

Dans les années 1980 à 1990, l’asticothérapie fut réintroduite dans une centaine de cliniques aux États-Unis et en Europe(7). Son efficacité a pu de nouveau être observée. Cependant, peu d’études ont porté sur les expériences cliniques et les modalités d’action. L’hypothèse la plus répandue est celle qui considère que les asticots tuent les bactéries et nettoient les plaies. Une recherche en ce sens montrera plus tard que cela n’est pas tout à fait vérifié. De nombreux médecins et infirmières ont décrit des cas isolés de guérison des plaies infectées grâce aux asticots. Cette méthode n’était alors appliquée qu’à un nombre ­restreint de patients. La description de ces cas et la littérature (peu dense) ont abouti à l’inscription de l’asticothérapie comme traitement médical officiel des plaies par le Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis en 2004(8). La larvothérapie n’était plus considérée comme « une thérapie alternative ».

Quels sont les indications, contre-indications et effets secondaires ?

L’asticothérapie peut être utilisée pour le traitement de plaies infectieuses aiguës et chroniques. Le pourcentage de réussite est important puisqu’il atteint 80 %. Selon la FDA, la larvothérapie est indiquée « pour la détersion des plaies infectieuses nécrotiques incurables et blessures des tissus mous, dont escarres, ulcères de stase veineuse, ulcères neuropathiques des pieds, et traumatismes non curables ou plaies post-chirurgicales »(8).Le tableau ci-après donne des indications plus spécifiques, comme les ulcères diabétiques, l’ostéomyélite, les brûlures ou la prévention des amputations chez des patients avec vasculopathie.

Quels sont les différents procédés employés ?

Il existe deux façons de pratiquer la larvothérapie : soit sous forme libre, soit sous la forme la plus répandue, qui est le sachet de gaze (le Biobag®). Les deux méthodes présentent la même efficacité(9)-(10). Les sachets Biobag® ont des membranes perméables qui permettent aux ES larvaires de migrer vers la surface de la plaie. Les sachets sont plus confortables pour le patient et l’inspection des plaies est plus simple. Il est conseillé d’utiliser une ou deux larves par centimètre carré durant trois ou quatre jours au maximum et d’ajouter deux ou trois fois par jour quelques millilitres de chlorure de sodium (NaCl) 0,9 % afin d’assurer la survie des larves(9). Le dosage du NaCl est important car, en excès, il peut entraîner la destruction des asticots. Ces derniers grandissent de deux millimètres à un centimètre et demi en quelques jours.

Autour de la plaie il est conseillé d’appliquer un pansement hydrocolloide pour éviter l’ epidermiolyse causée par les excrétions et sécrétions (ES) des larves. Un simple bandage suffit à recouvrir l’ensemble (ajouter une gaze dans le cas des larves libres). Le pansement doit être non occlusif, pour permettre aux larves d’être oxygenées, et doit être renouvelé quotidiennement afin d’éviter les odeurs désagréables. Il suffit d’une pince pour enlever les vieilles larves qu’elles soient libres ou en sachet. Si des larves sont supprimées après trois ou quatre jours de traitement, elles peuvent être congelées et jetées. Si nécessaire, de nouveaux asticots peuvent être appliqués. Avant chaque changement de larves, la plaie est nettoyée par l’application de sérum physiologique et, si nécessaire, une détersion chirurgicale. La thérapie peut être interrompue dès lors que les effets recherchés sont atteints.

Cette technique médicale est-elle bien tolérée par les patients ?

L’idée d’appliquer des larves sur le corps humain peut paraître déplaisante. Pourtant, les bénéfices sont grands. Face à des plaies incurables par les traitements médicaux traditionnels et indication d’amputation, le patient est souvent satisfait lorsqu’une nouvelle possibilité thérapeutique s’offre à lui(11). Cette méthode est plutôt tolérée, surtout lorsque le patient est bien informé. Naturellement, l’asticothérapie, comme la pénicilline, n’est pas le « remède miracle », mais il s’agit d’un traitement efficace qui a déjà sauvé des patients de l’amputation et parfois du décès(3),(12).

Il serait plus confortable de ne pas utiliser de larves vivantes, s’il était possible d’identifier et d’isoler des substrats pharmacologiques afin de les utiliser comme un médicament local ou général. C’est pourquoi la recherche des mécanismes d’action doit se développer dans ce domaine.

Par quel processus les larves participent-elles à la guérison ?

Les observations cliniques montrent que les larves empaquetées dans les sachets sont aussi efficaces que celles placées sous la forme libre(10). Cela pourrait s’expliquer par le fait que les ES, qui migrent par les membranes perméables des sachets vers la surface de la plaie, sont très importantes dans le processus ­d’action. Le dépôt visqueux d’une partie des plaies se trouverait résorbé avec l’application des larves. Ce dépôt est caractéristique de l’existence d’un bio-film sur la plaie et constitue une couche produite par quelques bactéries qui font résistance aux antibiotiques et au système immunitaire en général. Le bio-film empêche la guérison physiologique des plaies, d’où l’importance de considérer ce fait pour envisager la guérison.

Outre le fait que le bio-film maintient les infections de plaies, il cause aussi des infections lors de présence de prothèses(16). Dans ces derniers cas, des ES de larves étaient ajoutées in vitro pour examiner les effets des bio-films. Les résultats ont montré que les ES répriment la formation de bio-film sur tous les matériels et aussi rompent les bio-films existants(9), (17). Ainsi, l’inhibition du bio-film par les ES peut expliquer une partie de l’action de l’asticothérapie et constituer un traitement préventif des infections ­causées par des bactéries formant des bio-films (exemples : infections des prothèses de hanche, de cathéters, de valvule).

D’autres recherches ont confirmé l’inhibition de bio-films par les ES(18). En Angleterre, une détersion très efficace a été prouvée dans une étude randomisée in vivo avec presque 300 patients(2). De manière remarquable, dans cette étude pour le traitement d’ulcères veineux, les chercheurs n’ont pas trouvé de différence de temps de guérison entre la larvothérapie et l’application d’hydrogel. Ce résultat est difficile à expliquer car la détersion est plus rapide d’environ deux mois lors de l’utilisation des larves comparativement à l’utilisation d’hydrogel. Néanmoins, cette recherche ne fournit pas les preuves que la quantité des bactéries diminue au cours de la thérapie.

Comment cela agit-il sur les défenses immunitaires acquises ?

La présence d’un corps étranger, comme une écharde de bois ou une tique infectée, met notre système immunitaire en action du fait de l’inflammation voire de l’infection. La tolérance à la présence des asticots pour l’organisme humain est médicalement intéressante car durant la larvothérapie quelque chose opère au niveau du système immunitaire. Des expériences ont été menées avec le sang de deux groupes de patients : le sang de patients sains et le sang de patients qui venaient de subir une intervention chirurgicale (système immunitaire actif). Des ES ont été ajoutés dans les deux cas afin d’observer l’activité immunitaire. Dans cette étude, le constat est fait en faveur de la découverte d’un immunosuppresseur dans ce substrat (montré dans les deux groupes)(9), (19).

Quelle action a l’immunosuppression observée dans la guérison ?

La première phase de guérison des plaies est la phase inflammatoire, laquelle est essentielle pour le processus. Elle est suivie par la phase de prolifération et la phase de ré-épithélialisation puis, enfin, celle de maturation. Dans le processus physiologique, la phase inflammatoire dure au maximum cinq jours, mais dans le cas de plaies chroniques et infectées, l’inflammation peut durer bien plus longtemps. Elle génère de ce fait la destruction des tissus et non leur guérison(20). Cette inflammation est causée par les défenses acquises, qui sont trop actives à ce moment-là. Il est plus probable que l’inhibition des défenses engendre une inflammation moindre et par conséquent une moindre destruction des tissus. Car, grâce à l’inhibition immunitaire par les ES, le passage de la phase inflammatoire à la phase de prolifération est stimulé.

Conclusion

Pour résumer, les asticots ne tuent pas des bactéries mais leurs ES inhibent les bio-films résistants aux antibiotiques produits par certaines bactéries et réduisent l’activité des défenses immunitaires acquises. Cependant, les connaissances scientifiques actuelles ne peuvent pas encore expliquer totalement le processus de guérison des plaies par les larves. Les avancées actuelles les plus importantes dans le traitement des plaies concernent la désinfection et l’utilisation de médicaments antibactériens. Pourquoi les larves peuvent-elles guérir les plaies si les bactéries sont toujours présentes ? Probablement, l’hypothèse est que les bactéries ne sont plus nuisibles. Les asticots en causant l’inhibition des défenses immunitaires et de l’inflammation, témoignent de l’importance de leurs propriétés d’action antibactérienne. Dans ce cas, la plaie peut guérir malgré la présence des bactéries (les plaies sont contaminées mais non infectées).

On commence à mieux connaître les mécanismes d’action des larves dans le processus de guérison des plaies. Cliniquement, l’utilisation des ES sans larves vivantes serait plus aisée. Des études sont actuellement menées dans ce sens. De surcroît, les substrats anti-biofilms et anti-immunologiques dans les ES des asticots sont très intéressants et peuvent constituer une indication de traitement pour certaines maladies infectieuses et immunitaires. L’objet de la recherche actuelle concerne l’identification et le développement d’un nouveau substrat pharmacologique efficace en isolant des ES des larves de Lucilia sericata.

REMERCIEMENTS À MME MARIE-LINE PIRAUDEAU, PSYCHOLOGUE, POUR SES CONTRIBUTIONS À LA TRADUCTION DE CET ARTICLE.

PHOTOS REPRODUITES AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DU JOURNAL OF WOUND TECHNOLOGY, JULY 2009, N° 5, MAGGOT THERAPY FOR WOUND HEALING : CLINICAL RELEVANCE, MECHANISMS OF ACTION AND FUTURE PROSPECTS. G. CAZANDER, F. GOTTRUP, G.N. JUKEMA.

MODE D’ACTION

Effet antibactérien des larves : idée fausse ?

« Est-il vrai que les larves détruisent les bactéries ? »

→ L’hypothèse la plus répandue concerne l’activité antibactérienne des asticots. Mais il s’agit d’une idée fausse. Les larves ne tuent pas les bactéries. Ces dernières années, plusieurs groupes de recherche dans le monde ont réalisé des expériences pour évaluer l’effet antibactérien des larves et leurs excrétions/sécrétions (ES). La publication des articles « Découverte d’un nouvel antibiotique à base de larves », ou encore « La composition de substrat antibactérien des sécrétions des asticots est prouvée » ne permet pas de prouver de manière convaincante et cohérente que les larves ont un effet antibactérien aux concentrations thérapeutiques(13), (15).

→ La plupart des expériences menées autour de l’hypothèse d’activité antibactérienne des larves ont été répétées et certaines ont permis des précisions. Il s’agit de comparer des tubes stériles contenant des bactéries, un milieu nutritif avec des asticots à des tubes identiques sans asticots.

Après une nuit d’incubation, la quantité de bactéries n’était pas véritablement différente(9), (15). Il y avait même une tendance positive des larves à l’accroissement des bactéries. Ainsi, nous pouvons dire qu’il n’existe pas d’effet antibactérien direct des larves ou ES.

1- Steenvoorde P., Jukema G.N. The antimicrobial activity of maggots : in-vivo results. J Tissue Viability 2004 ; 14 : 97-101

2- Dumville J.C., Worthy G., Bland J.M., Cullum N., Dowson C., Iglesias C. et al. Larval therapy for leg ulcers (VenUS II): randomised controlled trial. BMJ 2009 ; 338 : b773

3- Fleischmann W., Grassberger M., Sherman R.A. Maggot therapy. A handbook of maggot-assisted wound healing. New York ; Thieme 2003.

4- Baer W.S. The treatment of chronic osteomyelitis with the maggot (larvae of the blowfly). J Bone Joint Surg 1931 ; 13 : 438-475

5- Chain E., Florey H.W., Gardner A.D., Heatley HG, Jenning M.A., Orr-Ewing J. et al. Penicillin as a chemotherapeutic agent. Lancet 1940 ; 2 : 226-228.

6- Wainwright M. Miracle Cure : The Story of Penicillin and the Golden Age of Antibiotics. Oxford : Basil Blackwell 1990.

7- Sherman R.A, Pechter E.A. Maggot therapy : a review of the therapeutic applications of fly larvae in human medicine, especially for treating osteomyelitis. Med Vet Entomol 1988 ; 2 : 225-230.

8- www.fda.gov/ohrms/dockets/ac/05/briefing/2005-4168b1_Classification%20Memo.pdf-08-24-2005

9- Cazander G. How do maggots operate ? The underlying mechanisms of action of maggot debridement therapy. Ridderprint 2010.

10- Blake F.A., Abromeit N., Bubenheim M., Li L., Schmelzle R. The biosurgical wound debridement experimental investigation of efficiency and practicability. Wound Repair Regen 2008 ; 16(3) : 466

11- Petherick ES, O’Meara S, Spilsbury K, Iglesias CP, Nelson E.A., Torgerson D.J. Patient acceptability of larval therapy for leg ulcer treatment : a randomized survey to inform the sample size calculation of a randomised trial. BMC Med Res Methodol 2006 ; 6 : 43.

12- Jukema G.N., Menon A.G., Bernards A.T., Steenvoorde P., Taheri Rastegar A., Van Dissel J.T. Amputation-sparing treatment by nature : ’surgical’ maggots revisited. Clin Infect Dis 2002 ; 35 : 1566-1571.

13- Bexfield A, Nigam Y, Thomas S, Ratcliffe NA. Detection and partial characterisation of two antibacterial factors from the excretions/secretions of the medicinal maggot Lucilia sericata and their activity against methicillin-resistant Staphylococcus aureus (MRSA). Microbes Infect 2004 ; 6(14) : 1297-304.

14- Barnes KM, Dixon RA, Gennard DE. The antibacterial potency of the medicinal maggot, Lucilia sericata (Meigen): variation in laboratory evaluation. J Microbiol Methods 2010 Sep ; 82(3) : 234-7.

15- Cazander G., van Veen KEB, Bernards A.T., Jukema G.N. Do maggots have an influence on bacterial growth ? A study on the susceptibility of strains of six different bacterial species to maggots of Lucilia sericata and their excretions/ secretions. J Tissue Viability 2009 ; 18(3) : 80-87.

16- Costerton J.W. Biofilm theory can guide the treatment of device-related orthopaedic infections. Clin Orthop Relat Res 2005 ; 437 : 7-11

17- Cazander G., van de Veerdonk M.C., Vandenbroucke-Grauls CM, Schreurs M.W., Jukema G.N. Maggot excretions inhibit biofilm formation on biomaterials. Clin Orthop Relat Res 2010 Oct ; 468(10) : 2789-96

18- Van der Plas MJ, Jukema GN, Wai SW, Dogterom-Ballering HC, Lagendijk EL, van Gulpen C et al. Maggot excretions/secretions are differentially effective against biofilm of Staphylococcus aureus and Pseudomonas aeruginosa. J Antimicrob Chemother 2008 ; 61 : 117-122

19- Cazander G., Schreurs M.W.J., Renwarin L., Dorresteijn C., Hamann D., Jukema G.N. Maggot excretions affect the human complement system. 2012 ; 20(6) : 879-886.

20- Eming S.A., Krieg T., Davidson J.M. Inflammation in wound repair : molecular and cellular mechanisms. J Invest Dermatology 2007 ; 127 : 514-525.