Des systèmes hybrides - L'Infirmière Magazine n° 315 du 15/01/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 315 du 15/01/2013

 

EUROPE

DOSSIER

Tous les pays développés se voient dans l’obligation de réorganiser leur système de soins. Si les modèles varient selon l’histoire de chaque État, ils tendent aujourd’hui à converger vers une désinstitutionnalisation prônée par l’Europe.

La France n’est évidemment pas le seul pays au monde à être touché par une évolution de la demande de soins, dont l’origine est, notamment, le vieillissement de la population. Pour y faire face, les autres pays développés modifient également leur système de soins, bien qu’il soit parfois très différent du modèle français, les diverses organisations s’étant créées au fil de l’histoire des États. Les auteurs Yann Bourgueil, Anna Marek et Julien Mousquès(1) ont identifié trois modèles de soins primaires. Le premier est le modèle normatif hiérarchisé, dans lequel le système de santé est organisé autour des soins primaires et régulé par l’État (Espagne/Catalogne, Finlande, Suède). Des centres de soins primaires pluridisciplinaires sont ainsi ouverts 24 h/24 h, où œuvrent un nombre de professionnels fixé sur un ratio d’habitants. Dans les pays du nord de l’Europe, Danemark, Finlande, Norvège, Suède, la quasi-totalité de l’offre hospitalière est publique. Et les médecins spécialistes exercent majoritairement à l’hôpital, tout comme dans le second type d’organisation, le modèle professionnel hiérarchisé. Ainsi, en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, le médecin généraliste est le filtre et le pivot du système de soins. Ces praticiens exercent la plupart du temps en groupe au sein de cabinets pluridisciplinaires. Au Royaume-Uni, ils ont, en outre, des fonctions de gestion des ressources en étant associés aux instances décisionnelles des Primary Care Trusts (entités de gestion des structures de soins primaires). Dans ce modèle, les patients s’enregistrent auprès d’un médecin généraliste, et les modes de rémunération, mixtes, allient paiement à l’acte, à la performance, et soutiens à la pratique groupée. Les structures de premier recours représentent la porte d’accès incontournable aux services hospitaliers. La troisième forme d’organisation des soins est le modèle professionnel non hiérarchisé, laissé à l’initiative des acteurs, comme en Allemagne ou au Canada. Dans ces pays, il n’existe pas réellement de système de soins primaires organisé, tant au niveau du territoire qu’à celui de la population.

Soins de proximité

Dans tous les pays, l’hôpital public est essentiellement géré par une administration décentralisée, l’État n’intervenant qu’en tant que régulateur final. On peut noter qu’en Allemagne, en Autriche et au Portugal, des entreprises privées peuvent gérer des hôpitaux publics. La France, quant à elle, était initialement structurée sur le dernier modèle : le patient pouvait choisir son praticien, en changer à son gré et s’orienter de lui-même vers d’autres professionnels de santé. Mais les réformes initiées dans les années 1990, en France comme dans les autres pays, font converger les trois modèles et émerger des systèmes hybrides. Outre le contexte économique, l’évolution démographique, le coût croissant des techniques médicales et les aspirations des populations, l’Europe elle-même demande à ses membres de s’engager davantage dans la désinstitutionnalisation des soins. Dans un guide européen publié en novembre, le groupe d’experts ad hoc européen recommande l’accélération de la transition des soins en institution vers des soins de proximité. Le but initial visait les personnes enfermées dans des institutions malgré elles, sans aucun choix sur leur vie, notamment dans les pays de l’Est. Mais la problématique du choix touche finalement tous les pays, y compris la France. « Les personnes doivent avoir le choix de rester chez elles, affirme Chantal Bruno, présidente de Coface-Handicap (association issue de la Coface(2), rassemblant des associations européennes autour du handicap), mais il faut que cela soit un vrai choix : l’accès aux soins de proximité doit être facile et peu coûteux. Ce qui implique un maillage du territoire différent et des infirmières dont la formation induise davantage de responsabilités et de compétences. » Car, pour Chantal Bruno, « la France est trop figée, mais cela va bouger avec les fortes pressions que commence à exercer l’Europe ». Les recommandations du groupe d’experts ne sont toutefois pas des directives applicables aux États membres. Mais « la préface a été signée par deux commissaires européens(3), qui demandent d’inclure la transition vers les soins de proximité dans les priorités sociales des fonds structurels de 2014-2020, souligne Paola Panzeri, de la Coface, qui a participé au groupe d’experts ad hoc. Le document n’a pas de poids réglementaire, mais un poids politique. » Le groupe d’experts a devancé le vote du fond structurel 2014-2020 en créant une « boîte à outils » qui explique comment utiliser les fonds existants pour développer les soins de proximité.

L’Union européenne, qui n’a pourtant aucune prérogative dans le domaine de la santé, pousse donc à la désinsitutionnalisation ou au maintien à domicile. La tendance a déjà largement commencé dans tous les pays développés. Pour désengorger les urgences, limiter le recours aux services hospitaliers, et la durée de séjour à l’hôpital, de nombreux pays ont lancé des initiatives de réorganisation de leur système de soins primaires.

Ainsi, les maisons de santé françaises, qui cherchent à regrouper les professionnels des soins de proximité, s’inspirent de la pratique anglaise des cabinets de groupe. La pratique groupée permet de réduire le poids des gardes et offre la possibilité d’une plage horaire de pratique plus étendue, afin d’éviter le recours inapproprié aux urgences. La France a en outre lancé une hiérarchisation de l’accès au système de soins, toujours à l’image du modèle britannique, en instaurant le médecin traitant, de façon non obligatoire mais avec une incitation forte pour les patients, dans le but d’instaurer une gradation de l’accès aux soins.

Unités infirmières

À l’inverse, pour limiter le recours à l’hôpital, certains pays où l’accès à des spécialistes n’était pas possible en dehors de l’hôpital ont ouvert les consultations techniques et spécialisées dans des structures de soins primaires. Les pays anglo-saxons ont également développé des services uniquement fondés sur les infirmières, telles les unités de soins infirmiers au Royaume-Uni, installées à l’intérieur de l’hôpital, ou encore les cliniques dirigées par des infirmières praticiennes, au Canada. Ces nouvelles structures proposent des soins primaires délivrés par des soignantes, avec la collaboration des médecins de famille, pour des populations qui n’y avaient pas accès auparavant. Elles sont basées sur la présence d’infirmières aux compétences et aux responsabilités accrues : prescriptions, diagnostics, demandes d’examens. Mais certaines initiatives, comme l’hospitalisation à domicile, ont été lancées par de nombreux pays aux modèles très différents. L’utilisation de l’HAD est encore marginale, et son organisation très complexe selon les pays. La chirurgie ambulatoire, qui s’appuie sur un bon réseau d’infirmières à domicile, est également une piste consensuelle. Elle est particulièrement utilisée dans les pays du nord de l’Europe (Danemark, Suède, Norvège), et encore peu développée en France. Les différents modèles commencent à proposer des modes mixtes de rémunération en introduisant le paiement par capitation, au nombre de patients soignés ou à la performance. Si les différences de philosophie politique perdurent, les frontières des modèles d’organisation de soins apparaissent de plus en plus mouvantes. Cependant, les nouvelles organisations, évoluant au gré des différentes initiatives et tâtonnements, sont encore loin d’être définies.

1- Voir Bibliographie

2- Confederation of Family Organisations in the European Union.

3- László Andor, Commissaire européen pour l’emploi, les affaires sociales et l’inclusion, et Johannes Hahn, Commissaire européen pour la politique régionale.

BIBLIOGRAPHIE

→ Le rapport de la Haute Autorité de santé sur « Le recours à l’hôpital en Europe » http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_766081/le-recours-a-l-hopital-en-europe

→ Le guide et la boîte à outils du groupe d’experts européens sur la transition des soins en institution aux soins de proximité (en anglais pour l’instant) http://deinstitutionalisationguide.eu/

→ L’article de Yann Bourgueil, Thomas Cartier, Alain Mercier, Nathalie de Pouvourville, Caroline Huas, Yannick Ruelle, Yves Zerbib, Vincent Renard : « Constats sur l’organisation des soins primaires en France » dans Exercer, volume 23 n° 101 (2012)

→ L’article de Yann Bourgueil, Anna Marek et Julien Mousquès : « Trois modèles types d’organisation des soins primaires en Europe, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande », dans Questions d’économie de la santé, n° 141 avril 2009

→ Les dossiers du ministère des Affaires sociales et de la Santé sur les maisons de santé, http://www.sante.gouv.fr/les-maisons-de-sante.html ou les réseaux de santé http://www.sante.gouv.fr/reseaux-de-sante.html