Il est libre, Jean-Marc - L'Infirmière Magazine n° 312 du 01/12/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 312 du 01/12/2012

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

D’abord infirmier en secteur psychiatrique, Jean-Marc Pineau se donne aujourd’hui toutes les libertés, entre explorations à pied, littérature et engagement écologique.

Jean-Marc Pineau ne fait jamais rien comme tout le monde. Première preuve d’originalité : il se marie entre l’écrit et l’oral du baccalauréat. Puis il devient père, à dix-huit ans et demi. Il travaille avec son beau-père menuisier, puis suit la formation d’infirmier en secteur psychiatrique. « Sans doute parce que, sans en avoir vraiment conscience, j’aimais déjà les milieux à la marge. »

Diplômé en 1979, il travaille en psychiatrie à Niort. Puis à Thiers et à Clermont-Ferrand, deux villes auvergnates. « Je vis dans le Puy-de-Dôme depuis trente et un ans, calcule-t-il. J’aime sa nature. Faire du vélo, de la marche à pied. La vie rurale me convient bien. » Aujourd’hui, sa maison se niche au pied du parc naturel régional du Livradois-Forez. D’ailleurs, à le voir dans son jardin, nul ne se doute qu’il passe à côté d’un volcan qui sommeille ! Car la suite de sa vie dessine une succession assez ahurissante d’expériences variées. Des sauts dans l’inconnu, nés de la rupture avec l’exercice d’une certaine forme de psychiatrie. « Rapidement, je me suis senti isolé dans un système trop carcéral. Avec trop de clés, trop de médicaments. C’est une méthode valable pour quelques patients, mais que l’on applique parfois à tout le monde… »

Débute alors « l’errance » professionnelle, qui a fait de lui un être enrichi (au sens immatériel du terme). « J’ai enchaîné différents boulots, détaille-t-il. Dans la communication, l’animation, le social, le culturel… » Des emplois ou des remplacements qui composent, en vrac, un joli inventaire. Directeur d’une maison de chômeurs, à Clermont-Ferrand. Tenancier d’un bar culturel, sans alcool, à Thiers. Infirmier remplaçant au cœur de grandes entreprises (dont Sanofi et Michelin). Animateur dans une maison de retraite, à Vichy, de 1997 à 1998. En parallèle, il monte aussi son premier one man show, qui dure une heure vingt. Une expérience qui lui sert pour mettre en scène, durant neuf mois, une pièce de théâtre avec des personnes en insertion, à la demande du conseil général du Puy-de-Dôme.

De Marie-Galante à la Mongolie

Jusqu’alors, l’itinéraire de ce Choletais élevé dans les Deux-Sèvres est multiple, mais bien enraciné en France. De l’étranger, il ne connaît pratiquement rien. « Mes parents ne voyageaient pas du tout. » Son départ pour l’île de Marie-Galante, en Guadeloupe, est donc un grand plongeon programmé. « Là, il n’y a pas de touriste. Peu de métropolitains et que des vélos ! Nos trois enfants étaient les seuls Blancs de leur classe. On vivait simplement, dans une case très sommaire. Mais à 300 mètres d’une des plus belles plages des Antilles ! C’était extraordinaire, cette impression de vivre dans un aquarium. » Sa compagne fait des remplacements de sage-femme dans la maternité de l’île. Lui initie les enfants « au théâtre, au conte, à la poésie », via des contrats éducatifs locaux. L’aventure leur plaît, mais ils ont prévu de l’achever au bout d’un an. L’été 2000 voit donc leur retour dans le Puy-de-Dôme.

Aubaine du destin ? A peine débarqué, il est contacté par l’ONG Santé Sud. « Une chance, car être infirmier en psychiatrie ouvre relativement peu de portes en humanitaire. Ce n’est souvent pas la priorité des gouvernements. » En binôme avec un médecin, il part dans une maison de retraite en Mongolie. « Avec sa centaine de résidants, elle ressemblait à nos hospices d’il y a quelques siècles. à travers un compagnonnage, j’y ai ajusté la pratique de professionnel à professionnel, pour traiter davantage ces personnes âgées en être humains. J’y suis retourné en 2001, pour une seconde mission, où j’ai formé une lingère intéressée au métier d’animatrice. Là-bas, par exemple, tout le monde chante. » Ses missions en Mongolie le satisfont tellement qu’il accepte de siéger au conseil d’administration de Santé Sud. Durant neuf ans, tous les deux mois, il descend au siège social de Marseille. Pour faire davantage connaître cette ONG, il a aussi l’idée d’initier « une marche de solidarité » jusqu’au siège de l’Organisation mondiale de la santé, à Genève, en 2006. Avec mégaphone et banderoles, sur 500 kilomètres et avec une traversée des Alpes au menu. Une réussite « médiatique », couronnée par un prix du Haut conseil de la coopération internationale.

Sur les traces de René Caillé

Mais l’aventure qui le rend célèbre est son « expédition » de 1 837 kilomètres à pied (plus une centaine d’autres en pirogue), de novembre 2001 à février 2002, de Boké (en Guinée) à Tombouctou (au Mali), en passant par la Côte-d’Ivoire. « J’ai refait l’itinéraire emprunté par René Caillé en 1827, en suivant ses carnets de voyage. à son époque, on connaissait la côte, mais pas encore l’intérieur de l’Afrique, relate-t-il. Seul, sans moyen financier, en se faisant passer pour un marchand musulman, René Caillé va réussir cet extraordinaire périple. Il meurt d’ailleurs dix ans plus tard, à 39 ans, vieilli prématurément par les souffrances endurées. »

Pourquoi revivre ce chemin de croix emprunté presque deux siècle auparavant par l’explorateur français ? Jean-Marc Pineau ne se l’explique pas vraiment : « Refaire ce parcours s’est imposé à moi. » Peut-être parce qu’il trouve là une aventure humaine qui lui correspond bien ? « Contrairement aux autres explorateurs de son temps, René Caillé était un humaniste, respectueux de ses frères africains. Il a dénoncé l’esclavage et s’est fait le défenseur des femmes. » Le prenant en exemple, l’infirmier conçoit une expédition, certes sportive, mais aussi riche en rencontres humaines. « Chaque jour, je partais dès l’aube, pour des étapes d’environ 25 kilomètres. En début d’après-midi, j’atteignais un village, dont le chef m’autorisait à aller voir les enfants. Je leur racontais des contes, traduits par le maître d’école. J’en avais l’habitude, car je pratiquais cette activité depuis quinze ans, au sein de l’Association des bibliothécaires du Livradois-Forez ! » L’échange se poursuit par des veillées au cours desquelles les habitants lui confient leur vie, des loisirs à la santé. « J’ai pratiqué peu de soins en cours de route, ce n’était pas le but de mon voyage. J’ai l’heureuse faculté de pouvoir passer d’un monde à l’autre, en acceptant qu’ils soient très différents, avec des choses bien et des choses moins bien. Par exemple, j’admire leur simplicité. Je ne me suis jamais senti seul parmi eux. Cela questionne sur le bonheur… »

Et comme Jean-Marc Pineau ne sait rien faire en égoïste, il partage les émotions de ce voyage avec des élèves du Puy-de-Dôme, par l’intermédiaire d’un blog, d’animations dans les écoles auvergnates, d’émissions de télévision, de radio… Il écrit, aussi. Son livre Mon voyage à Tombouctou. Sur les pas de René Caillé reçoit le grand prix des explorations et des voyages de découverte, décerné par la Société de Géographie. En 2008, Jean-Marc Pineau repart à pied, et le raconte dans Mon voyage au Maroc. Il projette aussi de parcourir les 162 communes du parc du Livradois-Forez, en faisant découvrir les écrivains-voyageurs. Il est, enfin, un peu « retombé » en psychiatrie ! Deux jours par semaine, il travaille à la Clinique de l’Auzon, à La Roche-Blanche, où il « soigne par le théâtre, l’écriture, des techniques de relaxation et l’animation de groupes de parole. Y exercent aussi un musicothérapeute, un professeur d’escalade, un sophrologue… C’est une mise du médicament à sa place – et pas plus qu’à sa place. »

Il n’a pas encore parlé « de [sa] vie militante, sans violence, de [ses] convictions écologistes, de [son] engagement politique » ni, non plus, de la défense du service public de santé. « Quand l’hôpital de Saint-Affrique a été menacé de fermeture, une partie de la population a occupé le chantier de construction du viaduc de Millau, rappelle-t-il. Ils ont obtenu gain de cause au bout de quelques jours. Parfois, il est nécessaire de désobéir. » Ce sera le mot de la fin – mais sûrement pas pour Jean-Marc Pineau, qui n’a pas encore fini d’étonner.

MOMENTS CLÉS

1979 Infirmier de secteur psychiatrique à Niort, dans les Deux-Sèvres.

1981 Installation dans le Puy-de-Dôme.

1989 Tient un bar culturel, sans alcool, à Thiers.

2000 Mission humanitaire en Mongolie pour l’ONG Santé Sud.

2001 Sur les traces de l’explorateur René Caillé, 1 837 kilomètres à pied.

2005 Grand prix des explorations de la Société de Géographie pour son récit de voyage sur les pas de René Caillé (paru aux Presses de la Renaissance en 2007).

2008 Du Sahara marocain à Tanger, 1 143 km à pied (raconté dans Mon voyage au Maroc, éditions Les 2 Encres).

2012 Animateur en clinique psychiatrique, conteur, comédien, auteur, voyageur…

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