La route est longue - L'Infirmière Magazine n° 309 du 15/10/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 309 du 15/10/2012

 

DÉMOCRATIE SANITAIRE

DOSSIER

Traditionnels espaces de soutien pour les malades, les associations de patients sont devenues, à la faveur d’urgences de santé publique, actrices du monde de la santé. Parviennent-elles pour autant à se faire entendre ? Dans les faits, cela reste plutôt complexe !

Modalités de prise en charge des patients, évolution du système de santé, grandes orientations de la recherche médicale… Aujourd’hui, quelle que soit la thématique évoquée, il n’est plus un sujet de santé qui ne soit abordé sans que les associations de patients ne s’expriment. Au fil des années, elles sont même devenues des « partenaires » officiels du débat, pour les professionnels de santé et les pouvoirs publics. Pour certains, cette place d’acteur du monde de la santé acquise par les associations de patients est une évidence, une exigence de démocratie même : elle est le reflet du fait que les professionnels ne peuvent pas, plus, agir sans impliquer ceux qu’ils soignent. Certes, cela n’est pas faux. Mais si les associations de patients ont acquis un rôle de premier plan, c’est avant tout en raison de la nature même de leur action : l’accompagnement humain et social, qui est au cœur de leur mobilisation, quels que soient les moyens dont dispose chacune. « Écouter, soutenir un pair malade. Cuisiner pour un patient sortant de chimio, accompagner une fin de vie. Ou accompagner un patient alcoolique à sa consultation, sinon, il n’ira pas. Aider à remplir une demande d’aide sociale, voire offrir un soutien financier à une famille qui n’arrive pas à joindre les deux bouts… Toutes ces “petites” choses ont des conséquences sur la santé des patients. Et elles ont donné une légitimité aux associations pour s’exprimer sur l’organisation des soins proposée à ceux qu’elles représentent », souligne Jean Wils, chargé des usagers à l’hôpital Saint-Antoine. En un sens, les professionnels de santé sont d’accord pour reconnaître « l’importance » de l’action associative. Mais pensent-ils pour autant à orienter les patients vers les associations ? Pas toujours. Leur vision de la santé reste très médicalisée.

Sauf que les choses ont changé, au fil même de l’évolution du champ des luttes associatives. Un acquis somme toute assez récent, héritage, notamment, des combats menés dans les années 1980-1990 par les associations de malades du sida et de porteurs de maladies rares. Alors que leurs aînées, qui avaient souvent été créées par des médecins, centraient leur action sur l’entraide, elles se positionnent sur un registre militant, dans la lutte directe contre la maladie. Pour cela, elles investissent un domaine jusque-là réservé, la recherche, et œuvrent à l’amélioration des prises en charge, y compris en portant le débat sur la place publique. « Les associations de lutte contre le sida ont exprimé des revendications sur la prise en charge, les thérapies, l’organisation des soins, se positionnant sur des plans encore réservés aux spécialistes, comme les modalités d’essai thérapeutique », rappelle Véronique Ghadi, sociologue de la santé. Et cette mobilisation a payé. Contribuant à des avancées thérapeutiques spectaculaires. Imposant un nouveau partenaire aux professionnels de santé et instances publiques. Le rapprochement s’opère, la concertation s’impose. En un sens, les associations de patients sont partout… Collaboratrices des institutions sanitaires – comme l’Inserm, qui a créé, en 2003, un groupe de réflexion avec les associations de malades chargé de conseiller l’Institut sur les actions à entreprendre, et une Mission associations pour leur mise en œuvre ; ou la HAS, qui intègre les associations de patients dans ses différentes commissions et les consulte dans le cadre de l’élaboration de ses recommandations. Elles sont aussi parties prenantes de l’élaboration et du suivi des grands plans de santé publique, type Plan cancer, Plan maladies rares, souvent nés, d’ailleurs, de leurs revendications. Bien sûr, toutes n’ont pas la « force de frappe » de l’Association française contre les myopathies (AFM) ou de celle des diabétiques (AFD). « Mais, même les plus petites ont désormais une voix », veut croire Nathalie Bissot-Campos, évoquant l’actuelle campagne de dépistage des maladies du foie chez les nouveau-nés menée en maternité, et initiée par la jeune association dont elle est membre, l’AMFE, regroupant une poignée de parents d’enfants malades. Pour être plus fortes, elles se sont d’ailleurs engagées, pour partie, dans la voie du collectif – TRT5 (sida), Alliance maladies rares… ou Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), regroupant 38 associations de patients et d’usagers.

Réticences professionnelles

Reste que leur place de partenaires demeure chahutée et limitée. « En premier lieu parce que si tout le monde déclare vouloir travailler avec elles, quand elles débarquent c’est un peu : “mais qu’est-ce qu’on en fait ?” », note Véronique Ghady. L’Inserm le reconnaît d’ailleurs à mi-mots, qui, « observant une réserve d’une partie des chercheurs quant à l’utilité des rapprochements avec les associations », a lancé une enquête sur le sujet. Quant aux professionnels de santé dans leur ensemble, quand il s’agit de traduire ce partenariat sur le terrain, et en particulier dans les services, les choses se corsent sérieusement (voir pp. 22-23). Plus encore si les associations sont prises en compte lors de l’élaboration des grandes priorités de santé publique, les constats qu’elles posent sur leur difficile mise en œuvre, notamment en termes financiers, résonnent souvent dans le vide. « En la matière, pas plus que les professionnels de santé, les associations n’ont de poids face aux contraintes économiques mises en avant par le pouvoir politique », constate Laurence Carton, vice-présidente de l’Association française de lutte antirhumatismale. Fragile, la reconnaissance des associations de patients comme acteurs du monde de la santé n’en est pas moins en chemin, y compris de par la loi. Fille des mobilisations associatives des années 1990, la loi du 4 mars 2002 confie, en effet, aux associations de malades et d’usagers de la santé agrémentées (1) un rôle officiel de représentation des usagers dans les instances sanitaires et les établissements de santé – repris dans la loi HPST. « En ce sens, et en dépit des difficultés à traduire ce rôle dans les faits, cette loi est pour elles une étape charnière », note Véronique Ghadi. Haut Conseil de santé publique, caisses d’assurance maladie, conférences régionales de la santé et de l’autonomie, ou encore, à l’hôpital, Cruqpc (2), Clin (3), conseils de surveillance… « Au total, plus de 12 000 représentants des usagers (RU) siègent dans différentes instances », souligne Nicolas Brun, président d’honneur du Ciss, et RU à la Cruqpc de l’hôpital Ambroise-Paré et à celle de l’HAD de l’AP-HP.

Collaborations disparates

La représentation des usagers a-t-elle pour autant contribué à faire entrer leur voix à l’hôpital ? « Sur le terrain, on en est encore loin », constate Nicolas Brun, soulignant l’hétérogénéité de place accordée aux RU ici et là. « Pour quelques réalisations fortes – ici, un livret d’accueil coécrit par les RU d’une Cruqpc, là, une collaboration entre RU et infirmières dans un Clin…, combien d’établissements où les RU, c’est un peu le papier dans les toilettes du 5e ! », tempête Catherine Vergely, directrice d’Isis, association de parents des enfants traités à l’IGR, et présidente de l’Unapecle. L’exercice est d’ailleurs difficile, souligne Jean-Luc Plavis, membre de l’association François Aupetit et RU aux Cruqpc de l’hôpital Foch et de l’HAD de Puteaux : « Il exige du temps, n’est pas rémunéré, demande une compréhension minimale du système de santé qu’il n’est pas évident d’acquérir… » Et il s’avère complexe pour les associations elles-mêmes, notamment les plus petites : toutes n’ont pas les moyens, ni l’envie, de se lancer dans ce nouvel espace d’action. Certains, comme Gérard Raymond, président de l’AFD, s’interrogent même : « Aujourd’hui, quand on parle du rôle des associations de patients, on nous répond représentation des usagers. Mais est-ce que la démocratie sanitaire se limite à avoir trois RU dans une Cruqpc ? Non ! D’abord, parce que pour exercer ce rôle de représentation, il faut déjà en avoir les moyens, et que l’État n’accorde que 2,5 millions d’euros aux associations au titre de la démocratie sanitaire. Et, surtout, parce que nous reconnaître en tant qu’acteurs de la santé passe, selon moi, par une reconnaissance, y compris financière, de nos actions d’accompagnement propres sur le terrain. On en est loin. »

1– Pour que ses membres puissent être représentants des usagers, une association doit être agrémentée par le ministère de la Santé. Critères : être une association de malades ou d’usagers de la santé (pas une association de bénévoles), avoir plus de 3 ans d’existence, et justifier de plus de 5 000 membres cotisants ou de cotisants dans au moins six régions, ou démontrer le caractère national de son activité. En août 2012, 126 associations avaient un agrément national .

2– Commission de relation avec les usagers et de la qualité de la prise en charge.

3– Comité de lutte contre les infections nosocomiales.

HÉTÉROGÉNÉITÉ

La nébuleuse associative

Il existe, en France, 14 000 associations de patients et d’usagers du système de santé regroupant quatre millions d’adhérents. Un monde ! Bien que les associations de patients (8 000) concernent surtout certaines pathologies : diabète, cancer, sida ou maladies rares, ces dernières représentant 30 % des associations recensées. Hétérogène, ce monde associatif l’est certainement, ne serait-ce que par la diversité des actions développées par chaque structure, parce qu’il rassemble des organisations de toute taille. Ou parce qu’il entretient des rapports variés avec le corps médical. Reste que toutes sont, à leur façon, actrices du monde de la santé. Et que si le nombre croissant d’associations induit un risque de concurrence, « il est aussi le reflet du jeu démocratique », souligne Nicolas Brun, notamment président d’honneur du Ciss.