L’usage de cannabis - L'Infirmière Magazine n° 309 du 15/10/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 309 du 15/10/2012

 

DOSSIER

QUESTIONS SUR

Infirmière aux urgences, j’ai accueilli un jeune patient légèrement blessé dans un accident de mobylette. Il était confus, presque délirant : le médecin a prescrit un antipsychotique. Ce trouble est-il lié, comme l’a suggéré l’interne, à un usage de cannabis ?

Oui, même si le cannabis est avant tout sédatif, il est fréquent qu’il soit à l’origine de troubles psychiques aigus dominés par l’anxiété. Des signes d’allure psychotique, avec confusion mentale, idées délirantes… ne sont pas exceptionnels. Spontanément réversibles, ils peuvent cependant justifier la prescription, généralement à court terme, d’un antipsychotique, surtout lorsque les circonstances (ici, l’accident) tendent à en aggraver la symptomatologie.

Quelle est l’ampleur de la consommation de cannabis ?

Le cannabis est la substance illicite la plus banalement utilisée en France. Près de 13 millions de Français ont expérimenté son usage ; 1,2 millions en consomment au moins dix fois par mois. La consommation des jeunes Français est l’une des plus élevées d’Europe : 39 % des lycéens de 15/16 ans en ont consommé (étude Espad, 2012). L’usager de cannabis est surtout de sexe masculin, et d’âge < 45 ans.

L’initiation au cannabis est plus répandue chez des sujets masculins, ayant déjà expérimenté le tabac et l’alcool, dont les rapports inter-familiaux sont problématiques et dont les amis sont eux-mêmes usagers de cannabis.

Quelles sont les suites immédiates de son usage ?

L’usager recherche l’effet hédonique de la drogue, un sentiment de bien-être, de détente psychique (action anxiolytique) et de désinhibition sociale. Toutefois, certains jeunes usagers sont en quête de sensations plus violentes (« défonce ») obtenues par association de produits psychotropes, par le choix de dérivés du cannabis fortement concentrés en THC et par des techniques d’utilisation favorisant une action puissante et rapide du THC inhalé (pipe à eau).

Débutant peu après le début de la consommation pour persister 2 à 8 heures, l’« ivresse » cannabique se traduit par une dysphorie, une inadaptation du comportement, une altération du jugement, des troubles cognitifs (perte de mémoire, diminution de l’attention, parfois, désorientation…). Ces signes bénins restent transitoires. Les troubles de l’attention peuvent être à l’origine d’accidents de la circulation ou du travail, et ce d’autant plus que le cannabis est associé à l’alcool ou à des médicaments psychotropes.

Des signes psychiques plus sévères s’observent si la préparation consommée contient une forte teneur en THC : les réactions anxieuses aiguës peuvent revêtir la forme d’une attaque de panique ; des réactions d’allure psychotique, avec syndrome délirant, dépersonnalisation, déréalisation ne sont pas exceptionnelles.

Comment se manifeste une intoxication aiguë, le « bad trip » ?

Le « bad trip », littéralement le « mauvais voyage » peut faire suite à un usage régulier comme occasionnel de cannabis : il n’affecte pas que les sujets consommant une forte quantité de drogue. Cette expérience déplaisante est généralement liée à la consommation d’une quantité trop importante de cannabis, et/ou à une consommation lors d’une période de problèmes personnels, d’anxiété, de malaise existentiel. Elle se traduit par la survenue brutale d’un malaise physique dont les signes peuvent alarmer l’usager comme son entourage : tremblements, sueurs abondantes, nausées, vomissements. S’y associent des signes psychiques également préoccupants : anxiété intense, attaque de panique, confusion mentale. Il arrive même que le consommateur puisse perdre connaissance de façon transitoire. Ces signes sont spontanément régressifs.

La prise en charge de ce type de réaction est simple, mais elle nécessite souvent une hospitalisation brève, constituant l’occasion de faire un bilan somatique mais surtout psychologique. Le traitement demeure symptomatique. Une intoxication aiguë n’impliquant que le seul cannabis n’entraîne pas de décès. La survenue d’un bad-trip doit constituer un signal d’alarme pour les parents comme pour les soignants confrontés à l’usager de cannabis.

Quelle est la dangerosité à long terme de cette drogue ?

L’impact délétère d’un usage régulier du cannabis, jadis sous-estimé, est désormais prouvé par de nombreuses études.

Le THC se lie à des récepteurs spécifiques ubiquitaires dans l’organisme : cerveau avant tout, mais aussi système nerveux périphérique, testicules, utérus, intestin, vessie, cellules de la rétine, vaisseaux sanguins, tissus gras et système immunitaire. L’affinité du THC pour les graisses explique qu’il se fixe fortement dans le cerveau, d’où il est progressivement relargué dans le sang. La demi-vie du THC (i.e. le temps nécessaire pour éliminer de l’organisme la moitié de la dose qui y est présente) est d’environ 8 jours : un usage répété a donc pour conséquence une rapide accumulation du toxique dans les tissus lipidiques.

Tout cela explique qu’un usage prolongé de cannabis ait des conséquences somatiques et des conséquences au double plan somatique et psychique.

Au plan somatique

→ Cancers : la combustion du cannabis libère des goudrons volatils cancérigènes, dont la toxicité sur les bronches se conjugue à celle des goudrons du tabac s’il y a association. De plus, l’action de certains composés du cannabis favorise la survenue d’autres types de cancers (prostate, testicule, utérus, vessie).

→ Atteintes cardio-vasculaires : le cannabis est à l’origine de troubles du rythme cardiaque, d’infarctus du myocarde, d’accidents vasculaires cérébraux, d’artérite observés chez des sujets souvent encore jeunes.

→ Atteintes respiratoires : l’inhalation de la fumée du cannabis induit des pathologies chroniques analogues à celles décrites pour le tabac : enrouement persistant, raucité de la voix, toux chronique, hypersécrétion bronchique avec expectorations, dyspnée, bronchopneumopathie chronique obstructive.

→ Autres atteintes somatiques : les signes buccaux (sécheresse buccale avec atteinte parodontale) et digestifs (crampes, troubles du transit…) ne sont pas rares, surtout lorsque le cannabis est ingéré. Si de faibles doses de THC sont anti-émétiques, de fortes doses, surtout lors de l’inhalation, peuvent induire des nausées et des vomissements. Le cannabis peut être à l’origine d’une stéatose ou d’une fibrose hépatique, d’une pancréatite aiguë, d’une rétention vésicale aiguë, et d’une altération de l’immunité.

Au plan neuropsychique

→ Syndrome amotivationnel : se traduisant par un désintérêt psychique pour toutes les activités jusqu’alors appréciées, par des difficultés d’intégration scolaire, universitaire et professionnelle liées à des perturbations mnésiques et à une altération des capacités d’apprentissage, le syndrome amotivationnel, fréquent, et trop négligé, constitue l’une des conséquences les plus significatives de l’usage du cannabis chez l’adolescent ou le jeune adulte.

Une étude récente suggère que la consommation de cannabis à l’adolescence est probablement associée, chez l’adulte, à un quotient intellectuel réduit et à une incidence accrue des troubles mnésiques(1) : elle aurait un impact délétère à un âge où la maturation du cerveau n’est pas achevée ; l’arrêt de la consommation ne permettrait pas une restauration complète des fonctions neuropsychologiques.

→ Anxiété et dépression : troubles anxieux et troubles de l’humeur accompagnent fréquemment l’usage chronique du cannabis. Le consommateur ne les associe que rarement à sa pratique.

→ Schizophrénie : l’usage de cannabis, notamment lorsqu’il est précoce et prolongé, peut précipiter l’évolution d’une schizophrénie chez des sujets vulnérables, et aggrave la maladie en phase d’état (multiplication du risque d’épisodes aigus ; réduction de l’action des antipsychotiques).

Quels sont les risques de l’usage du cannabis au volant ?

La consommation de cannabis rend dangereuse la conduite mais aussi certaines activités professionnelles : elle réduit les réflexes en situation d’urgence, elle rend difficile le bon contrôle d’une trajectoire, altère la coordination des mouvements et allonge le temps de réaction. Ces effets persistent 2 à 10 heures.

La consommation du produit est à l’origine du doublement du risque d’accident de la route ; l’association à l’alcool multiplie ce risque par 14. La loi du 2 février 2003 punit de peines sévères toute personne conduisant sous l’influence de stupéfiants, dont le cannabis. On note que 20 % des accidents du travail sont associés à une conduite addictive, et le cannabis participe largement à cette accidentologie (30 % des usagers de cannabis reconnaissent en consommer sur leur lieu de travail). Pourtant, le dépistage systématique reste interdit en entreprise, sauf pour les postes sensibles (transports, industrie nucléaire, port d’arme…).

Comment repérer un usage précoce ?

L’infirmière scolaire ou universitaire comme les parents d’un adolescent peuvent avoir l’attention attirée par des signes suggérant qu’il utilise du cannabis.

→ L’usage simple n’entraîne généralement pas de complications repérables, surtout lorsqu’il s’inscrit dans une perspective « conviviale » (usage festif, en groupe) : cela n’exclut pas cependant le risque (d’accident par exemple, ou de réaction d’allure psychotique brutale et imprévue).

→ L’usage répété se traduit par des signes aspécifiques, évocateurs par leur association : dégradation des résultats scolaires et des performances sportives, perte d’intérêt pour des activités jusqu’alors fortement investies, irritabilité inhabituelle, anxiété, signes d’ébriété, yeux rougis par la conjonctivite (fumée et action vasodilatatrice du THC), odeur aromatique flottant dans la chambre, demandes d’argent, « perte » de vêtements ou d’objets divers, revendus en fait pour obtenir de quoi acheter la drogue…

Que la consommation soit ponctuelle ou répétée, les parents peuvent découvrir du matériel d’inhalation (pipe à eau) ou du cannabis (herbe, « shit ») utilisé par l’adolescent.

Le cannabis crée-t-il une dépendance ? Comment la détecter ?

Le cannabis induirait une dépendance chez 10 % à 15 % de l’ensemble des usagers ; elle concerne 60 % des sujets consultant les centres spécialisés dans l’accueil des consommateurs de cannabis. Comme pour les autres drogues (alcool, médicaments tranquillisants, opiacés…), la perte progressive du contrôle de la consommation de cannabis est liée à ses effets initialement vécus comme gratifiants, à la personnalité de l’usager, à sa trajectoire existentielle, à son environnement et, probablement aussi, à une vulnérabilité génétique.

Les signes de sevrage (de « manque ») s’observent dans les 24 à 48 heures suivant la privation de produit. Maximaux en intensité dans les 2 à 4 jours suivants (en raison de la lenteur de l’élimination physiologique du THC), ils perdurent environ une semaine. Devenu dépendant, l’usager éprouve des difficultés à arrêter ou à réduire sa consommation : les signes de manque au sevrage, assez proches de ceux décrits à l’arrêt du tabac (irritabilité, agressivité, anxiété, anorexie, troubles du sommeil, tachycardie, tremblement des extrémités, nausées) l’incitent à pérenniser sa conduite addictive. La dépendance au cannabis semble rendre plus vulnérable à d’autres addictions, notamment à la dépendance aux opiacés.

Quels liens entre cannabis et maternité ?

La fertilité est probablement réduite par un usage chronique de cannabis, aussi bien chez l’homme que chez la femme. Franchissant la barrière placentaire, les cannabinoïdes sont à l’origine d’un retard de croissance intra-utérin, d’une hypotrophie fœtale, d’un possible accouchement prématuré. Ils seraient aussi à l’origine de malformations congénitales concernant, notamment, le cœur.

La consommation de ce produit pendant la grossesse serait associée à une augmentation de la fréquence de mort subite du nourrisson. Le nouveau-né ayant subi une imprégnation cannabique au stade fœtal présente souvent un comportement perturbé (troubles du sommeil, irritabilité…). L’interaction mère-enfant peut être perturbée du fait des modifications psychiques induites chez la maman par le cannabis. Les cannabinoïdes sont excrétés dans le lait maternel.

Quelle prise en charge pour l’usager ?

→ La réponse judiciaire prévue par la loi du 31 décembre 1970 est inadaptée aux usagers simples de cannabis et de ses dérivés, soumis à la prohibition attachée à leur statut de stupéfiants. Elle se limite donc souvent à un simple rappel à la loi ou à une injonction de soins.

Plusieurs questionnaires permettent d’évaluer le niveau de consommation de cannabis ; plus particulièrement, le questionnaire CAST (Cannabis abuse screening test) permet de constater si le niveau de consommation est problématique. La recherche du THC dans les milieux biologiques (urine, sang, cheveux, etc.) est facile mais de peu d’intérêt hors d’un contexte judiciaire (accident, crime, etc.).

→ Le fonctionnement familial peut constituer un facteur de protection ou, au contraire, de vulnérabilité à l’usage du cannabis (ex. : emploi de la drogue par les parents ou la fratrie, carence dans les liens affectifs et éducatifs…) :

– lorsque le fonctionnement familial est compatible, la vigilance des parents à l’égard des signes d’appel (modifications du comportement de l’adolescent, désintérêt pour le sport, les études, les amis, repli prolongé et solitaire dans sa chambre, réaction hostile, irritabilité inusitée…) et leur ouverture empathique à un dialogue non culpabilisant ou moralisateur suffit généralement à empêcher qu’un usage simplement « exploratoire » ou transitoire ne soit récurrent et ne finisse par devenir abusif.

– lorsque la situation le justifie (rupture des liens familiaux, fugue, violence intrafamiliale), il importe que les parents se rapprochent d’une structure adaptée (CSAPA) ou contactent la plate-forme « Écoute-cannabis », qui les orientera.

→ Le traitement par médicaments n’a de sens que dans l’urgence (sédation d’une anxiété aiguë ou de troubles d’allure psychotique : prescription d’une benzodiazépine, d’un antipsychotique sédatif…) ou, à plus long terme, chez un usager de cannabis présentant, en liaison avec son addiction, une pathologie psychiatrique. Il n’existe pas de notion de traitement « de substitution » pour le cannabis.

→ Il est souvent pertinent de proposer une thérapie cognitive et comportementale, qui a prouvé son efficacité sur un grand nombre de conduites addictives, y compris au cannabis.

Les thérapies familiales et les thérapies de groupe, également efficaces, sont surtout mises en œuvre dans les pays anglo-saxons.

1– Meier M.H., Caspi A., Ambler A. et al. (2012), Persistent cannabis users show neuropsychological decline from childhood to midlife, Proc. Natl. Acad. Sc., publication en ligne du 27 août 2012.

À SAVOIR

Le mode d’action d’une plante

Le cannabis est une plante, matière première de la fabrication de préparations d’aspect très divers : herbe, résine, haschich ou « huile ». Toutes peuvent être consommées par inhalation, généralement mélangées à du tabac (« joint », « pétard »…). Il est devenu banal de consommer aussi la résine à l’aide de « pipes à eau » (« bang » avec lequel « on se fait une douille ») fonctionnant sur le principe du narguilé oriental. Plus rarement, les préparations de cannabis peuvent être consommées par ingestion (pâtisseries, confiseries).

→ L’action du cannabis est liée à la présence de composés propres à cette plante, les cannabinoïdes, dont l’un, notamment, le tétrahydrocannabinol (THC), est puissamment actif sur le cerveau, où il se fixe sur des récepteurs spécifiques.

→ La consommation des variétés de cannabis très fortement concentrées en THC qui sont commercialisées depuis les années 1990 expose à un risque de troubles psychiques et de dépendance plus important, qu’accentuent encore une inhalation grâce à une pipe à eau, ou encore le jeune âge de l’usager.

DÉPENDANCE

Dispositifs de prise en charge

→ Nombre de pays, dont la France, proposent des programmes d’aide aux patients pour lesquels l’usage de cannabis a des conséquences problématiques (dépendance et/ou polyconsommation de drogues, d’alcool, de médicaments).

→ En France, ils peuvent notamment consulter de façon anonyme et gratuite dans les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) ou auprès de médecins libéraux (exerçant notamment en réseaux spécialisés comme, par exemple, le réseau « Généralistes & Toxicomanies »).

→ Toutefois, des consultations spécifiques ont été instituées en 2005 dans des centres dédiés : 40 % des consultants s’y présentent à la suite d’une injonction judiciaire, 30 % en raison d’un problème médical et 30 % à la demande des proches.

POUR ALLER PLUS LOIN

Ouvrages et organismes utiles

→ Le cannabis et ses risques à l’adolescence, Chabrol H., Choquet M., Costentin J. (2006), Coll. « Vivre et comprendre », Ellipses, 142 p.

→ Cannabis, données essentielles, Costes J.-M. (dir.) (2007), Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 232 p.

→ Cannabis : aider mon ado à s’en sortir, Poblete M. (2011). L’Étudiant, Paris, 187 p.

→ Le cannabis et sa consommation, Richard D. (2009), Armand Colin, Paris, 128 p.

→ Le cannabis, Richard D., Senon J.-L. (2010), Coll. « Que sais-je ? », Presses universitaires de France, Paris.

→ Le portail Internet de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT, www.ofdt.fr) propose des renseignements généraux et des liens.

→ L’Inpes (www.inpes.sante.fr) propose, notamment, une synthèse pratique sur le repérage précoce de l’usage nocif du cannabis.

→ www.drogues-info-service.fr : nombreuses informations, notamment sur les centres de consultation (rubrique : « S’orienter »).

→ « Écoute Cannabis » , est une plate-forme d’écoute téléphonique et de conseils pour les usagers de cannabis ayant des difficultés ou leurs proches. Tél : 0 811 91 20 20 (tlj 8 h-20 h).