Du temps pour soi | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 301 du 15/05/2012

 

AIDANTS EN AUVERGNE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

L’association Aide et Répit permet aux familles de patients Alzheimer (ou maladie apparentée) de souffler. Des « relayeuses » prennent les malades en charge à leur domicile durant plusieurs jours.

La maladie a gagné du terrain très progressivement. C’était comme si ma femme s’éloignait dans la brume, une image qui s’estompe, quelqu’un dans des sables mouvants qui, un jour s’enfonce et l’autre non, mais qui, en fin de compte, s’enfonce irrémédiablement, raconte avec émotion Pierre Boudrand, consultant et formateur. Puis, assez subitement, elle est devenue dépendante, n’arrivait plus à s’exprimer. C’est là que j’ai eu besoin d’aide pour pouvoir continuer mes activités professionnelles, garder des responsabilités. C’est mon oxygène. J’ai bataillé et j’ai eu la chance d’entendre parler d’Aide et Répit. » Véritable relais à domicile, l’association soulage les aidants familiaux et prend en charge les malades de manière efficace et non traumatisante en les maintenant dans leur univers familier. Cette solution évite aux familles de s’épuiser et, entre autres, d’avoir recours à des hospitalisations d’urgence, coûteuses et faites en désespoir de cause par manque de solutions en cas de surmenage ou de maladie. C’est parce qu’ils l’ont vécu avec leur conjoint ou un proche, et grâce à une écoute sensible, que les fondateurs de l’association savent appréhender ce qui peut être mis en place de façon cohérente.

« L’association Aide et Répit est née en 2007 d’une fusion des associations Soutien Alzheimer 63 et Passerelle Alzheimer, et du projet initié par Jean Escarguel et moi-même, explique Robert Martinez. Un projet avec quatre objectifs : accompagnement personnalisé, bistrot mémoire, formation et relais. » Inspirée du Baluchon Alzheimer@, créé en 1999 au Québec sous l’impulsion de Marie Gendron, infirmière québécoise et chercheuse en gérontologie, la structure se lance fin 2009 dans une phase expérimentale de deux années pour définir au mieux les besoins des familles et le bien-fondé d’un accompagnement à domicile 24 heures sur 24. Le malade est maintenu dans son environnement familier, condition sine qua non dans ce type de pathologie. À ce jour, le bilan est positif. L’association organise une quinzaine de relais à domicile par mois, et les familles demandeuses sont presque toutes devenues des usagers réguliers. D’une durée moyenne de quatre jours, l’action se limite pour l’instant à un rayonnement de 30 kilomètres autour de Clermont-Ferrand, pour 180 familles adhérentes. L’objectif est de réunir des équipes dans tous les bassins de vie du département d’ici à la fin de l’année.

Médiation et disponibilité

« Cela me touche personnellement, confie Julien Ratina, 22 ans, qui effectue son service civique au sein de l’association. Ma grand-mère souffrait de cette maladie et je connais les préoccupations des familles. » L’équipe de direction, bénévole, travaille avec une assistante, un chargé de mission, dix relayeuses et une coordinatrice. Ils sont tous salariés, aux côtés de 160 bénévoles. L’accompagnement des familles est personnalisé et vise à l’amélioration de leurs conditions de vie. La cotisation annuelle, de 36 euros par famille, donne accès au bistrot mémoire, aux réunions bimensuelles de formation des aidants, à un soutien personnalisé. « Les formations destinées aux aidants organisent aussi bien des groupes de parole que des interventions de professionnels sur des thèmes tels que nutrition, stimulation, conciliation de justice, cohésion d’équipe », explique Julien Mathonnière, chargé de mission. Tous les mardis, le bistrot mémoire propose un moment de convivialité où tous participent à une discussion autour d’un thème présenté par un expert : échange d’expériences, de questionnements…

L’équipe de relayeuses a été formée par des médecins, des neuropsychologues, des psychiatres, des gériatres. Soins, connaissance des pathologies, bientraitance, care, les thématiques abordées sont indispensables pour un relais de qualité. S’ensuit une formation continue, chaque mois, et des stages au sein de services spécialisés au CHU de Clermont-Ferrand. Sens de l’écoute, adaptation, logistique…, les qualités requises pour « remplacer », un temps, un aidant sont spécifiques. Pour recruter une relayeuse, Robert Martinez, retraité et ancien directeur régional de l’ANPE, respecte un cahier des charges précis et exigeant. Véritables pivots de bien-être pour l’aidant comme pour le malade, les relayeuses sont également un lien et un soutien pour les soignants : leurs observations, notées dans un cahier de correspondance, et leur recul face à la maladie et au quotidien du patient viennent en soutien à la prise en charge médicale. « La collecte de données dont nous nous chargeons est une véritable passerelle entre infirmières, monde médical, aidants, développe Jacqueline, relayeuse. Par ailleurs, nous devons tout savoir sur le lieu et les habitudes de vie, de l’emplacement du compteur d’eau aux préférences du malade dans tous les domaines. Les aidants nous font confiance et peuvent partir tranquilles. » « Savoir comment prendre le malade, communiquer avec lui…, ça ne se fait pas au pied levé !, souligne Huguette Mourlon, adhérente, dont le mari souffre de la maladie d’Alzheimer. C’est important de ne pas mettre le malade en échec, de ne pas le contrarier, de savoir évaluer la nécessité d’appeler un médecin ou le Samu. La formation des relayeuses est essentielle. » Unique en France, l’association s’est développée à l’aune des modèles québécois et belge. Le relais, de jour comme de nuit, pour une durée de deux à dix jours, s’effectue avec une équipe de trois relayeuses qui se succèdent toutes les huit heures. L’aidant peut partir l’esprit tranquille, assuré que son proche sera pris en charge sans que ses habitudes de vie soient perturbées. « Chaque malade est un cas particulier et entre dans la maladie avec son caractère, ses habitudes. J’ai trouvé chez les relayeuses des compétences avec un cœur gros comme une montagne, qui me garantissent une sécurité », assure Pierre Boudrand.

Une expertise humaniste

Pendant le relais, l’aidante professionnelle réalise toutes les activités habituelles qu’effectue l’aidant naturel : repas, sorties, loisirs, coordination avec les autres intervenants : infirmière, kinésithérapeute… Une complicité entre le malade et la relayeuse se met en place, par la parole quand c’est possible, le regard, le toucher. « Même si l’on a un certain recul, un lien se crée. Parfois, on a besoin d’en parler entre relayeuses », témoigne Jacqueline. Tous les quinze jours, l’équipe se réunit une demi-journée. « Il y a également la nécessité de l’écrit, des fiches de liaison. C’est toujours intéressant de commenter une difficulté. C’est un élément de référence, un plus pour les soignants. On voit beaucoup de choses que l’aidant ne voit pas, et le malade ne se comporte pas de la même façon. Et puis, il nous arrive d’aider une aide-soignante ou une infirmière pour certains soins. Être à deux peut parfois éviter de générer de la douleur ou de l’angoisse », ajoute Nathalie. Chacun a un rôle précis, qui n’empiète pas sur le terrain de l’autre. « Nous avons beaucoup de demandes d’infirmière, note Robert Martinez. Une infirmière coordinatrice est en cours de recrutement pour encadrer l’équipe de relayeuses. »

Labellisation de l’ARS

Financée, notamment, par la CNSA (Caisse nationale de solidarité et d’autonomie), l’ARS (Agence régionale de santé), le conseil général et le groupe de protection sociale Humanis, l’association a pour vocation de s’étendre au reste de l’Hexagone. Mais, de nouveaux financements restent à trouver, notamment auprès de prescripteurs tels que mutuelles, caisses de retraite, conseils généraux, caisse d’assurance maladie… Hébergée à Chamalières, Aide et Répit attend d’être labellisée par l’ARS, ce qui lui confèrera un statut semblable à celui d’un établissement médico-social. « Nous souhaitons créer des accueils de vie, développer nos actions “dedans et dehors” : au domicile comme dans des structures d’accueil de jour », précise Jean-Marie Antoine, vice-président. Avec une offre de répit au tarif de 60 euros la journée, minorée à 40 ou 20 euros en fonction d’un barème de ressources, le service de relais proposé par l’association est une exclusivité en France, qui n’attend que de perdurer et de se développer. Une solution d’avenir pour le trinôme aidant, malade et soignant. Une bouffée d’oxygène.

S’INFORMER

→ Association Aide et Répit, 11, rue des Saulées, 63400 Chamalières. Tél : 04 73 19 30 06. www.aideetrepit.fr

→ Le mystère Alzheimer

– L’accompagnement : une voie de la compassion, de Marie Gendron. Éditions de l’Homme, 2008..