« La décennie de notre libération » - L'Infirmière Magazine n° 300 du 01/05/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 300 du 01/05/2012

 

ANNÉES 1960

DOSSIER

Au diable les bonnes sœurs ! Elles désertent l’hôpital en emportant avec elles leur sacro-sainte valeur de soumission, et aussi ces chaussures blanches et ces voiles amidonnés qu’on nous imposait… Cette décennie aura été celle de notre libération en tant qu’infirmières. Et en tant que femmes : les hommes nous laissent respirer. 1965 : plus besoin de l’autorisation du mari pour travailler ; 1967 : la contraception est légalisée ; mai 1968 : deux jours de repos par semaine, dont un week-end toutes les trois semaines. Jusque-là, on avait relâche seulement le lundi, juste le jour de fermeture des magasins et des cinémas. En mai, certaines amies se sont investies dans la lutte, le jour à défaire des pavés, la nuit à refaire des pansements. Dans des écoles d’infirmières, les élèves se sont révoltées… Moi, j’ai gardé les enfants des manifestants au centre social où je travaille. Un centre flambant neuf, construit avec le soutien du maire, un médecin, ancien prisonnier de guerre. Le baby-boom le met en joie. Les gens ont eu soif de naissances. De vie. Dès 1945, l’État a créé la Protection maternelle et infantile, la PMI. Et, en 1947, notre spécialité d’infirmière puéricultrice, deux ans avant que nous ne fondions notre association nationale. J’ai été l’une des premières infirmières à quitter la pédiatrie et la chirurgie hospitalières pour la PMI. Depuis quelques années, les « puers » – à 100 % des femmes – y sont recrutées à tout-va, pour la prévention et l’hygiène. Nous nous occupons essentiellement de prématurés. Après chaque naissance, nous nous rendons à domicile pour voir si un suivi est nécessaire. Nous suivons également de près le travail des nourrices.

En revanche, nos liens avec l’hôpital sont minces. Les enfants, quelle que soit leur pathologie, même pour une simple fièvre, une pneumopathie ou pour équilibrer un diabète, y restent de longues semaines, voire un mois, jusqu’à guérison complète.

« Hospitalisme »

Ils sont enfermés à plusieurs par chambre, avec des sanitaires peu adaptés et des alarmes irritantes. Ils souffrent de diarrhée aiguë, beaucoup meurent de toxicose, sont frappés d’asthme. On nous parle, aussi, de plus en plus, des bactéries qui résistent aux habituels antibiotiques. Je trouve regrettable que les parents ne puissent rendre visite à leurs marmots que quelques heures par-ci par-là et soient cantonnés à l’inconfort d’une chaise. Dans certaines crèches, ils ont même interdiction d’entrer ! Et ce sont certaines infirmières ou médecins qui se substituent aux parents… Privés de tout repère matériel personnel (une peluche, par exemple), et, surtout, coupés de leurs proches, les gosses se balancent d’avant en arrière, sombrant dans ce qu’un psychiatre a appelé « l’hospitalisme ». D’accord, le personnel a affronté de sévères épidémies, mais l’hygiène impose-t-elle d’exclure ainsi les parents ? Apportent-ils, d’ailleurs, des infections ? De même, les mères ne peuvent toucher leur nouveau-né qu’une fois stabilisés. Les enfants sont alités en permanence, quand ils ne sont pas attachés. Pour éviter que les prématurés n’arrachent leurs perfusions, on leur lie pieds et poings, et on installe un sac de sable de chaque côté de leur tête. En fait, c’est tout l’hôpital, cette « usine à soins », qui rebute. Dans un reportage à la télé, on voyait des patients se sentant « peu à peu métamorphosés en gros hannetons impuissants et inutiles ». Beaucoup jugent les soins de bonne qualité, mais il leur faut parfois être logés près des cuisines pour manger chaud. Et que dire du chef de service, suivi de sa cour, qui examine publiquement les patients comme au spectacle ? D’accord, tout n’est pas aussi noir. Le mobilier, par exemple, fait plus moderne, avec de l’inox, du chrome, des revêtements plastifiés…, au lieu du métal peint en blanc, du bois, de la toile. Dans l’hôpital voisin, chaque mère dispose désormais d’une chambre équipée d’un cabinet de toilette séparé de la chambre, et doté d’un téléphone, d’une radio, d’une télévision. Les horaires des repas sont calés sur ceux de l’extérieur et les malades peuvent enfin recevoir des visites tous les jours de la semaine.

De fines techniciennes

Et que dire des progrès de l’imagerie médicale, des moyens d’investigation, des traitements (avec les victoires contre la méningite tuberculeuse), ou, plus prosaïquement, des roulettes à tous les lits. Mon mari, qui est aussi infirmier, travaille, lui, dans un secteur en plein boom depuis quelques années : les urgences et la réanimation. C’est vital, avec l’augmentation des graves traumatismes liés à l’essor des routes et des voitures. Plus généralement, on enseigne enfin aux infirmières qu’il faut, à chaque nouveau patient, changer de seringue et d’aiguille. L’arrêté du 17 juillet 1961 concernant le programme d’enseignement des soins infirmiers nous donne d’ailleurs une image de fine technicienne, douée de raison, capable d’agir et de décider, capable aussi de psychologie et de pédagogie auprès des malades et de leurs proches. En puériculture, on prend soin des enfants. Afin de prévenir toute luxation de la hanche, on les emmaillote dans des couches en tissu bourrées de cellulose, pliées en trois par une savante technique. On conseille aux parents de faire boire leur enfant souffrant de diarrhée… Au niveau des infirmières puers, on s’organise. En 1962, nous avons tenu notre premier congrès national. Le problème, c’est qu’on manque de ressources. On n’a jamais bâti autant d’hôpitaux, mais, depuis la guerre, il a bien fallu reconstruire aussi des routes et des villes… À l’hôpital, il faudrait quatre fois plus d’infirmières. Mes collègues y gagnent moins qu’en clinique. Et puis, elles doivent toujours porter ces galons de diverses couleurs, selon leur métier et leur grade, comme à l’armée. Et recouvrir leurs blouses de sparadrap, à cause de cet éloignement trop grand entre les boutons… Enfin, nous allons devoir encore nous battre pour que, après nous être affranchies de la subordination aux bonnes sœurs, nous prenions plus d’autonomie vis-à-vis des médecins…

CE QUI A CHANGÉ DEPUIS

La prévention en pédiatrie

→ La pédiatrie a été chamboulée, grâce, notamment, au calendrier vaccinal plus étoffé, ou encore, à la prévention. On se rend compte de l’importance des mouvements pour le développement psychomoteur, des effets néfastes de l’emmaillotage pour la circulation sanguine, du rôle essentiel des parents. Une circulaire d’août 1983 améliore l’hospitalisation. Les durées de séjour se raccourcissent, les activités (musique, travail scolaire…) se multiplient. Sauf exception, les enfants ne sont plus attachés et, pour ne pas arracher leur perfusion, sont gantés de moufles. En néonatalogie, le peau-à-peau est favorisé, l’hospitalisation conjointe de la mère, possible. La fréquentation des services de pédiatrie a baissé… Les infirmières de PMI rencontrent moins de familles nombreuses, mais plus souvent des parents séparés. Le métier des nourrices, devenues assistantes maternelles, va se professionnaliser. Et celui de puer s’ouvrir aux hommes, en 1975.