Un temps d’exception - L'Infirmière Magazine n° 297 du 15/03/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 297 du 15/03/2012

 

ESPACE SNOEZELEN

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

À l’hôpital Corentin-Celton (AP-HP), un espace Snoezelen permet d’optimiser la prise en charge de personnes en état de dépendance. L’équipe soignante livre ses expériences.

Né du partenariat de l’hôpital Corentin-Celton (AP-HP), à Issy-les-Moulineaux, avec l’association de bénévoles « Main dans la main et nos seniors », l’espace Snoezelen est installé sur le secteur de l’USLD depuis le 8 janvier 2009. Ce lieu de stimulations sensorielles, dédié au confort et au bien-être des résidents est un outil supplémentaire qui s’inscrit dans le projet de l’établissement, en lien avec la bientraitance, le toucher relationnel, axes développés pour optimiser la prise en charge thérapeutique des patients.

Pour rappel, le concept Snoezelen (contraction des mots néerlandais snuffelen : renifler, sentir, et doezelen : somnoler, se détendre) s’articule autour de trois axes : l’aspect relationnel ; l’aspect sensoriel ; la détente et le bien-être. L’objectif est d’accompagner la personne en état de dépendance, par des expériences sensorielles variées, dans une atmosphère de détente favorisant la stimulation des sens primaires : les stimulations visuelles : fibres optiques, colonnes à bulles, projecteur, miroir… ; les stimulations auditives : bruissement de l’eau, musique de relaxation… ; les stimulations olfactives : diffuseur d’huiles essentielles…; les stimulations tactiles : fibres optiques, tableau mural, accessoires vibrants…

Lieu de convivialité, de respect mutuel et d’écoute, l’espace privilégie la qualité d’accompagnement de la personne. C’est une démarche, un état d’esprit, où le corps est utilisé comme médiateur de communication (voir encadré p. 24). Ici, l’espace Snoezelen est utilisé de manière planifiée ou libre. Les équipes médicales et soignantes ont reçu une information leur permettant de proposer une prise en charge sur la base d’une réflexion collégiale. Douze personnes, IDE, AS, animatrices, rééducateurs, cadres, bénévoles, ont bénéficié d’une formation spécifique à l’utilisation de cet outil et sont donc des personnes ressources pour intervenir dans l’espace et informer leurs collègues. Trois types de prise en charge sont décrits ci-après, par des professionnels de métiers différents.

Témoignage de Fabienne Benchetrit, infirmière-art thérapeute

Marie-Thérèse est résidente dans l’unité de soins de longue durée depuis mars 1999, elle a été adressée par l’équipe de soins à l’initiative du médecin référent dans un contexte de troubles du comportement associant un refus d’alimentation et une agitation évoluant depuis plusieurs semaines. Elle est atteinte de démence de type Alzheimer de stade évolué. Elle est maintenue dans son fauteuil par une ceinture ventrale pour éviter les chutes ; une tablette est adaptée au fauteuil. Fabienne Benchetrit est infirmière-art thérapeute à l’HDJ. Elle assure la coordination et la gestion de l’espace au sein de l’établissement. Voici son témoignage.

« La première fois que je rencontre Marie-Thérèse, elle est souriante. Elle tente de communiquer par la parole, mais ses propos sont incompréhensibles. Son mode de communication se situe plutôt dans le domaine du non-verbal (variation de l’intensité vocale et de la gestuelle au cours de notre échange). Elle semble sensible aux marques d’attention et ne présente pas d’opposition franche à ma présence près d’elle. Lors de la visite de l’espace Snoezelen, alors que nous sommes installées face à face, elle engage l’échange en touchant différentes parties de mon corps, comme si elle en repérait les grandes lignes (visage/tête/mains/bras /avant-bras) ; ses gestes sont vifs mais sans agressivité. Après quinze minutes dans la salle, elle produit deux expirations profondes, ferme les yeux et semble s’assoupir. À l’issue de cette visite, je décide, en accord avec l’équipe, de proposer à Marie-Thérèse une prise en charge, à raison d’une séance par semaine, avec une contractualisation du projet après cinq séances. Durant les séances suivantes, la patiente marque des signes de reconnaissance de l’endroit et de l’accompagnante que je suis. À l’occasion d’une séance, alors que nous arrivons devant la salle, elle dit : « C’est là », et, en entrant : « C’est joli. » Sa prise de contact reste la même : elle délimite sa tablette en la « nettoyant » de l’intérieur vers l’extérieur puis entre en contact par le toucher (toujours selon le même déroulement, visage/tête/mains/bras/avant-bras). Elle n’apprécie pas d’être touchée en miroir de ce qu’elle propose. Lors des premières séances, elle retire mes mains de la tablette et, après quelques minutes, produit deux à trois expirations profondes et s’absorbe dans la contemplation de la colonne à bulles en vérifiant régulièrement qu’elle n’est pas seule. Au cours de la troisième séance, à l’issue de son rituel d’entrée, elle place mes deux mains au centre de sa tablette et les recouvre des siennes avant de se centrer sur elle-même en contemplant la colonne à bulles. Malgré le stade avancé du syndrome démentiel, les sas de séparation se ritualisent jusqu’au retour dans la maisonnée. Le geste de la main tendue pour l’au revoir me semble être intégré comme rituel.

Dans le même temps, les soignants rapportent que les soins sont spectaculairement plus aisés et que les apports alimentaires sont acceptés plus sereinement. À l’occasion de l’espacement du rythme des séances (une fois tous les 15 jours), l’équipe constate une réémergence des troubles du comportement lors des soins quotidiens (opposition et agitation, refus d’alimentation). Une reconduction des séances avec un compagnonnage transitoire des soignants de proximité est proposée de façon à envisager un relais et de tenter d’identifier des éléments apaisants à réutiliser au quotidien. Pendant les séances suivantes, Marie-Thérèse conserve les mêmes rituels. Les séances 9 et 12 se font en compagnonnage avec deux soignantes (la première avec l’aide-soignante, et la seconde avec l’infirmière, toutes deux référentes de Marie-Thérèse). Nous constatons, lors de ces deux séances, qu’après un bref moment d’observation, Marie-Thérèse accepte de façon spontanée le binôme et établit le contact comme à l’accoutumée, par le toucher qu’elle fait sur l’autre. Quelques mots apparaissent de façon adaptée au contexte et, lors de la 11e séance, elle accepte puis investit un coussin posé sur sa tablette. Elle bénéficiera ainsi de 13 séances, de mars à juin 2010. La prise en charge de Marie-Thérèse dans l’espace Snoezelen a donc permis de mettre en évidence sa capacité et son plaisir à entrer en contact avec autrui dès lors que son interlocuteur est identifié comme bienveillant. Elle montre sa volonté et sa satisfaction d’entrer en relation de sa propre initiative et sollicite de son vis-à-vis une écoute et une proximité physique qui lui permettent une “reconnaissance” visuelle et tactile. Ses étapes sont rendues possibles par l’adaptation comportementale de l’interlocuteur aux capacités de compréhension de la patiente dans un environnement où les sources de stimulation sont assimilables. »

Témoignage de Nicole Crapart, kinésithérapeute

Nicole Crapart est kinésithérapeute dans une équipe mobile d’accompagnement (douleur et soins palliatifs), et à mi-temps en SSR et USLD. Voici son témoignage. « Jai bénéficié d’une formation Snoezelen. Cela me permet d’approfondir mes prises en charge sous un angle plus relationnel, dans l’espoir d’améliorer le bien-être des patients que l’on me confie. Je connaissais Madame D., patiente de 80 ans atteinte d’une maladie à corps de Lewy, admise en SSR pour rééducation à la suite d’une fracture de l’olécrane consécutive à une chute dans un contexte de chutes à répétition (dues à une hypotension orthostatique). Elle avait récupéré de sa fracture, pouvait marcher avec aide, mais était sous contention de protection quasi permanente, ce qui augmentait son état de détresse et d’agitation : alternance de visage apathique et de visage panique, appels au secours dans sa gestuelle… De plus, cette ancienne professeur de lettres présentait des troubles du langage qui augmentaient son isolement. Devant son désarroi et son mal-être, son incapacité à s’exprimer, une prise en charge dans l’espace Snoezelen lui est proposée. Elle commence alors simultanément un travail avec l’orthophoniste. Nous avons eu l’idée d’intervenir l’une après l’autre, pour la continuité et la cohérence des soins. L’aspect relaxant de l’espace et l’écoute de la musique contribuent dans un premier temps à l’apaiser, les mots lui venant plus facilement. La proposition d’une stimulation sensorielle olfactive (lavande) et d’une stimulation sensorielle auditive (bruits d’eau, qu’elle choisit) l’amène à raconter sa « Rives », sa rivière natale, et à décrire sa jeunesse dans le Vercors, et ses choix de vie. Sa narration est d’autant plus fluide qu’elle a travaillé, avant la séance, avec l’orthophoniste. Le calme de l’espace et du temps donné lui permet de choisir ses mots.

Nous sommes, en outre, dans un état de va-et-vient dans l’espace où la relaxation l’aide à se retrouver (même physiquement puisque, s’apercevant dans un miroir, elle finit par se reconnaître), ce qui la pousse à se raconter. La vue de mon badge de kiné la ramène par moments dans une réalité et dans des phases plus actives, elle réinvestit ses capacités corporelles en toute liberté. Sa contention enlevée, accompagnée dans ses déplacements et dans ses gestes, elle choisit les endroits où elle se sent libre de s’allonger, de s’étirer, de se regarder. Huit séances au total, très riches, conduisent la patiente à une diminution appréciable de son comportement anxiogène et à une amélioration de sa qualité de vie (sourires). Elle supporte la contention, en l’acceptant au lieu de la subir, elle comprend son utilité. L’investissement interdisciplinaire de l’équipe autour de cette patiente, le respect de son rythme, de ses besoins, de ses envies, ont contribué à cela. Elle a pu, ensuite, bénéficier d’un retour à domicile et d’une prise en charge en hôpital de jour, alors que le projet initial était une orientation vers une structure médicalisée. »

Conclusion

« Snoezelen est souvent un temps d’exception, qui pourrait être utile à de nombreux malades. En effet, la démarche nécessite de la part de l’accompagnateur de voir le patient de manière différente, de ne plus être seulement un “technicien” mais d’affirmer sa qualité relationnelle et d’écoute, dans un temps calé sur la réalité du patient. Dans cet espace privilégié, celui-ci devient le guide du soignant qui, de ce fait, vient à sa rencontre là où il se trouve (et devient l’accompagnateur). À travers ce processus, le soignant s’appuie sur les observations recueillies en séance pour améliorer ses pratiques et individualiser le projet de vie. Soulignons que la possibilité d’associer un kinésithérapeute à la prise en charge a grandement élargi l’utilisation de l’espace Snoezelen, puisque nous arrivons à obtenir l’adhésion de patients réfractaires à la rééducation. En revanche, les soignants se heurtent parfois à des résistances dues aux contraintes d’organisation du travail. Une aide-soignante a, ainsi, dû renoncer à utiliser cet espace la nuit, initiative pourtant très profitable. La démarche doit pouvoir être relayée par les équipes, ce qui suppose aussi qu’elles en voient le bénéficie immédiat.

Dans les différents exemples cités, la prise en soin nécessite vraiment un temps “dédié”, qui doit être autorisé dans une organisation de travail au quotidien. Il apparaît nécessaire aujourd’hui de nous interroger sur les moyens d’associer les soins techniques aux soins relationnels plutôt que de les opposer ou de privilégier les uns au profit des autres sous le prétexte d’un manque de temps. Cela, pour un accompagnement de qualité au quotidien. Nous savons désormais que les activités thérapeutiques non médicamenteuses sont essentielles et incontournables pour l’accompagnement de nos patients, qui, autant que tout autre, ont un besoin vital de reconnaissance de leur appartenance à notre groupe commun, l’humanité. Ce sont une réflexion et une démarche institutionnelles qui engagent tous les acteurs de soins. »

→ Cet article a été réalisé par Fabienne Benchetrit, infirmière art thérapeute, Nicole Crapart, kinésithérapeute de l’équipe mobile, Corinne Carpentier, aide-soignante à l’animation USLD, Pascale Langlade, cadre de santé HDJ gériatrie, hôpital Corentin-Celton (AP-HP).

POINT DE VUE

Un échange grâce au toucher

CORINNE CARPENTIER, AIDE-SOIGNANTE À L’ANIMATION USLD, ET CAROLINE CHAVANEL, BÉNÉVOLE DE L’ASSOCIATION « MAIN DANS LA MAIN ET NOS SENIORS »

Nous proposons aux patients de l’USLD une séance de toucher-détente et d’écoute musicale. Notre objectif est de permettre un moment de détente et de bien-être dans un environnement privilégié ouvrant sur un autre échange relationnel : « le toucher ». Après concertation avec l’équipe soignante, nous décidons de prendre en charge les résidents isolés et en grande dépendance, qui ne peuvent pas bénéficier des animations traditionnelles. Ces derniers n’ayant plus l’usage de la parole, nous nous appuyons sur l’observation de leurs expressions corporelles (mimiques, tonus musculaire, posture, respiration) pour individualiser nos actions. L’atelier accueille deux résidents, une fois par semaine. Les contre-indications sont le refus du résident (refus d’être touché) et les troubles du comportement gênant l’activité en groupe. Afin que des repères soient mis en place, le déroulement d’une séance ne varie pas (accueil et installation, présentation du contenu, temps d’échange et de séparation…). Dans ce dispositif, le toucher est notre support de communication. Au fil des semaines, nous constatons que le simple fait de prendre le temps d’entrer en contact avec le patient instaure un climat de confiance et construit une relation qui lui redonne le sentiment d’exister, d’être une personne.