LES SOIGNANTS FACE AU PATIENT ALCOOLISÉ - L'Infirmière Magazine n° 296 du 01/03/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 296 du 01/03/2012

 

CONDUITE À TENIR

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

À l’hôpital, les équipes de soins psychiatriques gèrent des situations difficiles. Règles à suivre.

Quelque 20 % des personnes admises aux urgences présentent une alcoolémie positive, et 5 % de ces admissions sont le fait d’intoxications éthyliques aiguës liées à d’autres situations nécessitant une hospitalisation. La gestion du patient ivre est souvent compliquée. Aux représentations souvent négatives de « l’alcoolique », s’ajoute le stress des équipes soucieuses de s’occuper correctement de « vrais malades », le tout conduisant à des attitudes de rejet de ces patients parfois bruyants, agités et agressifs. Dans ce contexte rappelé par M. Valleur(1) (psychiatre et médecin-chef de l’hôpital Marmottan) et par G. Dufayet, psychologue en addictologie, il est important de revenir sur quelques règles de « bonne conduite », celles-ci émanant d’entretiens avec plusieurs équipes de soins psychiatriques(2).

Gérer l’ivresse

– Apprécier le risque auto et hétéro-agressif dès l’entrée.

– Rester calme, gérer ses émotions (peur, dégoût…).

– S’exprimer posément et clairement et s’assurer que l’on est compris.

– Rappeler le cadre de soins en cas de débordements.

– Éviter les propos culpabilisants ou moralisateurs, les jugements de valeur, les positions paternalistes.

– Rester empathique : garder en tête que la dépendance est une « vraie maladie », et « qu’ils ne le font pas exprès ».

– Retirer les bouteilles contenant de l’alcool ou équivalent.

– Ne pas donner d’informations contradictoires au patient (ex. : autorisation de fumer dehors).

– Bien évaluer l’état somatique (TA, FC, T°, glycémie, recherche de signes d’intoxication et de sevrage) et la nécessité de soins immédiats.

– Proposer de l’eau à boire.

– Attention aux abus de diagnostic de dépression aux urgences en première intention. À l’inverse, des psychoses, des troubles de la personnalité ou de l’humeur « masqués » par l’addiction peuvent se révéler dans un second temps.

– Rechercher le « pourquoi ici, maintenant ? » au regard des antécédents du patient, de son mode de vie et de ses capacités adaptatives.

– Isoler le patient dans un endroit éclairé, en particulier lorsqu’il est sthénique et angoissé, la présence de spectateurs contribuant souvent à majorer la symptomatologie. La sédation médicamenteuse peut utilement compléter la prise en charge. Les contentions – même de courte durée – peuvent avoir un intérêt, notamment chez le patient agité « inaccessible à la parole ».

– En cas de demande de sevrage en urgence, l’hospitalisation est généralement contre-indiquée, le sevrage devant s’inscrire dans le cadre d’un suivi ambulatoire avec projet de postcure. L’hospitalisation n’est incontournable qu’en situation de débordement familial. Elle doit alors se faire sous contrainte (SPDT, SPU, SPPI).

– L’entretien familial avec le patient est contre-indiqué en urgence. S’il est nécessaire, il est préférable de le faire séparément.

– Lorsque la sortie est envisagée, rappeler au patient l’intérêt d’un suivi ; s’il était déjà instauré, privilégier la continuité des soins ; sinon, donner quelques adresses (voir Savoir plus p. 40).

Introduction d’alcool sur un lieu de soins

– Garder de la mesure dans les paroles et les gestes échangés avec le patient.

– Confisquer la bouteille en rappelant le cadre : les règles de fonctionnement de l’établissement, le contrat de soins…

– Rappeler le caractère délétère des prises d’alcool associées ou non aux médicaments.

– Proposer au patient de s’exprimer à propos de son geste et l’inviter à parler de ses difficultés avec l’alcool.

– Informer le patient que son médecin sera mis au courant.

– Ne pas banaliser le geste même s’il se répète.

– L’éviction du patient du service s’applique dans le cadre d’une rupture de contrat de soins à l’occasion d’un sevrage.

En parler, première étape vers la guérison

« On révèle encore trop de cas de personnes dont les problèmes d’abus ou de dépendance aux substances psycho-actives n’ont pas été pris en compte par l’équipe soignante. Soit du fait d’un manque d’information et de sensibilisation, soit en raison d’un manque de disponibilité de la part de celle-ci (…). S’y ajoute parfois un phénomène de déni ou de rejet »(3) Pour pallier ces difficultés, les infirmiers travaillant dans des services d’addictologie conseillent de « ne pas faire comme si de rien n’était » et de se rendre disponible pour créer une relation de confiance permettant au patient de s’exprimer sans risquer de faire l’objet d’un jugement dépréciatif. Ils soulignent qu’avant cette étape importante d’écoute, il y a lieu, notamment, de prendre conscience de ses propres représentations de « l’alcoolisme » et de ne pas fantasmer sur la possibilité d’un résultat immédiat en réponse aux « bons conseils » prodigués. « La corde ne va pas forcément être saisie au moment où elle est tendue », comme le rappelle G. Dufayet.

1– M. Guedj-Bouriau, Urgences psychiatriques, éd. Masson 2008, p. 381.

2– E. Richonnet, IDE, service du D Salvaresi, 75G24, Hop. Maison Blanche ; J.-L. Leriche, aide-soignant, et V. Anselly, IDE, G. Dufayet, psychologue clinicien, M. Fourage, IDE et C. Villani, IDE, service d’addictologie du Pr Lejoyeux, Hôpital Bichat-Claude Bernard ; C. Le Gall, cadre, L. Maubouche, IDE, A. Bouilly, IDE, V. Balanger, IDE, S. Ball, IDE, CPOA, CH Sainte-Anne.

3– « Guide de bonnes pratiques pour les équipes hospitalières de liaison et de soins en addictologie », ministère de la Santé, de la Famille et des Personnnes handicapées, déc. 2003.