Alcool et personnes âgées - L'Infirmière Magazine n° 296 du 01/03/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 296 du 01/03/2012

 

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

Les particularités de l’addiction à l’alcool chez les personnes âgées restent méconnues. Le point avec le Dr Pascal Menecier, addictologue au Centre hospitalier de Macon, spécialiste de cette problématique.

Comment dépister les personnes âgées addictes à l’alcool ?

En matière d’addiction, il s’agit plus de repérage précoce que de dépistage, car on ne diagnostique pas le trouble avant qu’il ne s’exprime, il est déjà présent. On tente de l’aborder au plus tôt, avant de laisser évoluer conséquences négatives et souffrances induites. Il y a lieu de privilégier une approche globale. En effet, le mésusage de l’alcool chez les personnes âgées peut être « noyé » au milieu d’autres addictions qui compliquent le traitement : addictions au tabac, aux psychotropes, aux benzodiazépines, aux hypnotiques, aux jeux, aux achats… Les enquêtes épidémiologiques sur ces addictions croisées sont peu nombreuses mais n’oublions pas que le poids de l’État et celui des prescripteurs peuvent expliquer le peu d’intérêt qu’on leur porte… L’alcool, le tabac ou les jeux sont des sources de revenu importantes, et les recom­mandations de bonne pratique concernant les modalités et durées de prescription des benzodiazépines ne sont guère respectées… Deux difficultés au repérage précoce de l’addiction méritent d’être soulignées :

– les critères d’abus ou de dépendance tels qu’ils ont été définis dans le DSM IV(1) et sont recherchés à travers les questionnaires valides chez l’adulte (DETA, AUDIT…, voir encadré p. 34) perdent de leur validité chez la personne âgée car ils prennent notamment en compte les répercussions de l’alcoolisme sur la vie familiale et la vie professionnelle, souvent absentes ou limitées chez les aînés ;

– la sensibilité du dosage des GGT (gamma-glutamyl-transferases) et du VGM (volume globulaire moyen) qui est de l’ordre de 85 % chez l’adulte, diminue nettement avec l’âge, car d’autres étiologies expliquent les perturbations hépatiques ou la macrocytose.

En l’absence de questionnaires validés en français chez les aînés, le plus simple est d’aborder verbalement le sujet avec la personne âgée en axant plus les questions sur les effets secondaires que sur les quantités d’alcool consommées. Préconisation plus facile à formuler qu’à mettre en pratique vu les difficultés pour les soignants à, d’une part, considérer l’existence possible d’un mésusage de l’alcool chez les aînés supposés « sages et raisonnables » et, d’autre part, dépasser leurs préjugés discriminatoires : « C’est leur dernier plaisir, pourquoi les en priver ? À leur âge, ils ne risquent rien. » Sur le plan biologique, le dosage de la CDT (Carbohydrate Deficient Transferrin), dont la spécificité reste bonne chez la personne âgée, est à privilégier. Le dosage de la transferrine rend compte de la consommation des patients au cours des trois dernières semaines.

Les personnes âgées sont-elles plus vulnérables à l’alcool ?

Les personnes âgées ont une sensibilité accrue à l’alcool. Ainsi, une consommation sans conséquence pour un adulte jeune peut avoir des effets délétères chez elles. Il faut donc revoir la notion « d’usage à risque », et le seuil de consommation établi chez l’adulte(1).

Quel est le profil des personnes âgées touchées ?

Lorsqu’on pense mésusage de l’alcool chez les personnes de plus de 70 ans, la première image qui vient à l’esprit est celle de personnes « surconsommant » de longue date et ayant « miraculeusement » échappé aux complications somatiques et psychiques de tels abus. À côté de ce cas de figure, se multiplient les cas de mésusage chez des personnes âgées indemnes jusqu’à lors de « problèmes d’alcool ». L’apparition d’un alcoolisme à début tardif chez un tiers des aînés doit être interrogée au regard de la théorie développementale élaborée par C. Olivenstein, qui définit l’addiction comme « une rencontre entre un individu et un produit dans un contexte particulier ». Âgé, l’individu est confronté aux effets du vieillissement sur son corps et son esprit mais aussi à des situations de deuil et de renoncement qui accentuent sa vulnérabilité. Si, au fil des années, les pertes qui accompagnent les périodes critiques de l’existence que sont l’adolescence, la mise en couple, l’arrivée des enfants… sont compensées par des bénéfices, à un âge avancé, les pertes ne sont hélas guère contrebalancées par des avantages. Les addictions qui apparaissent dans ce contexte sont souvent méconnues, ce d’autant que les consommations d’alcool sont plutôt solitaires et que leur quantification peut être faussement rassurante, car elle ne sera pas aussi élevée que chez l’adulte jeune.

La dépression rend-elle compte de l’apparition de l’alcoolisme ?

Le lien est important mais pas exclusif. Certes, la dépression de la personne âgée est parfois déclenchée par les évènements de vie douloureux et peut favoriser l’apparition d’un mésusage de l’alcool employé à visée « autothérapeutique » mais, à l’inverse, la surconsommation d’alcool est une des premières causes de dépression. Rappelons que l’alcool est, hélas, puisamment dépressogène, anxiogène, destructurateur du sommeil… Le sevrage alcoolique est d’abord recommandé chez l’alcoolodépendant déprimé, permettant une amélioration plus de deux fois sur trois, avant d’envisager un traitement spécifique.

Devant quelle symptomatologie doit-on évoquer le diagnostic ?

Les effets secondaires, immédiats et différés, de l’alcool sont les mêmes que chez les plus jeunes, mais les erreurs diagnostiques sont nombreuses, liées à la méconnaissance de ces manifestations chez les personnes âgées. Les symptômes tels que la chute ou la confusion, induits par l’ivresse, renvoient, à tort, le clinicien vers d’autres hypothèses diagnostiques.

Certains soins sont-ils spécifiques à cette classe d’âge ?

Les recommandations officielles établies pour les adultes jeunes restent valables pour les personnes âgées (reconnaissance de la maladie, sevrage, consolidation…). Parfois, l’objectif d’abstinence totale débutant par l’incontournable étape de sevrage (hospitalier ou pas) peut être discuté et laisser place à une ambition plus modeste s’inscrivant dans le cadre d’une approche bio-psycho-sociale de « réduction des méfaits » dont rend compte le slogan « Boire moins, c’est mieux » du programme de l’Anpa (Association nationale de prévention de l’alcoolisme). Il n’y a pas de protocole applicable à tous mais une offre de soins à adapter au cas particulier.

Les soins relationnels m’apparaissent essentiels bien que peu valorisés à une époque qui privilégie les approches techniques et où la disponibilité temporelle par soignant ne cesse de diminuer. L’entretien infirmier a pour fonction de repérer, soutenir, orienter… À ceux qui travaillent à domicile et développent des relations privilégiées et durables avec les patients, je conseille de ne pas rester seuls face à l’addiction. Mieux vaut chercher des relais pour difracter le transfert et éviter le risque d’épuisement et de rejet en cas d’échec relatif de la prise en charge.

Que pensez-vous des Ehpad où l’alcool est à disposition au repas ?

Les Ehpad sont des lieux de vie avant d’être des lieux de soins, ce qui pose la question de l’illégitimité d’interdire la consommation d’alcool. Reste que ces établissements hébergent plus de 50 % de patients atteints de maladie d’Alzheimer ou de troubles apparentés, souvent polymédiqués et très sensibles aux effets de l’alcool dès le premier verre…

1– Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.

2– 1 à 2 verres/jour (ou 7 à 14 verres/semaine) chez l’homme ou la femme âgés, et pas plus de 3 verres lors des occasions exceptionnelles. Un verre équivaut à 10 g d’alcool pur.