Un cas clinique à la loupe - L'Infirmière Magazine n° 292 du 01/01/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 292 du 01/01/2012

 

EN PRATIQUE

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

Mme J., 56 ans, est adressée par son médecin à la consultation spécialisée de douleur pour « des douleurs importantes et difficiles à soulager malgré de nombreux essais de traitements antalgiques ». Cette consultation se déroule en présence du médecin et de l’infirmière de la consultation douleur.

La patiente exprime une grande lassitude à l’idée de devoir à nouveau raconter son histoire alors que rien ne la soulage et qu’on ne la croit pas quand elle dit qu’elle a mal. Elle est actuellement en arrêt de travail. Elle est agent administratif dans une mairie. Elle aimait son travail et l’ambiance avec ses collègues, mais ne sait pas si elle pourra, ni même si elle a envie de reprendre cette activité. Elle est mariée et mère de deux enfants. Elle sera grand-mère dans trois mois.

Manifestations et traitement de la douleur

→ Localisation : les douleurs se déplacent en de nombreux endroits du corps : tête (tempes, front), épaules, poignets, mains, jambes, thorax. Elles « voyagent dans tout son corps », sans facteur déclenchant, et augmentent avec l’effort (travail domestique…). L’intensité est variable, en moyenne 5/10 (EVA).

→ Description : la douleur peut être diffuse, avec des accès aigus. Dans le QDSA, Mme J. choisit les termes « élancement », « décharge électrique », « coup de marteau », « de poignard », « pincement », « étau », « broiement », « tiraillement », « chaleur », « picotement », « fourmillement », « engourdissement ». Elle dit que tous ces mots peuvent décrire ce qu’elle ressent, mais que ce n’est pas toujours la même chose. La douleur varie, et c’est ce qui est difficile à décrire.

→ Fréquence : la douleur est constamment présente, lancinante, avec des phases d’augmentation qui peuvent durer de quelques heures à plusieurs semaines.

→ Retentissement :

– sur le schéma corporel : la patiente explique qu’elle sent comme un « flottement dans sa tête, comme si elle était dans du coton » ;

– sur ses activités : la douleur perturbe son travail (arrêt de travail prolongé), ses loisirs (arrêt de la gymnastique, de la photographie, des sorties avec ses copines au cinéma ou au restaurant) ;

– maintien de la marche, seule, dans son environnement habituel. Elle s’oblige à faire 4 à 6 km/jour ;

– elle ne sait pas ce qui atténue ou soulage sa douleur, en dehors du souvenir d’une cure thermale effectuée la première année d’apparition des symptômes, il y a onze ans. Pendant et aussitôt après la cure, elle avait l’impression de « revivre » car elle ne souffrait plus, mais cela n’a pas duré.

Les bilans radiologique, scintigraphique et biologique sont normaux.

→ Le traitement prescrit par le médecin adresseur est : Lamaline, 2/j ; Tétrazépam, 1/j ; Ixprim, si besoin s; Dafalgan, à la demande.

Mme J. précise qu’elle n’a pas pris le Tetrazepam parce qu’après quelques jours, elle avait des vertiges, elle oubliait tout. Comme elle craint de contracter la maladie d’Alzheimer, elle a préféré arrêter. Elle prend rarement la Lamaline et attend le plus longtemps possible de ne plus supporter ses douleurs pour recourir au Dafalgan parce qu’elle a peur de s’y habituer. Son mari pense qu’il faut limiter les médicaments et les garder pour les « vraies maladies ».

Signes associés

→ Sommeil : Mme J. ne reste pas beaucoup au lit, elle se réveille avec l’impression d’être fatiguée malgré une nuit de sommeil. Elle se force cependant à poursuivre des activités, compte tenu de l’état de son mari, malgré l’aide qu’ils reçoivent.

→ Alimentation : elle mange bien, sauf en cas de doulours intenses.

→ Anxiété : elle a peur de finir en fauteuil, d’avoir une maladie grave que l’on ne peut pas détecter, comme une tumeur au cerveau. Quand elle y pense, elle a des bouffées d’angoisse et se sent déprimée, ce qui aggrave ses douleurs. Alors, elle a l’impression que c’est la douleur qui dirige toute sa vie, qu’elle n’a plus de maîtrise sur ce qu’elle aimerait faire. Avant, elle n’était pas comme ça, elle aimait sortir, danser, rencontrer des amis. Maintenant, elle a toujours peur de ne pas se sentir bien, alors elle préfère rester chez elle et ne rien prévoir.

Relations sociales

Mme J. parle peu de ses douleurs, parce que les gens se lassent de l’entendre se plaindre. Elle parle peu de ses problèmes à son mari, atteint d’une sclérose en plaques. Elle a l’impression qu’il ne se rend pas compte de sa fatigue et ne la croit pas puisque ses examens sont normaux. Il lui reproche de beaucoup se plaindre alors que lui-même aurait davantage de raisons de le faire. Ils n’ont plus de vie sexuelle depuis de nombreuses années, bien avant que Mme J. ressentent des douleurs. Elle a de bonnes relations avec ses enfants, qui habitent loin et qu’elle voit rarement. Ils ont leur vie et elle ne veut pas les ennuyer avec sa maladie, cela a déjà été assez difficile pour eux de passer leur adolescence avec leur père malade. Elle s’est occupée de ses parents pendant leur fin de vie : son père est décédé il y a douze ans, et sa mère voilà deux ans. Ses premières crises douloureuses ont débuté un an après la mort de son père. À l’époque, le médecin avait pensé à une arthrose, car la mère de sa patiente était atteinte de polyarthrite.

Mme J. trouve qu’elle n’est plus bonne à grand-chose. Avant, elle menait son travail et sa maison, maintenant tout la fatigue. Elle parvient encore à se détendre devant certains films à la télévision, mais n’irait pas les voir au cinéma car elle ne peut pas rester assise dans un fauteuil sans bouger. Elle mène une vie tranquille avec son mari, agréable, puisqu’ils ont de quoi vivre correctement malgré la maladie, les enfants ayant une situation.

Proposition de prise en charge

→ Identifier les attentes de la patiente.

→ La rassurer concernant les effets indésirables des médicaments, le risque de maladie d’Alzheimer.

→ Reprendre le diagnostic de fibromyalgie et sa physiopathologie en termes simples et en dédramatisant.

→ La convaincre de la nécessité de tenir un agenda de l’évaluation de la douleur, de l’anxiété, des facteurs liés aux situations de crise, de la prise régulière et adaptée d’antalgiques.

→ Prescrire le fractionnement des phases d’activité et de repos en reprenant des activités agréables de façon progressive.

→ Proposer une consultation, éventuellement en présence de son mari.

À SAVOIR

Une journée pour sensibiliser

→ Florence Nightingale, figure emblématique de la profession d’infirmière, a très certainement souffert, dès l’âge de 37 ans et jusqu’à sa mort, du syndrome fibromyalgique, étiqueté dans son cas « fièvre de Crimée ». Elle a établi pour ses pairs et pour toute la communauté soignante des principes fondamentaux concernant la réponse aux besoins des personnes malades : l’observation et l’écoute, si importants pour identifier et entendre les patients douloureux. Le 12 mai, jour de sa naissance, a été retenu pour marquer la Journée mondiale de la fibromyalgie. L’objectif est de sensibiliser les gouvernements, les institutions et les media sur la situation des personnes qui souffrent de ce syndrome.

www.journee-mondiale.com/27/12_mai-fibromyalgie.htm.