LE DÉNI DE LA DOULEUR - L'Infirmière Magazine n° 292 du 01/01/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 292 du 01/01/2012

 

RISQUE

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

En l’absence de signes identifiables, les soignants ont encore tendance à minimiser les douleurs des patients atteints de fibromyalgie.

Le déni de la douleur est un risque que peut rencontrer tout patient, un comportement que peut adopter tout soignant. « La douleur est ce que le patient dit qu’elle est », « en toutes circonstances, il faut croire le patient ». Ces assertions répétées depuis plusieurs années maintenant n’empêchent pas les personnels de soins, même correctement formés à la prise en charge des patients douloureux, d’être confrontés au risque de douter, voire de nier la réalité des douleurs exprimées, d’autant qu’elles ne s’expliquent pas par des lésions identifiables.

Doutes

Les patients douloureux chroniques et, en particulier, ceux atteints de fibromyalgie, sont, plus que d’autres, confrontés à ce risque. En effet, en l’absence de signes objectivables et de causes permettant de comprendre les raisons de la douleur, le soignant, formé selon une rigueur cartésienne, doute de la véracité de ce que lui dit le patient, considérant, le plus souvent, que « ce que dit le patient n’est pas vrai ».

Confronté lui-même à ces doutes alors qu’il est médecin spécialiste de la douleur, Nicolas Danziger tente d’aider à la compréhension de ce phénomène de déni. Il souligne, dans son ouvrage, que « la plupart des études cliniques effectuées ces vingt dernières années montrent que les soignants, qu’ils soient médecin, infirmière, sage-femme, kinésithérapeute, ont souvent tendance à sous-évaluer l’intensité de la douleur de leurs patients. Cette sous-estimation de la douleur d’autrui s’observe aussi bien dans le contexte aigu des urgences que dans l’intimité du cabinet médical, et n’importe quel patient – enfant, adulte ou vieillard – peut en faire l’objet ». Il précise que cette sous-estimation ne peut pas être mise en relation avec le manque d’expérience et de formation, bien au contraire, puisqu’il semble que dans une étude réalisée, il est vrai, en 1990, les infirmières les plus chevronnées étaient celles qui sous-évaluaient le plus la douleur des patients dont elles s’occupaient (Choinière et all. 1990).

Interprétation

Pire encore, dans des études comparant les scores de douleur des patients à ceux des soignants, il a été mis en évidence que ce sont les patients dont les douleurs sont les plus élevées qui ont le plus de risques de voir leur douleur minimisée par le soignant. Ainsi, les taux de concordance peuvent aller de 80 % (pour les douleurs les plus faibles) à 13 % (pour les douleurs les plus fortes).

Les différences culturelles sont également des facteurs qui influencent fortement le comportement des personnels soignants, comme le mettent en évidence plusieurs études menées dans différentes régions de la planète. Ainsi, plusieurs études conduites aux États-Unis ont permis de pointer des différences de prescription de traitements antalgiques en fonction de l’ethnie à laquelle appartient le patient, parfois alors même que la douleur a été correctement évaluée.

Pour Nicolas Danziger, ce n’est pas la perception de la douleur de l’autre qui pose problème, mais l’interprétation que nous en faisons et un certain « refus délibéré de croire son patient sur parole ». Les soignants et l’entourage font, ainsi, porter au patient la responsabilité de sa douleur, ce qui ajoute à sa souffrance et à son sentiment d’incompréhension.