Des infirmières aux manettes - L'Infirmière Magazine n° 292 du 01/01/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 292 du 01/01/2012

 

VILLES ET SANTÉ DES JEUNES

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Certaines collectivités s’investissent plus que d’autres dans des politiques de promotion de la santé des jeunes. Découverte du métier de ces infirmières en charge de programmes de santé publique et scolaire, fortement axés sur la prévention et l’éducation, via des méthodes pédagogiques souvent ludiques.

Mvec 20 000 morts chaque année en France, les accidents de la vie courante tuent cinq fois plus que la route ! Soixante-deux pour cent des victimes sont des enfants de moins de 4 ans. C’est pourquoi la ville va louer cet appartement de démonstration. Les visiteurs y repéreront avec un animateur les situations à risques et chercheront les moyens de limiter les dangers. » Sylvie de Paulis, infirmière chef de projet prévention santé à Meyzieu, dans la banlieue est de Lyon, commente ainsi le thème de sa prochaine exposition : « L’appartement de tous les dangers ». Sur ce même thème, la commune a déjà mené des actions de prévention auprès des scolaires. Une jolie maison de poupées sert à mettre en scène les situations où les accidents domestiques risquent d’arriver (voir photo ci-contre).

Ces deux exemples illustrent la palette d’actions très variées que conduisent certaines villes pour promouvoir la santé, tant auprès des familles que dans les écoles maternelles et élémentaires. Cette éducation à la santé englobe des thématiques aussi diverses que la promotion de l’activité physique, les gestes d’hygiène corporelle et bucco-dentaires, les rythmes de vie, la lutte contre la maltraitance ou les abus sexuels… Les villes volontaires les mettent en œuvre, notamment, à travers des dispositifs comme les ateliers santé ville, les espaces santé jeunesse ou des programmes particulièrement développés de santé scolaire (voir encadré p. 24).

Le dispositif Ebode à Meyzieu

Meyzieu est, notamment, en pointe en matière de lutte contre l’obésité. Elle compte parmi les dix villes pionnières qui ont mis en place le dispositif Epode (voir encadré p. 24), en 2004, un programme dont l’objectif est d’amener les familles à « modifier en profondeur et durablement leur mode de vie grâce à la mobilisation des acteurs locaux ». Il vise désormais l’ensemble de la population, même si les enfants en restent la cible prioritaire. « Depuis longtemps, la diététicienne de la ville et les infirmières scolaires travaillent le thème de l’alimentation, commente Sylvie de Paulis. Nous essayons de promouvoir une nutrition équilibrée, nous déclinons le message par le biais de différentes actions. Par exemple, pour intéresser les enfants, on évoque les fruits et les légumes à travers leurs saveurs, leurs odeurs, leur représentation dans les arts plastiques. De leur côté, les animateurs périscolaires et les enseignants utilisent les jardins pédagogiques. Une consultation gratuite de suivi pour les enfants diagnostiqués en surpoids est menée par les infirmières puéricultrices et les médecins de la PMI. »

Des temps forts sont également prévus sur l’année, en partenariat avec la diététicienne communale. « Ainsi, à Pâques, explique l’infirmière, la ville propose une chasse aux œufs aux familles. On essaie de les sensibiliser sans organiser de “grande messe”, dans un cadre convivial. Il ne s’agit pas non plus de diaboliser certains aliments, comme le chocolat. Le tout est d’en manger de manière raisonnable. On en profite aussi pour évoquer avec les parents l’importance d’un temps de repas structuré, ensemble, en famille, un moment qui favorise la communication. C’est même prescrit par des pédo-psychiatres ! Je ne me limite donc pas à un discours uniquement médical. D’ailleurs, si l’on suit la définition de l’OMS, la santé, c’est tout ce qui contribue au bien-être, y compris mental. » Outre le « mieux-manger », Meyzieu fait également la promotion du « mieux-bouger ». « En 2005, le taux d’IMC (indice de masse corporelle) des enfants de notre ville était de plus de 25 %, donc supérieur à la moyenne française, commente la chef de projet. Aujourd’hui, on s’en rapproche, en nous situant à environ 21 %. La prévention et l’éducation à la santé, c’est un travail de fourmi ! Il faut y croire, être patient. »

C’est donc un métier très éloigné de l’univers technique des soins qu’exerce Sylvie de Paulis. Elle décrit ainsi son rôle dans le cadre de ces opérations de santé : « Une fois que nos grands axes d’action ont été définis, je suis chargée du montage des projets de A à Z, depuis leur financement jusqu’à leur évaluation, en passant par le choix des supports de communication. Ce travail nécessite donc des compétences très diverses. J’ai dû apprendre à communiquer avec des interlocuteurs variés, dont, évidemment, l’élue municipale référente à la santé. Le comité de pilotage de l’atelier santé ville comprend également un représentant de la Direction départementale de la cohésion sociale, le délégué du préfet, des médecins… « Sur certains thèmes, on a aussi créé des groupes de travail et d’échange parentaux. Je participe ou j’anime de nombreuses réunions. » Cette variété dans ses activités la motive énormément. « J’apprécie d’être en lien avec tous ces interlocuteurs différents. Nos actions sont le fruit d’un travail en réseau accompli avec nombre de partenaires locaux et d’une participation étroite avec la population. Par exemple, à Meyzieu, nous avons réfléchi avec les parents à la composition des goûters. C’est ce travail de terrain qui nous a conduits à la création d’un point d’écoute jeunes, en 2007, où des consultations anonymes et gratuites sont, notamment, assurées par deux psychologues. »

L’Espace santé jeunes de Vanves

L’approche pluridisciplinaire et la prévention sont également ce qui motive Danièle Derieux, infirmière et chef de service de l’Espace santé jeunes (ESJ) de Vanves, dans les Hauts-de-Seine (voir encadré ci-dessous), une structure consacrée aux 12-25 ans. « J’y travaille avec deux autres permanents, une secrétaire et une animatrice santé, et des vacataires, un psychologue-sophrologue, un médecin généraliste, une diététicienne et un psychiatre. » L’infirmière explique comment sont conduites les actions de prévention initiées par l’ESJ dans cette ville de 26 000 habitants : « L’animatrice santé intervient directement en classe mais également en dehors du temps scolaire. Les jeunes s’intéressent à leur santé, sauf s’ils sont plongés dans de trop grandes difficultés sociales. » Un travail a été mené en direction des sixièmes, concernant la violence de certains « jeux », dont celui du foulard. « Les plus petits, commente Danièle Derieux, imitent parfois les plus grands, sans être conscients des risques. On leur explique donc quelques notions d’anatomie, ce qu’est l’asphyxie. Avec l’aide de l’association “Internet sans crainte”, on les avertit également des dangers du web. » Les autres thèmes évoqués sont la sexualité, l’alimentation, le mal-être, le sida, les addictions… « Nous tentons d’aborder ces questions sous un angle ludique. Concernant l’alcool, les jeunes se fichent qu’on leur parle du cancer du foi. En revanche, ils sont intéressés quand on leur montre de quelle façon l’alcool amoindrit leurs capacités. Lorsqu’ils essaient des lunettes qui permettent de simuler leur état après absorption de différentes doses d’alcool, croyez-moi, l’exercice se révèle très convaincant. » L’Espace santé jeunes est, par ailleurs, un lieu municipal d’accueil et d’écoute, anonyme et gratuit, sur ou hors rendez-vous. « On ne laisse jamais partir un jeune sans l’aider ou l’orienter. Mais nous ne le relançons pas. Il arrive parfois que l’équipe des éducateurs de rue accompagne un jeune pour la première fois. Ce sera ensuite à lui de revenir seul chez nous… » Quant au psychologue-sophrologue, il ne parvient pas à répondre à toutes les demandes qui concernent les aides pour passer les examens !

« Personnellement, commente Danièle Derieux, j’estime que le côté prévention est insuffisamment développé dans les études d’infirmière. La prévention, c’est possible et utile, même si les résultats sont difficilement chiffrables. J’ai adoré mon précédent métier d’infirmière-anesthésiste. Mon poste actuel à l’ESJ de Vanves me plaît énormément aussi, même s’il n’est plus du tout dans le soin. Les fonctions de l’infirmière sont administratives, mais elles comportent des aspects de management et de coordination pluridisciplinaire. « J’ai dû apprendre à “vendre” mes projets, à suivre des budgets, à impulser une dynamique et des synergies d’équipe. C’est intéressant », conclut-t-elle.

Le service santé scolaire de Nantes

D’autres opportunités s’offrent aux infirmières au sein de l’une des treize villes de France qui ont fait le choix de devenir responsables de la santé scolaire, par délégation de l’État (voir encadré p. 24). À Nantes, le service municipal de santé scolaire veille sur les 17 500 enfants des écoles privées et publiques, de la grande section de maternelle au CM2. L’éducation à la santé est prioritairement axée sur la nutrition, les relations garçons-filles, l’estime de soi et la santé environnementale. « Nous essayons de rendre les enfants, mais aussi leurs parents, acteurs de leur santé, explique Katell Coulon, l’une des quatorze infirmières employées au service municipal de santé. Nous empruntons beaucoup aux techniques d’animation. Par exemple, avec les petits, nous abordons l’alimentation en recréant des marchés. Quand, dans une cour d’école, les gamins m’appellent par mon prénom, cela veut dire que je suis identifiée, que j’ai réussi à créer un lien. » Des ateliers nutrition sont également proposés aux mamans. « Nous veillons à nous adapter à leur budget, pour correspondre aux réalités quotidiennes de la population. Nous cherchons à les accompagner, sans les juger, dans un climat de confiance », commente-t-elle.

Des thèmes délicats, comme la violence, l’insécurité, les addictions, sont abordés. « Plus tôt on en parle, plus tôt on donne des outils à l’enfant, estime l’infirmière. Par exemple, il est important qu’il repère un adulte à qui il peut se confier. Concernant les addictions, en CM2, plutôt que de leur décrire tout l’arsenal des produits, nous travaillons sur le comportement en les incitant à réfléchir : comment dire non à un ami ? Qu’est-ce qu’un ami ?… » « Les petits sont avides de découvrir leur corps, leur environnement. Ils sont très preneurs de messages, de jeux. L’éducation à la santé, c’est plein de fraîcheur », s’enthousiasme Catell Coulon.

Obligatoire en grande section de maternelle, le bilan de santé scolaire (effectué par le médecin et l’infirmière) est une bonne occasion de repérer les problèmes médicaux et de « prendre le pouls du quartier », puisque la présence des parents y est obligatoire (90 % d’entre eux y sont, de fait, présents). Aïcha Bassal, adjointe à la santé, détaille : « Dépister les troubles, éduquer à la santé, agir sur les modes de vie et les comportements, réduire les inégalités sociales, développer les débats et l’information au public, associer les parents, sont les grands axes de notre action. Ces objectifs nous tiennent à cœur. »

L’accueil individualisé des enfants à Lyon

Comme Nantes, Lyon a choisi de consacrer plus de moyens à toutes les opérations de dépistage. La collectivité a signé plusieurs PAI (projet d’accueil individualisé) pour accueillir des enfants asthmatiques (70 % des PAI), mais aussi diabiétiques ou épileptiques, ainsi que des PPS (projet personnalisé de scolarisation), à destination des jeunes handicapés. Christine Valat, cadre de santé responsable du service infirmier et conseillère technique en éducation pour la santé, évoque la place des infirmières dans ce cadre : « Certaines de mes infirmières ont d’abord travaillé en secteur hospitalier. Ici, elles découvrent bien sûr un univers totalement différent. » Chacune d’elles couvre une à quatre écoles, soit entre 400 et 650 enfants. « Je connais d’autres infirmières, en France, auxquelles l’Éducation nationale demande de veiller sur rien moins que 1 400 enfants ! », s’exclame la cadre de santé. Ces soignantes conseillent les enseignants sur la conduite à tenir en cas d’urgence. Notamment sur les gestes à accomplir face à une crise d’asthme. « Nous leur conseillons de laisser faire l’enfant si celui-ci est autonome dans sa prise de traitement », précise encore la responsable. Enfin, toujours dans le domaine de l’éducation pour la santé, les infirmières donnent leur avis pour l’organisation de certaines activités, sorties à la piscine ou autres. Christine Valat est confiante : « Je crois en l’utilité de ce que je fais. Assurément, ça me semble évident, nous ne sommes pas là que pour profiter des vacances scolaires ! »

DISPOSITIFS ET RÉSEAUX

Mutualisation d’expériences et mobilisation professionnelle

→ En 1992, deux petites communes du Nord-Pas-de-Calais (Fleurbaix et Laventie) se sont engagées dans une politique originale de prévention face aux risques de l’obésité. Leur succès a inspiré la mise en place du dispositif Epode, à partir de 2004, dans 10 villes pionnières. Aujourd’hui, 230 communes mettent ce programme en œuvre. www.epode.org

→ 70 villes et communautés d’agglomérations sont membres du réseau français des Villes-Santé de l’OMS, créé en 1990. Leur action est portée par l’idée que la ville est le lieu privilégié pour agir sur tous les déterminants de la santé (environnementaux, sociaux…). Elles mettent en commun leurs expériences. Le dernier groupe de travail constitué porte sur le thème « parentalité et santé ». www.villes-sante.com Télécharger le document « villes-santé en action ».

→ Des actions de prévention santé sont conduites au sein des « Espaces Santé Jeunes » (ESJ). Créées il y a dix ans, ces structures mobilisent des professionnels dans les champs sanitaire, psychologique, social, juridique au profit de l’accès à la santé et à la citoyenneté des jeunes. Leur fédération, regroupant environ 30 structures, se veut force de proposition. www.fesj.org.

→ 13 cités sont responsables de la santé scolaire, par délégation accordée par l’Etat, et assurent les bilans de santé obligatoires. Leur action va, comme à Nantes, bien au-delà de la mission prévue par le code d’éducation. « Ces collectivités pensent qu’il existe un lien fort entre santé et réussite éducative, commente Aïcha Bassal, adjointe au maire de Nantes, chargée de la santé. Nous constituons actuellement un réseau, afin, notamment, de mutualiser nos bonnes pratiques. L’objectif est aussi d’essayer d’obtenir davantage de moyens financiers de la part de l’État. Ainsi, à Nantes, la ville consacre 1,6 million d’euros à la santé scolaire, pour une subvention d’État équivalente à 30 000 €. »

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