« Moins de risques que le papier » - L'Infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011

 

INTERVIEW CHRISTIAN SAOUT PRÉSIDENT DU COLLECTIF INTERASSOCIATIF SUR LA SANTÉ (CISS)

DOSSIER

Pour Christian Saout, président du Ciss, il ne faut pas succomber à la magie de l’outil. La coordination des soins passe avant tout par le désir des soignants de travailler ensemble.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Depuis toujours, votre collectif défend la démocratie sanitaire. Estimez-vous que le dossier médical personnel (DMP) concourt à son respect ?

CHRISTIAN SAOUT : Oui, dans la mesure où il permet à tout patient de consulter à tout moment les informations de santé qui le concernent – ce qui est loin d’être aisé aujourd’hui. De ce point de vue, le DMP remplit donc un des objectifs de la loi du 4 mars 2002. Mais cela n’est pas allé de soi. Rappelons que la bataille conduite par les associations de patients a été extrêmement difficile, car lorsque le projet a été lancé, en 2004, le dispositif n’était pas la propriété du patient.

L’I. M. : La coordination des soins via le DMP doit permettre une meilleure qualité de prise en charge des patients. N’attendons-nous pas trop de lui, en particulier, et des nouvelles technologies en général, pour faire ce travail ?

C. S. : Le DMP est un outil sur la route de la coordination des soins, mais cela ne marchera que si tout le monde parle le même langage. Or, aujourd’hui, on ne peut pas faire dialoguer un ordinateur de ville avec celui d’un hôpital. Il faut déjà progresser dans ce domaine. Par ailleurs, on ne doit pas succomber à la magie de l’outil et oublier que pour coordonner il faut effectivement que les soignants, et, singulièrement, les médecins, aient envie de travailler ensemble à la prise en charge des patients. Le DMP est un élément favorable à la mise en place de la coordination des soins, mais il ne fera pas ça tout seul. Ne soyons pas naïfs.

L’I. M. : Selon vous, le rôle infirmier peut-il être renforcé avec le déploiement de ce dispositif ?

C. S. : Je n’y crois pas beaucoup. En revanche, je pense que ce rôle va s’accentuer sous l’effet de l’évolution des besoins de santé, notamment en ambulatoire. Et, dans ce contexte, l’infirmière est, à mon sens, la coordinatrice naturelle de la prise en charge des patients. À condition, toutefois, qu’on veuille bien la laisser agir. Or, il n’y a qu’à voir la manière dont on s’écharpe aujourd’hui sur les coopérations entre professionnels de santé pour en douter… Pourtant, la raison voudrait que les médecins acceptent de déléguer certaines tâches aux infirmières. D’une part, parce qu’il n’y a aucun danger à le faire et, d’autre part, parce que ces tâches seraient mieux accomplies par des infirmières que par des médecins qui n’ont pas le temps de bien s’y consacrer. Bref, si l’on postule de cette évolution, le DMP est l’outil qui aidera l’infirmière à organiser la coordination des soins autour du patient.

L’I. M. : Vous avez dit à propos du DMP que « l’accès à la traçabilité des échanges de données de santé est encore largement à conquérir. C’est une des conditions de l’effectivité de leur protection ». Jugez-vous que le DMP répond désormais à ce critère ?

C. S. : Le risque zéro n’existe pas, mais le dossier médical personnel présente moins de risques que le dossier papier. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller dans un hôpital, où il est fréquent de voir des dossiers de patients entassés au bout d’un couloir. Incontestablement, la protection des données personnelles est aujourd’hui plus forte avec un outil électronique qu’avec un dossier papier. On ne peut pas soutenir l’inverse. Mais, tout en étant plus forte, elle n’est ni totale ni intégrale. Comme un traitement, la sécurité doit être pensée en termes de bénéfice/risque. En clair, quelles sont les contraintes qu’on peut faire supporter au dispositif pour qu’il apporte un bénéfice aux patients et que soient éliminés les risques d’infraction aux données privées ? D’emblée, la balance n’est pas évidente à équilibrer. Pour autant, dans le cas du DMP, je pense que les acteurs impliqués dans sa mise sur pied ont fait leur possible. Il est certainement plus sécurisé que nombre d’échanges de données qui se font dans le dos du patient, sans parler des données informatiques de certains hôpitaux gérées par des sociétés privées. Le jour où l’on s’intéressera à cela, on estimera sans doute que le DMP est un outil bien plus sûr.