« Mieux cerner les pratiques de soins » - L'Infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011

 

FIN DE VIE

RÉFLEXION

Améliorer la réalité des conditions de la fin de vie afin d’éclairer le débat démocratique et les choix des pouvoirs publics, tel est l’objectif essentiel de l’Observatoire national de la fin de vie créé début 2010.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : En 2008, dans le cadre de l’évaluation de la loi Leonetti(1), vous avez appelé de vos vœux la création d’un observatoire de la fin de vie. Pourquoi ?

MARTINE NECTOUX : Principalement parce que la fin de vie fait l’objet de nombreux présupposés. Aussi, pour pouvoir les confirmer ou les infirmer, il me semblait essentiel de disposer d’une instance capable de décrypter les conditions de la fin de vie en France et de mieux cerner les pratiques de soins qui s’y rattachent. Il y a énormément de choses qui se pratiquent dans le domaine, de bonnes, de moins bonnes et, il faut bien le dire, de mauvaises, que nous ne connaissons pas aujourd’hui. Mon « moteur », comme celui des autres membres de l’observatoire, est de contribuer à améliorer les conditions de fin de vie tant pour les malades que pour les professionnels.

L’I. M. : Finalement, l’Observatoire national de la fin de vie a été créé en février 2010. Quel est son but ?

M. N. : L’objectif de l’observatoire est d’apporter, sans parti pris, des éléments tangibles capables d’éclairer le débat démocratique mais également de permettre aux décideurs politiques, qui déterminent et orientent les politiques de santé, de mieux appréhender la réalité des conditions de la fin de vie tant dans le domaine de la clinique que dans ceux de la recherche, de la prévention et de la formation. Le domaine de la recherche est un exemple significatif. La fin de vie étant encore peu investie par la recherche clinique, nous étions plusieurs à penser qu’il était nécessaire de l’encourager et de la soutenir, mais également de permettre d’ouvrir d’autres champs comme celui des sciences humaines et des sciences sociales. Tous ces axes constituent actuellement les principales missions de l’observatoire.

L’I. M. : À quel moment commence la fin de vie ?

M. N. : Définir la fin de vie aujourd’hui est un exercice très complexe car nous évoluons dans un contexte dynamique dû, notamment, aux progrès scientifiques et médicaux mais aussi à l’émergence des pathologies chroniques. Ainsi, tout en étant dans une approche de l’incurable, il ne s’agit pas toujours, pour autant, de situations de fin de vie et/ou de mort imminente. Par ailleurs, le champ de la fin de vie ne se limite pas aux soins palliatifs. Il faudra explorer et interroger le vieillissement, la vulnérabilité, la précarité, qui, plus que jamais, sont des sujets de santé publique mais aussi de société. Dans ce contexte, sachant, bien entendu, qu’il existe des éléments que l’on pourra parfaitement cerner et définir, nous avons à cœur de ne pas nous enfermer dans une définition stricte de la fin de vie au risque de nous priver d’explorer d’autres pistes.

L’I. M. : L’observatoire est opérationnel depuis octobre 2010, vous êtes la seule infirmière en son sein. Quelle a été votre activité durant cette dernière année ?

M. N. : En tant que chargée de mission des pratiques cliniques et du développement professionnel et, plus particulièrement, de celui de la profession infirmière, je me suis attachée à établir un état des lieux de l’offre de formation initiale et continue dans le domaine de la fin de vie et, plus spécifiquement, dans celui des soins palliatifs. Ce travail n’est pas exhaustif, mais il donne, je crois, un bon aperçu des points forts et des points faibles de l’offre et il devrait, à terme, nous permettre de dégager des pistes de réflexion et d’évolution. D’autre part, ce premier tour d’horizon soulève également la question de la professionnalisation de chaque catégorie professionnelle concernée par la fin de vie et met en lumière les enjeux de l’interdisciplinarité et des ponts communs entre les formations dans une nécessaire perspective « d’apprendre ensemble pour travailler ensemble ».

L’I. M. : On est tenté de dire que l’on trouve du plus ou moins sérieux dans le domaine de la formation. Va-t-on vers un label ?

M. N. : Force est de constater qu’il règne un certain flou artistique dans ce domaine… Et, naturellement, se pose donc la question des contenus de formation, comme se posent parfois celles des compétences des enseignants et de la pédagogie utilisée. Or, la formation est un investissement en temps et en argent qu’on ne peut gaspiller. Par ailleurs, il n’existe pas, aujourd’hui, de dispositif qui permette une étude d’impact après la formation, alors que tout le monde s’accorde à dire que c’est un enjeu majeur dans l’évolution des pratiques professionnelles. Partant de ces constats, un certain nombre d’éléments seront mis en exergue dans ce premier rapport annuel de l’observatoire. Mais, pour l’heure, une labellisation des formations n’est pas à l’ordre du jour.

L’I. M. : Selon-vous, est-il nécessaire de créer une spécialité infirmière de soins palliatifs ?

M. N. : Spécialité ou spécificité ? C’est une question de fond que nous avons travaillée et qui mérite d’être encore posée, surtout au moment où le champ de la formation évolue et s’inscrit dans le cadre du développement professionnel continu (le décret qui le définit n’est pas paru à ce jour). Les infirmières de soins palliatifs se forment, acquièrent des compétences nouvelles et de l’expertise, mais, statutairement, rien ne change pour elles. Ce constat est d’ailleurs valable pour l’ensemble de la profession infirmière, et le débat ne date pas d’hier. Dans les années 1980, par exemple, j’ai participé à un groupe de travail, mis en place par le ministère de la Santé, chargé de réfléchir sur les métiers de la profession infirmière au XXIe siècle. Nous sommes au XXIe siècle, et cette question, comme celle de la valorisation des compétences, est toujours en chantier… Cependant, je reste confiante car, à mon avis, avec la naissance d’une filière universitaire en sciences infirmières, la profession se verra reconnue statutairement dans son champ d’expertise, comme a pu en témoigner dernièrement dans les médias Annie Podeur, directrice générale de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Je suis convaincue que nous sommes sur la bonne voie.

L’I. M. : Existe-t-il, en Europe ou dans le monde, des structures identiques à l’observatoire et avec lesquelles vous êtes en lien ou avez déjà travaillé ?

M. N. : Oui, un observatoire international de la fin de vie a été établi en 2003 à l’université de Lancaster, en Grande-Bretagne. Si notre existence très récente ne nous a pas encore permis de travailler en profondeur avec ce partenaire européen, les perspectives ouvertes par le Conseil de l’Europe via le « Symposium sur le processus décisionnel en matière de traitements médicaux dans les situations de fin de vie », organisé en décembre 2010, nous invite cependant à nous rapprocher de lui. D’ailleurs, plusieurs pays voisins nous ont contactés pour recueillir des informations sur notre fonctionnement et la nature de notre travail, dans l’idée, parfois, de s’en inspirer.

L’I. M. : Selon vous, comment se dessinent l’organisation et l’offre de soins palliatifs pour les prochaines années ?

M. N. : Le maillage de l’offre s’est notablement resserré au cours des dernières années, mais nous sommes encore loin de l’accès aux soins palliatifs pour tous. Il reste par ailleurs beaucoup à faire pour améliorer les pratiques professionnelles. Il faut notamment progresser sur la qualité de la prise en charge et dans la diffusion de la démarche palliative, quel que soit le lieu de soins, d’autant que les situations de fin de vie vont se complexifier et qu’elles se dérouleront sans doute de plus en plus à domicile ou en établissement médico-social. Dans ce contexte, outre que cette évolution pose une fois de plus la question de la formation des professionnels, je pense que deux axes sont à travailler en priorité : l’accessibilité à des soins de qualité dans une dynamique de « travail en réseau », et l’innovation dans les réponses apportées aux besoins de la population et à ceux des professionnels. Nous ne pouvons plus, en effet, nous appuyer sur les seuls dispositifs existants telles les unités de soins palliatifs et les équipes mobiles. Il nous faut penser les soins de la fin de vie en termes de coordination de parcours de soins, ancré dans l’histoire de vie du patient, et créer d’autres ressources pour accompagner des changements dans un système économique contraint. Au-delà de l’organisation de l’offre de soins palliatifs, ce processus s’inscrit donc plus largement dans un système de soins en pleine mutation.

1– Loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

À SAVOIR

→ Créé pour cinq ans, l’Observatoire national de la fin de vie est doté d’un comité de pilotage présidé par le Pr Régis Aubry, médecin en soins palliatifs et coordinateur du Programme national de développement des soins palliatifs 2008-2012.

→ L’équipe scientifique permanente comprend, notamment, un sociologue de la santé, un sociologue et anthropologue, un spécialiste du pilotage des politiques de santé.

MARTINE NECTOUX INFIRMIÈRE CLINICIENNE, MEMBRE DE L’OBSERVATOIRE NATIONAL DE LA FIN DE VIE

→ Elle est confrontée aux conditions de la fin de vie dès les années 1980, alors qu’elle prend en charge des malades du sida en HAD. Elle intègre rapidement un réseau informel de ressources en soins palliatifs.

→ Elle devient membre de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).

→ Infirmière clinicienne de soins palliatifs durant plus de trente ans, elle a travaillé au sein d’équipes mobiles hospitalières et de réseaux de soins palliatifs.

→ Membre de l’Observatoire national de la fin de vie depuis sa création, en 2010, elle est également formatrice au Centre national de ressources soins palliatifs.