Les infirmières sont-elles impliquées ? - L'Infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011

 

SUR LE TERRAIN

DOSSIER

Qu’elles soient salariées ou libérales, les infirmières ne sont pas encore partie prenante dans le dispositif, lancé au printemps dernier. Elles regrettent d’ailleurs de ne pas avoir été associées au projet dès sa conception.

Entre ce qui est dit par le médecin, ce que le patient entend, ce qu’il comprend et ce qu’il nous relate lorsque nous le prenons en charge, il y a “tout le filtre humain” qu’il faut appréhender et parfois décrypter. Sans oublier les non-dits. Nous avons des patients qui décèdent d’un cancer sans jamais avoir prononcé le mot. Bref, alors que les infirmières sont, le plus souvent, les premières soignantes à prendre en charge le patient lorsqu’il sort de l’hôpital, nous courons aujourd’hui après l’information pour savoir qui lui a dit quoi, quand et comment », explique Lise Lemaître, infirmière, directrice du Pallium, réseau de soins palliatifs implanté dans les Yvelines. Dans ce contexte, « le DMP devrait révolutionner la prise en charge infirmière », estime Maryse Guillaume.

Infirmière libérale et membre de la FNI, elle est la seule représentante de la profession infirmière à travailler au sein du comité de liaison et de coopération entre les professionnels de santé mis en place par l’Asip Santé dans le cadre de l’informatisation des systèmes de santé. « Mais, dans la première version du DMP, rien n’était prévu pour les infirmières en général, ni pour les libérales en particulier, regrette-t-elle. Alors que, dans notre secteur, nous pouvons prescrire certains dispositifs depuis 2007 et pratiquer la vaccination anti-grippale saisonnière depuis 2008, acte qui n’est pas anodin et qui mérite d’être “traçé” pour le patient mais également pour les autres professionnels de santé. » En collaboration avec les fournisseurs de logiciels, le groupe de coopération a donc travaillé, ces derniers mois, à rendre compatibles les logiciels utilisés par les infirmières libérales avec le DMP. Un certain nombre le sont depuis.

Rôles à définir ?

Cette révolution attendue de la prise en charge infirmière, Anne Montaron, directrice des soins à l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif) y croit également. Même si elle déplore que l’ordre infirmier ne se soit pas saisi de cette question. Militante du dossier infirmier partagé et unique, comme elle se définit, elle estime que c’était à l’Ordre de construire la structure du dossier de soins infirmiers et que, dès le départ, il aurait sans doute fallu prévoir qu’il soit intégré au DMP. « On se prive d’une vraie richesse, notamment en matière de transmissions ciblées. Des informations qui pourraient aider, entre autres, nos collègues libérales qui effectuent le suivi de patients atteints de maladies chroniques », commente-t-elle. « Nous avons grand besoin de moyens de transmission entre professionnels de santé », plaide également Lise Lemaître. « Dans mon hôpital, le DMP est en cours de mise en place. Lors de leur admission, on propose aux patients de créer leur dossier, explique Patrick, infirmier dans un service de médecine interne d’un établissement de la Somme. Mais les infirmiers n’ont pas été informés plus que ça. J’ai l’impression que c’est surtout en ambulatoire que ça va servir. À l’hôpital, nous avons déjà le dossier du patient, et puis, la prise en charge se fait dans le même espace, on arrive donc toujours à obtenir des informations. Même si, parfois, ça fait cavaler les cadres… En revanche, pour les patients “de passage”, qui ne sont pas rares dans un centre hospitalier régional, c’est vrai qu’on n’a rien sur leur passé médical et qu’eux-mêmes ne savent pas toujours où ils en sont dans leur parcours. Et ce n’est pas forcément une question d’âge. Le DMP, ça peut être un plus pour tout le monde. » « Si le dispositif peut améliorer et optimiser la prise en charge, poursuit Lise Lemaître, il faut qu’il réponde aussi aux besoins propres de notre profession. Ces dernières années, nous avons trop vu de projets éclore pour lesquels nous avons beaucoup investi en temps et en énergie, et qui se sont révélés être des usines à gaz. Il est vraiment nécessaire de s’appuyer sur un dispositif national pour coordonner la prise en charge. » Encore faut-il que la coordination soit incarnée. Or, en la matière, il n’y a pas de choix politique clair, estime Godefroy Hirsch, vice-président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) et médecin en équipe mobile de soins palliatifs à domicile et en Ehpad. « Il y a un réel déficit de réflexion autour de la fonction de coordination et, notamment, de coordination de proximité. Pourtant, dans notre système de santé, elle est fondamentale. Et si le DMP peut la faciliter, il ne peut être qu’un outil au service de cette visée. La coordination se joue dans la relation interpersonnelle entre le patient et le soignant. Le DMP ne peut avoir de sens qu’au sein de cette relation. » Il ajoute : « La coordination, c’est un temps d’évaluation, un temps de mise en place et un temps d’ajustement. En théorie, c’est le médecin traitant qui devrait animer la coordination. En pratique, elle est rarement faite par nos collègues. Faute de temps, assurément, mais pas seulement. » Pour le praticien, la coordination appelle, en effet, une approche du soin que les médecins n’ont pas eu au cours de leur formation. « C’est une culture. Or, ils n’ont pas appris comment travailler avec les autres. En tout cas, pas assez », constate-t-il.

Peu de refus

Si nombre de soignants semblent convaincus de la nécessité de le mettre sur pied, le DMP n’est pas pour autant au centre des préoccupations. Directeur de l’information médicale (DIM) à l’hôpital Sainte-Anne (AP-HP), le Dr Éric Chomette admet que, pour l’instant, le sujet fait rarement l’objet de conversations.

« Nous sommes davantage préoccupés par la future T2A en psychiatrie. Je ne sais pas, d’ailleurs, s’il y a une grande attente des soignants et des patients en la matière. Mais, sans doute que de déploiement du dispositif va faire naître des besoins. Il faudra alors qu’on change de braquet », dit-il. En Alsace, une des régions d’amorçage chargée de déployer le DMP sur cinq établissements pilotes (CHU Strasbourg et quatre centres hospitaliers), seuls les praticiens hospitaliers et les médecins de ville, équipés d’un logiciel adéquat, y ont aujourd’hui accès.

« Mais, nous avons une forte demande des infirmières libérales et de Ssiad », reconnaît Gaston Steiner, directeur du groupement de coopération sanitaire e-santé Alsace, instance chargée d’impulser et de suivre la mise en œuvre du DMP sur la région. « Pour l’instant, le choix ne s’est pas porté sur les paramédicaux, d’autant qu’ils ne disposent pas tous de la carte de professionnel de santé qui permet l’authentification du soignant lors de la connexion au dossier. » De son côté, René Caillet, responsable du pôle offre de soins de la Fédération hospitalière de France, reconnaît que « dès que le dispositif va monter en charge, la question de l’élargir aux infirmières et à l’ensemble des paramédicaux va se poser. Surtout que les médecins ne sont pas les seuls à participer de l’état de santé des patients. D’ailleurs, à la FHF, nous préférons raisonner en terme de projet de santé de territoire et pas en terme de projet médical de territoire, comme l’indique la loi HPST. » En Alsace, quelque 12 000 DMP ont été créés ces derniers mois par des patients et plusieurs milliers de documents y sont déjà stockés. Selon Gaston Steiner, très peu de médecins libéraux ont refusé de s’inscrire dans cette nouvelle offre et entre 3 et 5 % des patients sollicités au moment de leur admission n’ont pas souhaité ouvrir leur DMP. Un pourcentage identique à celui observé sur les autres bassins d’amorçage. « Ceux qui ont accepté ont perçu l’intérêt de pouvoir disposer d’une “mémoire médicale” », dit Gaston Steiner. Si cette proportion se confirme au cours de la montée en puissance du dispositif dans les prochains mois, alors, effectivement, il faudra changer de braquet…