Le monoxyde de carbone - L'Infirmière Magazine n° 289 du 15/11/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 289 du 15/11/2011

 

FORMATION CONTINUE

FICHE TECHNIQUE

Incolore et inodore, le monoxyde de carbone entraîne des intoxications potentiellement mortelles, majoritairement dues à la défaillance d’un appareil domestique. La prise en charge de ces intoxications implique l’évacuation immédiate, l’évaluation clinique et, si nécessaire, l’oxygénothérapie.

DÉFINITION

Le monoxyde de carbone (CO) est un gaz composé d’un atome de carbone ?(C) et d’un atome d’oxygène (O). Il résulte de combustions incomplètes. Il a pour propriété son absence de couleur et d’odeur. Il n’est pas irritant mais très toxique et explosif.

Concernant l’intoxication au CO, de nombreuses études sont parues dans la littérature médicale. Pour autant, ces dernières ne s’accordent pas sur une définition de l’intoxication. Certaines prennent majoritairement en compte les signes cliniques, d’autres la présence dans l’air ambiant d’un taux de CO dangereux (> 100 ppm). Certaines études utilisent les valeurs biologiques. Enfin, une autre catégorie d’études s’appuie sur l’association de plusieurs de ces critères pour définir l’intoxication.

ÉPIDÉMIOLOGIE

Les données épidémiologiques sont imprécises, faussées par l’absence d’une définition diagnostique stricte. Il est en effet difficile, voire impossible, d’établir des critères d’inclusion épidémiologiques prenant en compte la totalité des études. Pour autant, certaines données sont publiées. Dans les années 1970, le CO faisait environ 300 morts par an. Ce chiffre serait aujourd’hui divisé par un peu plus de trois, avec une mortalité un peu inférieure à 100 décès par an (mais sans inclure les incendies et les suicides). Néanmoins, ces chiffres sont probablement sous-évalués. La majorité des intoxications en France sont accidentelles et ont lieu en hiver. Les logements insalubres et les conditions de vie précaires seraient plus à risque.

CIRCONSTANCES DES INTOXICATIONS

Intoxications domestiques

Les intoxications sont majoritairement dues à la défaillance d’un appareil domestique : chaudière à bois, charbon, gaz ou fioul, chauffe-eau, poêle, mais peuvent venir également d’un moteur automobile tournant dans le garage, d’un groupe électrogène ou, plus généralement, de tout moteur thermique. Rappelons, en revanche, qu’une fuite de gaz de ville libère essentiellement du méthane (CH4) et ne contient pas de monoxyde de carbone. Il ne peut donc pas y avoir d’intoxication au CO dans ce cas. On distingue deux types d’intoxications : l’intoxication grave, souvent mortelle, due à une production aiguë d’une quantité importante de monoxyde de carbone, et l’intoxication chronique par une petite quantité de CO.

Autres circonstances

Lors de l’incendie d’un appartement ou d’une maison, la concentration de monoxyde de carbone est importante. À ce propos, les victimes d’incendie meurent souvent de cette intoxication avant d’être brûlées. Le CO est parfois utilisé comme moyen de se suicider, principalement par l’inhalation de gaz d’échappement en milieu confiné.

PHYSIOPATHOLOGIE

• Échanges gazeux normaux. Au niveau des alvéoles pulmonaires, l’oxygène passe dans le flux sanguin en se fixant sur l’hémoglobine, formant ainsi des molécules d’oxyhémoglobine. L’oxygène est alors transporté jusqu’aux cellules.

• Échanges gazeux lors d’une intoxication au monoxyde de carbone. Le mécanisme est identique qu’avec les échanges gazeux normaux. Le CO vient se fixer sur l’hémoglobine pour former des molécules de carboxyhémoglobine.

• Pourquoi une faible intoxication peut-elle être mortelle ? Le monoxyde de carbone a une affinité avec l’hémoglobine 250 fois plus élevée que celle de l’oxygène. De la fixation du monoxyde de carbone résulte une nette diminution de la capacité sanguine à transporter l’oxygène et à le relarguer au niveau des tissus, ce qui entraîne une hypoxie tissulaire.

Cependant, la diminution de l’apport en oxygène n’est pas le seul mécanisme de toxicité. En effet, L. Goldbaum et coll.(1) ont comparé, à l’occasion d’une étude sur des chiens, l’intoxication au monoxyde de carbone inhalé et une intoxication par transfusion de carboxyhémoglobine. Cette étude révèle l’existence d’une toxicité directe.

SYMPTOMATOLOGIE

Les symptômes, en soi, sont peu spécifiques. Le diagnostic est souvent posé tardivement grâce à l’association des signes cliniques et d’un contexte évocateur, voire de relevés positifs.

Toutefois, il existe des études(2,3) mettant en évidence des signes cliniques considérés comme typiques. Il s’agit, en particulier, des céphalées, des troubles digestifs, des troubles de la conscience et des convulsions.

DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE

En l’absence de tout moyen de détection, plusieurs personnes se plaignant des symptômes ci-dessus, a fortiori dans un contexte évocateur (présence de chaudière, etc.), constitue une situation hautement suspecte qui doit entraîner l’évacuation immédiate des sujets.

• L’oxymétrie de pouls n’est pas destinée à mettre en évidence une intoxication oxycarbonnée. L’oxymètre de pouls agit par analyse colorimétrique et évalue un pourcentage d’hémoglobine saturée, mais ne distingue pas l’oxygène du CO. Cet appareil pourra donc indiquer un pourcentage tout à fait correct sur une intoxication même sévère.

• La détection expirée est probablement le moyen le plus couramment utilisé par les secours français. Le principe est de souffler de manière hermétique dans un embout cartonné ou en plastique relié à l’appareil. Ce dernier affiche un pourcentage de CO présent dans l’air expiré. Ce type d’appareil a ses limites puisqu’un petit enfant ou une personne souffrant de troubles neurologiques ne seraient pas en mesure de souffler de manière efficace.

• La détection pulsée est une technique d’une fiabilité reconnue et très simple d’utilisation, et l’état clinique du patient ne limite pas sa mise en œuvre. Cet appareil paraît similaire à l’oxymètre de pouls, mais différencie l’oxygène du monoxyde de carbone.

• Enfin, le moyen le plus fiable est d’effectuer un dosage veineux, mais cette technique est plus longue et requiert un matériel spécifique. Les prélèvements sont souvent effectués en préhospitalier pour avoir les résultats dans les suites de la prise en charge.

• Tous ces résultats sont à mettre en parallèle à la clinique. Un résultat de CO expiré avec absence de symptôme ne nécessite en général pas de transport en milieu hospitalier. Il faut savoir que, chez un fumeur, il n’est pas rare d’atteindre un taux de CO expiré pouvant aller jusqu’à 10 %, alors qu’il n’y a pas d’intoxication aiguë.

PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE

• Comme dans toutes les prises en charge, l’action qui prime est la protection du personnel intervenant (en préhospitalier) ainsi que des victimes. Il est donc primordial de faire commencer la prise en charge par l’évacuation de tous les sujets de la zone à risque.

• Une évaluation clinique doit suivre.

• La prise en charge préhospitalière spécifique repose sur l’oxygénothérapie normobare à fort débit (9 l/min au masque haute concentration ou 15 l/min au ballon autoremplisseur en inhalation). Cette oxygénation sera poursuivie pendant 12 heures(4).

En France, les indications de l’oxygénothérapie hyperbare rejoignent globalement celles de l’Amérique du Nord. Elles reposent sur les signes cliniques de gravité, tels que le coma, la perte de connaissance, le signe de Babinski…

• La femme enceinte est un cas particulier. En effet, la souffrance fœtale consécutive à l’intoxication est cliniquement invisible. Par conséquent, toute femme enceinte sera traitée, qu’elle ait ou non des symptômes.

• Enfin, une prise en charge symptomatique sera réalisée en parallèle.

PRÉVENTION

Les secours préhospitaliers disposent sur leur sac d’intervention de détecteurs de monoxyde de carbone qui émettent une alarme sonore et lumineuse en présence de CO. Aujourd’hui, il existe des détecteurs de monoxyde de carbone pour le domicile, à l’image des détecteurs de fumée. Des études comparatives ont été réalisées sur les principaux modèles existants. Tous doivent répondre à la norme EN 50291.

En matière de prévention, il paraît indispensable de faire vérifier par un professionnel tous les appareils domestiques susceptibles de produire du CO lors d’une défaillance (chaudière, etc.). Enfin, il faut veiller à éviter toute obstruction des aérations chez les particuliers.

1– Goldbaum L., Orenallo T., Dergal E. « Mechanism of the toxic action of carbon monoxide ». Ann Clin Lab. Sci. 1976 ; 6 : 372-376.

2– Gajdos Ph., Conso F., Korach J. M., Chevret S., Raphael J. C., Pasteyer J., Elkharrat D., Lanata E., Geronimi J. L., Chastang Cl., « Incidence and causes of carbon monoxide intoxication : results of an epidemiologic survey in a french department ». Arch Environ Health 1991 ; 46 : 373-376.

3– Conseil supérieur d’hygiène publique de France. Groupe des experts chargé d’élaborer les référentiels de la prise en charge des intoxications oxycarbonées, « Repérer et traiter les intoxications oxycarbonnées », 18 mars 2005.

4– Mathieu D., Mathieu-Nolf M., Wattel F. « Intoxication par le monoxyde de carbone : aspects actuels ». Bull Acad Nat Med 1996 ; 180 : 965-973.