La colchicine - L'Infirmière Magazine n° 289 du 15/11/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 289 du 15/11/2011

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

M. G., âgé de 99 ans, est hospitalisé dans un service de cardiologie pour une ischémie du membre inférieur gauche associée à des troubles trophiques d’un orteil. En cours d’hospitalisation, les douleurs d’artériopathie sont contrôlées par du tramadol (Contramal) ainsi que du clonazepam (Rivotril). Une pneumopathie sous-jacente est traitée par amoxicilline et acide clavulanique (Augmentin). Durant le séjour, le patient se plaint de douleurs au niveau du coude gauche. L’examen réalisé montre une arthrite microcristalline. Le patient est alors mis sous colchicine (Colchimax, 1 cp le matin) et allopurinol (Zyloric 100 mg, 1 cp le soir).

Quelques jours après, un bilan biologique montre une lymphopénie et une thrombopénie, mais cette bicytopénie ne fait pas l’objet d’examens complémentaires (Voir tableau). Par ailleurs, une anémie microcytaire, qui préexistait, est mise sur le compte de l’artériographie et du syndrome inflammatoire et traitée par transfusion d’un culot globulaire.

Suite à son hospitalisation en service de cardiologie, le patient est transporté dans un autre établissement, dans une unité de soins de suite et réadaptation (SSR) pour la suite de la prise en charge. Une semaine après l’admission, la diminution du nombre de plaquettes et de lymphocytes s’accroît, faisant craindre un risque hémorragique et infectieux. Un surdosage en colchicine est envisagé.

Après consultation du centre régional de pharmacovigilance, le traitement par colchicine est arrêté. Les plaquettes et les lymphocytes remontent lentement durant le mois suivant. Aucune conséquence clinique ne sera observée.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

Ce patient très âgé, pris en charge dans un service spécialisé, a été victime, durant son séjour, d’une affection annexe nécessitant la prescription de colchicine. La colchicine fait partie des médicaments à marge thérapeutique étroite, et est responsable de plusieurs décès dus à des surdosages.

La dégradation de la fonction rénale (fréquente chez le sujet âgé) observée chez ce patient limite les capacités d’élimination rénale de la colchicine, et augmente le risque d’une intoxication. D’autre part, l’utilisation d’allopurinol, qui possède un potentiel hépatotoxique et hématotoxique, a pu contribuer à renforcer la toxicité de la colchicine.

Enfin, la surveillance de la numération formule sanguine (NFS) a été insuffisante, et, surtout, mal prise en compte. Bien qu’une première observation d’une éventuelle atteinte médullaire ait été faite rapidement après l’instauration du traitement, la colchicine a été poursuivie durant plusieurs semaines.

2. LA COLCHICINE : RAPPELS

Colchimax est une association de colchicine, de poudre d’opium et de tiémonium, utilisée dans le traitement de la goutte. Le tiémonium (antispasmodique) et la poudre d’opium sont destinés à limiter l’apparition des diarrhées provoquées par la colchicine.

Indications

Les principales indications de la colchicine sont les accès aigus de goutte, ainsi que la prophylaxie des accès aigus de goutte chez le goutteux chronique, notamment lors de l’instauration du traitement hypo-uricémiant (allopurinol…).

Effets indésirables

→ Les principaux effets indésirables observés avec la colchicine sont les troubles gastro-intestinaux (fréquentes diarrhées, nausées, vomissements), pouvant être le premier signe d’un surdosage.

→ Attention : la poudre d’opium et le tiémonium entrant dans la composition du Colchimax peuvent masquer ces signes précoces d’intoxication, révélateurs d’un surdosage.

→ Plus rarement, des atteintes musculo-squelettiques (neuromyopathies réversibles, rhabdomyolyse) ou hématologiques (leucopénie, thrombopénie, neutropénie, voire pancytopénie) peuvent être observées. Attention en cas de traitement concomitant susceptible de détériorer la fonction rénale ou hépatique, ou d’induire une toxicité médullaire ou musculaire (allopurinol par exemple).

Contre-indications et précautions d’emploi

Les insuffisances rénales ou hépatiques sévères contre-indiquent l’utilisation de la colchicine : il convient d’évaluer la clairance de la créatinine, en particulier chez une personne âgée. En outre, pour les patients en situation d’insuffisance rénale modérée, il est recommandé, au cours du premier mois de traitement, d’effectuer une NFS et une numération des plaquettes, de réévaluer la clairance de la créatinine et de surveiller l’apparition de diarrhées, de nausées et de vomissements, premiers signes de surdosage.

Principales interactions

→ L’association de colchicine avec un antibiotique de la famille des macrolides (télithromycine, azithromycine, clarithromycine, érythromycine, josamycine, roxithromycine, spiramycine…) est contre-indiquée : il y a un risque de surdosage fatal en colchicine.

Le récent décès d’une patiente traitée par Colchimax quelques jours après l’introduction de clarithromycine vient d’être répertorié par l’Afssaps et a donné lieu à une « mise en garde pour les spécialités à base de colchicine », le 26/09/2011.

→ Pour les mêmes raisons, l’association avec la pristinamycine (Pyostacine) est également contre-indiquée.

→ Enfin, l’association avec les traitements anti-coagulants de type AVK est susceptible d’augmenter l’effet anticoagulant : un contrôle plus fréquent de l’INR est recommandé.

Surdosage

→ Les intoxications sont possibles (en dehors de toute interaction ou contre-indication) pour des doses d’environ 10 mg, et mènent à un fort taux de mortalité. Ces intoxications sont constamment fatales pour des doses supérieures à 40 mg.

→ Après une phase de latence de quelques heures, des troubles digestifs importants se manifestent, suivi de perturbations hématologiques (par atteinte médullaire), d’une toxicité rénale aiguë, d’un déséquilibre hydroélectrolytique, d’une paralysie ascendante conduisant à un arrêt respiratoire, ou d’un collapsus cardio-vasculaire, parfois d’un choc septique.

→ Il n’existe actuellement pas d’antidote à la colchicine, et les mesures d’hémodialyse sont sans effets. Le traitement est uniquement symptomatique.

3. EN PRATIQUE

→ Tout changement survenant au cours de l’hospitalisation (changement de comportement, modification des paramètres biologiques, apparition de signes cliniques, de douleurs, de diarrhée…) doit faire penser à un éventuel effet indésirable d’un médicament, voire à un surdosage.

→ C’est encore plus vrai pour les patients âgés, qui éliminent mal la plupart des médicaments. Le risque de surdosage doit toujours venir à l’esprit, et les posologies de certains médicaments doivent être diminuées pour ces patients.

→ L’IDE est une des clés de la sécurisation du circuit du médicament, de par son rôle au niveau de l’étape « administration » du circuit du médicament. Cela prémunit le patient contre d’éventuelles erreurs de prescription et/ou de dispensation, et, surtout, permet de dépister au plus tôt les effets indésirables des traitements. Dans le cas clinique décrit, l’analyse des résultats de biologie médicale est une tâche incombant aux prescripteurs mais, en pratique, la vigilance des IDE au regard des examens biomédicaux et leur signalement aux prescripteurs s’avéreront utiles.

DYSFONCTIONNEMENT

Quelles causes ?

→ Plusieurs défaillances dans le circuit du médicament ont conduit à une chute importante de certaines lignées sanguines. Dans le cas présenté ?: le changement d’établissement hospitalier, et donc de prescripteur, n’a pas favorisé le suivi biologique du patient. L’évolution de la NFS tout au long des séjours a été peu suivie et pas signalée de façon claire par téléphone ou par écrit.

→ L’avis pharmaceu­tique à l’admission du patient en SSR n’a pas été lu, il n’a donc pas été réévalué. Le pharmacien, faute d’informatisation du circuit du médicament, n’a pas revalidé, après l’admission du patient, le traitement en cours d’hospitalisation SSR.

→ L’IDE, faute d’accès aux données biologiques, n’a pas pu alerter le prescripteur du risque potentiel de la bicytopénie révélée.

→ Enfin, la forme même du médicament (colchicine + antispasmodiques + poudre d’opium) n’a pas favorisé la détection clinique de l’intolérance ou de l’éventuel surdosage en colchicine (manifestations digestives, diarrhées, nausées…).