« Nous ne pouvons qu’être déçues » - L'Infirmière Magazine n° 286 du 01/10/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 286 du 01/10/2011

 

SANTÉ AU TRAVAIL

RÉFLEXION

Adoptée le 8 juillet 2011, la loi portant réforme de la santé au travail instaure la pluridisciplinarité. Les infirmières du secteur entendaient gagner en autonomie, mais leur souhait n’a pas été entendu.

L’I. M. : En quoi la reforme de la médecine du travail modifie-t-elle l’intervention et la pratique des infirmières de santé au travail ?

S. H. : Pour l’instant, il est difficile de se prononcer, même si, pour la première fois, les infirmières sont nommées et identifiées dans le dispositif de la médecine du travail. La loi a, certes, été votée, mais les décrets d’application ne sont pas encore publiés. L’impact de ce nouveau texte sur notre pratique va surtout dépendre du médecin du travail, qui reste le pivot de la santé au travail et le principal coordinateur de l’équipe pluridisciplinaire. Si les plus jeunes d’entre eux sont très ouverts à des formes nouvelles de collaboration entre nos deux professions, les plus anciens, qui demeurent majoritaires, le sont nettement moins et restent jaloux de leurs prérogatives. On peut cependant espérer que les décrets prennent en compte les expérimentations en cours et qui semblent concluantes. Une des plus intéressantes a pour objectif de remédier au manque de médecins du travail dans certaines régions. Ainsi, la visite médicale d’embauche n’est plus conduite par le médecin mais par une infirmière dans le cadre d’un entretien infirmier médico-professionnel. À notre niveau, nous souhaiterions que ce dispositif se généralise, les médecins ne prenant en charge que les cas particuliers ou difficiles afin de se consacrer davantage à la mise en place des politiques de santé au travail, et non plus enchaîner les vacations qui, de leur propre aveu, s’apparentent à de l’abattage.

L’I. M. : Comment jugez-vous cette réforme ?

S. H. : À nos yeux, elle n’est pas satisfaisante. Notamment parce que nous espérions la création d’une spécialité d’infirmière de santé au travail et une réforme de notre statut puisque nous sommes salariées de l’entreprise qui nous emploie. De fait, notre autonomie est relative puisque nous sommes ses subordonnées alors que le cadre juridique qui entoure l’activité des médecins du travail est beaucoup plus protecteur.

Dans cet esprit, nous avions d’ailleurs participé à plusieurs réunions avec le ministère. Nous avions également rédigé un référentiel métier, et l’ordre national des infirmiers a produit, en outre, un rapport complet pour soutenir notre démarche. Bref, nous pensions avoir été entendues, nous nous apercevons que nous avons seulement été écoutées. Nous ne pouvons donc qu’être déçues. Une fois de plus, qui décide aujourd’hui de ce que font les infirmières de santé au travail ? Ce sont principalement les médecins, qui, eux, ont été étroitement associés à la rédaction du texte. Nous attendions cette réforme depuis des années, il faudra sans doute encore des années avant qu’elle puisse de nouveau évoluer. En l’état, il nous faudrait peser sur le ministère pour que les décrets d’application inversent la tendance, mais notre poids, en effectif comme en audience, est aujourd’hui trop faible pour cela.

L’I. M. : Sur le terrain, comment s’exerce la pluridisciplinarité mise en avant par la réforme, et est-ce une pratique homogène ?

S. H. : Le bon exemple de cet exercice concerne les salariés qui ont obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), puisque, dès lors, il va falloir aménager leur poste de travail. Une équipe doit, dans ce cas, se mettre en place, coordonnée par le médecin du travail. On peut, ainsi, travailler avec le service des ressources humaines de l’entreprise, l’Agence régionale de santé, un ergonome, une assistante sociale, l’association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), la maison départementale du handicap (MDPH) ou encore l’Agence régionale d’amélioration des conditions de travail (Aract). L’objectif de cette équipe étant le maintien dans l’emploi du salarié. La pluridisciplinarité s’exerce également dans la prévention et la prise en charge des risques psychosociaux où plusieurs acteurs, service de ressources humaines, infirmière, médecin du travail, psychologue… peuvent travailler de concert. Cette pratique reste, en grande partie, à l’initiative du médecin et de l’entreprise. Plus cette dernière est grande, plus elle dispose de moyens humains et financiers importants pour mettre en œuvre cette politique. Cependant, de petites entités peuvent aussi développer un travail remarquable.

L’I. M. : Qui sont les acteurs de cette pluridisciplinarité ?

S. H. : L’ensemble des préventeurs, les principaux étant les infirmières, les ergonomes, les psychologues du travail, les métrologues, qui ont des compétences pour prévenir les risques professionnels psychosociaux qui s’ajoutent à celles des médecins. De manière plus large, la pluridisciplinarité regroupe tous les IPRP (intervenant de prévention sur les risques professionnels), qui peuvent également être des personnes morales, comme les associations. La réforme demande aux entreprises de créer un référent qui va prendre en charge l’organisation des actions de prévention au niveau des risques professionnels, de sécurité et de santé au travail sous la houlette du médecin du travail. Un dispositif qui devrait faciliter la démarche pluridisciplinaire.

L’I. M. : Les médecins du travail sont en nombre insuffisant, notamment en régions. Devant ce constat, estimez-vous qu’il existe un risque d’une médecine du travail à deux vitesses ?

S. H. : À mon sens, le risque ne vient pas de ce constat, même si cela ne concourt pas à avoir une médecine du travail homogène sur l’ensemble du territoire. Comme je l’ai déjà dit, de petites entreprises sont très dynamiques pour la promotion de la santé au travail, d’autres, bien que plus importantes et plus « riches », n’ont pas intégré que la prévention des risques pouvait les aider. Or, la qualité de la médecine du travail est directement liée à la volonté de l’entreprise de soutenir cette démarche. Mais, aujourd’hui, les principales préoccupations d’une entreprise sont la productivité et la rentabilité. Bref, le plus souvent, c’est le minimum légal : visite d’embauche et visite annuelle.

De fait, qu’est-ce qui peut conduire un employeur à s’intéresser à la prévention ? C’est la tarification accident du travail (TAT). En effet, si le taux d’accidents du travail ou de maladies professionnelles de l’entreprise augmente, le chef d’entreprise va sans doute réfléchir à initier des actions car, sinon, cela risque de lui coûter cher, puisque la TAT est taxée. Un autre phénomène peut aussi l’obliger à soutenir une médecine du travail et de prévention des risques de qualité, notamment les risques psychosociaux, c’est le souhait des jeunes salariés d’avoir de bonnes conditions de travail et de pouvoir s’épanouir en trouvant un équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

L’I. M. : Qu’apporte votre association aux infirmières du secteur ?

S. H. : De l’information et de l’entraide, car les infirmières sont isolées dans leur territoire mais également dans leur entreprise, alors que nombre d’entre elles souhaiteraient échanger sur leur pratique. En régions, nous proposons régulièrement des journées d’étude et, tous les deux ans, nous organisons des journées nationales. Les prochaines se déroulent ce mois-ci et auront pour thème « le parcours du salarié, de l’embauche à la retraite »(1). La dernière édition avait rassemblé 350 personnes dont 280 infirmières venues de toute la France.

Par ailleurs, nous éditons La revue du GITet, tous les trois mois, des « flash info » sur les nouvelles réglementations, avec des conseils de lecture et des zooms sur certaines initiatives. À terme, le GIT souhaiterait être labellisé organisme de formation, mais ce n’est qu’un projet. De manière plus générale, le GIT œuvre pour la reconnaissance de notre métier, notamment auprès des pouvoirs publics.

L’I. M. : Quel est l’état d’esprit du GIT par rapport à l’avenir de la profession infirmière dans ce secteur ?

S. H. : Nous sommes dans l’expectative. Peut-être faut-il attendre, en effet, que la pénurie de médecins de santé au travail se généralise pour que s’ouvre réellement une réflexion de fond sur le rôle que pourraient jouer les infirmières de santé au travail. Ce qui est regrettable, c’est de constater que cette évolution, à notre avis incontournable, va s’opérer par défaut alors que nous avons les moyens de l’anticiper et de bien la préparer. C’est dommage pour nos deux professions, mais ça l’est plus encore pour les salariés. In fine, la question que nous nous posons, et que nous devons tous nous poser, est : quel avenir pour la santé au travail ?

1– Du 12 au 14 octobre, à Issy-les-Moulineaux. Plus d’informations sur le site du GIT : www.git.fr

STÉPHANIE HUET

INFIRMIÈRE DE SANTÉ AU TRAVAIL

→ Brevetée intervenant de prévention sur les risques professionnels (IPRP) ; animateur santé et secouriste du travail (SST) et prévention des risques liés à l’activité physique (PRAP) ; diplôme d’État d’infirmière en 1999.

→ En septembre 2000, elle crée le poste d’infirmière de santé au travail chez le fabricant de chaussures Eram. Entreprise qu’elle quitte en 2010 pour venir s’installer à Paris.

→ Adhère au Groupement des infirmières du travail (GIT), en 2003. Membre du bureau national, elle devient trésorière adjointe de l’association en 2007.

→ Depuis juillet 2010, elle est infirmière de santé au travail chez Deloitte, à Paris (2 500 salariés).

SAVOIR PLUS

On estime que les infirmières de santé au travail sont entre 5 000 et 7 000, aucune étude n’ayant jamais été conduite pour les dénombrer précisément. Le GIT fédère 500 d’entre elles.