LES STOMIES DIGESTIVES - L'Infirmière Magazine n° 286 du 01/10/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 286 du 01/10/2011

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

Procédures chirurgicales de diverses pathologies du tube digestif, les stomies digestives engendrent d’importantes perturbations physiques et psychologiques chez tous les patients. L’autonomie et la qualité de vie nécessitent l’acquisition de compétences par les personnes stomisées qui relève du rôle propre de l’infirmière. Le programme d’éducation thérapeutique, centré sur le patient dans une approche technique, éducative et relationnelle, lui permet de développer les connaissances nécessaires à une bonne autogestion de sa stomie. Les complications sont essentiellement liées au non-respect des recommandations de bonnes pratiques. Elles sont évitables, au travers de la pose de l’appareillage le mieux adapté possible et du travail de prévention mené par toute l’équipe soignante (chirurgien, médecin, infirmière).

1. DÉFINITION

Une dérivation artificielle

Une stomie digestive (du grec stoma : bouche) est une déviation chirurgicale du tube digestif, qui ne peut plus remplir son rôle suite à un traumatisme, à une maladie ou à une exérèse (ablation). Cette communication artificielle réalisée lors d’une opération chirurgicale consiste en l’abouchement (ou jonction) d’un segment sain du tube digestif à la peau de l’abdomen, en amont de la lésion ou de l’ablation, pour assurer l’évacuation des selles. Elle s’appelle colostomie ou iléostomie selon qu’elle est positionnée au niveau du côlon ou de l’iléon. Elle est temporaire ou définitive.

Colo ou iléostomie

La colostomie est une ouverture chirurgicale de l’abdomen à travers laquelle sort une petite portion du côlon. Elle permet aux matières fécales d’être évacuées sans transiter par la partie endommagée du côlon.

Une sigmoïdostomie consiste à aboucher un segment du sigmoïde (dernière partie du côlon) à la peau de façon à créer un « anus artificiel ». Pratiquée le plus souvent en urgence, elle permet l’évacuation des matières fécales en cas d’occlusion intestinale aiguë. Une iléostomie permet de relier l’iléon à la peau de l’abdomen. Le transit intestinal est dérivé directement vers l’extérieur à travers la paroi abdominale (voir shéma n° 1).

Techniques chirurgicales

On distingue les stomie latérales (voir schéma n° 2) des stomies terminales. Autres techniques :

– la stomie terminale (ou distale). Seule l’extrémité de la partie proximale de l’intestin est extériorisée ; la partie distale est laissée dans l’abdomen (comme après une opération de Hartman) ;

– avec la technique en « canon de fusil », les deux orifices des parties supérieure et inférieure de l’intestin sortent côte à côte de la peau de l’abdomen, et peuvent être éloignés l’un de l’autre. Ces techniques sont utilisables pour les colostomies et pour les iléostomies.

Précautions lors de l’intervention

Il peut être ennuyeux pour l’appareillage d’aboucher le segment digestif dans une zone abdominale avec du relief. Dans le meilleur des cas, la stomato-thérapeute repère et signale le site le mieux indiqué en fonction du patient par un tatouage avant l’intervention. Selon le docteur Sylvain Laporte, du service de chirurgie viscérale et digestive du CHU de Nîmes (30), « le chirurgien peut, le plus souvent, se conformer au repérage de l’infirmière, mais pas toujours ».

Complications

→ Les éventrations, ouvertures spontanées de la couche musculaire de l’abdomen avec saillie des viscères abdominaux, sont les plus fréquentes.

→ Le prolapsus, souvent associé à l’éventration, est une excroissance de la stomie, qui sort de plus en plus de l’abdomen. Il peut gêner l’appareillage, saigner, et gêner le transit.

→ Un rétrécissement de la stomie est possible (sténose). Il engendre néanmoins des difficultés pour l’écoulement des selles.

Ces trois situations nécessitent souvent une intervention chirurgicale.

→ Les complications cutanées (dermite, brûlure…) dues au liquide digestif corrosif sont à prévenir et à traiter rapidement. Elles rendent l’appareillage difficile et entretiennent les fuites redoutées par les patients.

Stomie sur baguette

Lors de l’intervention chirurgicale, une baguette peut être insérée sous l’anse intestinale pour la maintenir pendant une dizaine de jours. L’infirmière veille à ce que la baguette ne blesse ni ne cisaille l’intestin. Pour la retirer, la soignante fait simplement glisser la baguette, sans douleur pour le patient (voir shéma n° 3). La baguette peut être placée sous la peau de l’abdomen. Dans ce cas, l’infirmière ne s’en occupe pas, la baguette sera retirée par le chirurgien au moment de refermer la stomie.

2. INDICATIONS

Toutes les situations n’impliquent pas l’ablation d’un organe, même si c’est le plus souvent le cas. Les stomies peuvent être utilisées pour dériver les matières sans l’ablation d’un organe sous-jacent. Lorsque l’ablation du rectum pour une tumeur n’est pas réalisable parce que le patient est trop âgé ou trop fragile, une stomie peut pallier une occlusion sans enlever la tumeur. Autre exemple, le traitement du cancer de l’anus par des rayons, qui est mal toléré car il entraîne des douleurs et des diarrhées. Dans ce cas, une stomie évite que les selles n’empruntent la partie traitée.

Principales causes d’une colostomie

→ Cancer du côlon, du rectum ou de l’anus (cause prédominante).

→ Maladies inflammatoires de l’intestin (rectocolite hémorragique, maladie de Crohn, diverticulose colique…) ;

→ Traumatisme (plaie colique ou rectale).

→ Malformations congénitales (imperforation anale, absence de rectum, maladie de Hirschprung…).

Principales causes d’une iléostomie

→ Cancer du côlon, de l’intestin grêle, polypose familiale diffuse (cause prédominante).

→ Malformations congénitales (agénésie, intestin non fonctionnel, maladie de Hirschprung…).

→ Maladie inflammatoire de l’intestin (maladie de Crohn, colite ulcéreuse).

→ Pathologie traumatique ou iatrogène.

→ Protection d’anastomose (jonction de deux parties du tube digestif).

Principales causes d’une stomie temporaire

→ Inflammation du sigmoïde (sigmoïdite).

→ Lorsqu’un traitement ou une cicatrisation nécessite un intestin vide de toute matière (protection de sutures intestinales).

→ En cas d’obstacle intestinal : polype, tumeur, torsion mécanique de l’intestin… Une décompression de l’intestin peut alors être réalisée en urgence.

→ Lors d’un traumatisme de l’intestin (plaie…).

→ En cas d’endométriose sévère avec des nodules situés entre le vagin et le rectum, dont le retrait implique d’ouvrir le vagin et le rectum. Les deux organes sont réparés, mais il y a un risque de fuite entre le vagin et le rectum. Une iléostomie provisoire évite que les selles n’arrivent jusqu’à la couture.

3. APPAREILLAGE

Les selles sont recueillies dans une poche fixée sur l’abdomen. Quatre laboratoires proposent des appareillages et des accessoires : B. Braun, Coloplast, Convatec et Hollister.

Une ou deux pièces

→ Les systèmes « une pièce » (voir illustration A) se composent d’une poche de recueil fermée ou vidable et d’un protecteur cutané solidaire (disque à base de gomme synthétique ou à base d’hydrocolloïde). L’appareillage est décollé à chaque changement de poche et jeté après utilisation.

→ Les systèmes « deux pièces » (voir illustrations B, C) sont constitués d’une poche et d’un support protecteur sur lequel la poche se colle ou s’emboîte. Le « deux pièces » collé a la même épaisseur qu’un système une pièce. Le support peut rester en place plusieurs jours en fonction de la nature des selles, la poche est changée en fonction des besoins. Les changements moins fréquents de support sont moins agressifs pour la peau. Plusieurs diamètres prédécoupés prêts à l’emploi existent pour les deux systèmes.

Poches fermées ou vidables

Les poches « vidables » sont équipées d’une fermeture par bande auto-agrippante située au bas du matériel (voir illustration D). Elles peuvent être vidées et nettoyées. Les poches fermées sont changées à chaque fois. Toutes les poches sont recouvertes d’un voile qui absorbe la transpiration. Il prévient les risques de macération et d’irritation cutanée, et atténue les bruits. Les poches sont transparentes ou opaques.

Choix de la poche

Il dépend de la localisation de la stomie et de la consistance des selles :

– Pour une colostomie gauche (selles solides), les poches fermées sont préconisées. Un filtre désodorisant intégré permet l’élimination permanente et inodore des gaz, ce qui empêche la poche de gonfler.

– Pour une colostomie droite ou iléostomie (selles liquides ou semi-liquides émises quasi en continu), les poches vidables permettent d’espacer les intervalles entre les changements.

Quelques accessoires

→ Les anneaux convexes sont des alternatives intéressantes quand l’abdomen présente des plis ou quand la stomie est rétractée. Ils font ressortir la stomie, diminuent les risques de fuite et protègent la peau. Ils sont à réserver à des situations difficiles ou complexes.

→ La ceinture en tissu extensible et réglable se fixe directement sur la poche du système deux pièces qu’elle soutient. Rarement nécessaire, elle apporte un sentiment de sécurité. Des systèmes de soutien, poches ou ceintures, sont utiles aux personnes qui souffrent d’un relâchement de la ceinture musculaire abdominale ou qui pratiquent une activité physique intensive.

→ Le couvre-poche est une enveloppe de coton ou de matière non tissée dans laquelle se glisse la poche. Il prévient les irritations parfois provoquées par la transpiration.

→ Les pâtes protectrices permettent de réaliser un joint étanche autour de la stomie et entre l’appareillage et la peau. Lorsque la paroi abdominale présente des irrégularités, la pâte permet d’obtenir une surface plane et d’éviter les infiltrations. Elles ont aussi un pouvoir cicatrisant en cas de lésions cutanées.

→ Les poudres protectrices absorbent les suintements d’une peau légèrement irritée ou blessée, avec un rôle cicatrisant en cas de lésions cutanées.

→ Les poudres (ou gélules) désodorisantes se glissent dans la poche et détruisent les substances malodorantes présentes dans les selles et évitent les odeurs désagréables. Certains produits sont à la fois désodorisants et lubrifiants. Ils évitent aussi que les selles ne restent coincées en haut de la poche.

4. VIE QUOTIDIENNE APRÈS L’INTERVENTION

Mouvements

La poche doit être souple et bien fixée pour permettre au patient de se baisser. Les vêtements ne doivent pas trop serrer la taille pour ne pas comprimer la stomie (préférer une ceinture élastique ou des bretelles).

Vie professionnelle

Le médecin du travail décide de la reprise ou non d’une activité professionnelle. Le poste peut parfois être adapté au patient (éviter le port de charges lourdes…). Des toilettes doivent être disponibles pour changer ou vider la poche si nécessaire.

Alimentation

Chaque patient stomisé a un transit particulier et doit trouver les aliments qui lui conviennent le mieux. L’objectif est une alimentation normale, prise avec plaisir, seul ou en compagnie. Il n’y a pas de régime alimentaire particulier (voir tableau ci-dessous).

→ En cas de constipation : boire davantage, manger des légumes verts, des fruits frais et des yaourts ; une glace accélère la progression du contenu intestinal ; un café accroît la motricité colique. La surveillance infirmière se déroule comme suit :

– colostomie : il faut alerter le médecin en cas de douleur de type colique ou d’absence de selles pendant une semaine ;

– ileostomie : l’absence de selles est le plus souvent une urgence. Le médecin doit être contacté.

→ En cas de diarrhée (selles liquides pour une colostomie, volume augmenté pour une iléostomie) : boire beaucoup pour éviter la déshydratation ; manger du riz, des pâtes, de la semoule ; éviter les légumes verts, les fruits et les laitages. En cas de fièvre ou d’altération de l’état général, il sera fait appel au médecin.

Exercice physique

Mieux vaut éviter les sports violents ou de contact, qui peuvent traumatiser la stomie (judo, karaté…). Les baignades sont possibles en utilisant un tampon obturateur ou un pansement prévu à cet effet à la place de la poche. On peut garder la poche pour se baigner en la changeant avant et en la séchant correctement après.

4 Rappel physiologique

→ L’œsophage amène les aliments du pharynx à l’estomac.

→ L’estomac brasse les aliments par ses contractions et les dégrade en sécrétant de l’acide et des enzymes.

→ L’intestin grêle (duodénum, jéjunum et iléon) termine la dégradation des aliments et permet l’absorption des substances nutritives dans le sang. Les matières intestinales sont liquides et agressives pour la peau. Les matières qui n’ont pas été absorbées progressent jusqu’au côlon.

→ Le côlon exerce une fonction motrice de stockage et de brassage des aliments. Les selles progressent dans le côlon et deviennent de plus en plus solides et moulées. Dans le côlon droit et le côlon transverse, elles sont molles ou pâteuses, semi-solides dans le côlon gauche. Le côlon a une fonction d’absorption de l’eau et de digestion assurée par la flore bactérienne, qui s’accompagne d’une production de gaz.

→ Le rectum, dernière partie du tube digestif, est situé entre le côlon et le canal anal. Sa fonction principale est de stocker les selles avant qu’elles soient évacuées par l’anus. Le côlon et le rectum constituent le gros intestin.

CHIFFRES

On considère qu’il y a, en france, 80 000 stomisés dont près de 70 % ont été atteints d’un cancer. Ces 80 000 stomisés se répartissent ainsi :

– 50 000 colostomisés

– 20 000 iléostomisés

– 10 000 urostomisés (une urétérostomie est une dérivation urinaire ; l’uretère est le plus souvent abouché directement à la peau). Fédération des stomisés de France (FSF)