« Adaptons le message » - L'Infirmière Magazine n° 283 du 15/07/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 283 du 15/07/2011

 

VIH EN GUADELOUPE

RÉFLEXION

Les Caraïbes sont, après l’Afrique subsaharienne, la deuxième région la plus touchée au monde par le VIH-sida. Les départements français d’outre-mer ne sont pas épargnés… Focus sur la situation en Guadeloupe et à Saint-Martin.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quelles sont les grandes données épidémiologiques en matière de VIH-sida en Guadeloupe ?

MARIE-THÉRÈSE GOERGER-SOW : La Guadeloupe est, après la Guyane, la deuxième région française la plus touchée par l’épidémie. Le nombre de sérologies positives rapporté à la population y est quatre fois supérieur à la moyenne nationale (730 cas pour un million d’habitants en 2009 contre 169 cas à l’échelle nationale). Et ce qui nous inquiète, c’est que, contrairement à ce qui se passe en métropole, les chiffres de la contamination y sont en constante augmentation depuis le début des années 2000.

Ces caractéristiques épidémiologiques sont aussi marquées par quelques grandes données spécifiques. La transmission du virus se fait avant tout par voie hétérosexuelle – à plus de 70 %, contre quelque 22 % en métropole, les femmes étant près de deux fois plus touchées par le virus qu’en métropole. En 2010, sur les 1 615 patients suivis en Guadeloupe et à Saint-Martin, on comptait ainsi 819 hommes et 796 femmes. L’âge moyen des patients y est aussi particulièrement élevé : plus de la moitié des patients hommes suivis ont entre 40 et 60 ans, et la plupart des femmes ont entre 30 et 50 ans. L’année dernière, parmi les 79 nouveaux dépistés, nous avions une femme de 79 ans, et un homme de 81 ans ! Enfin, le recours au dépistage y est particulièrement tardif. Entre 2003 et 2009, plus d’un quart des découvertes de séropositivité sont intervenues au stade sida (27 %), plus de 50 % à un stade avancé ! Seules 3 % des personnes dépistées étaient au stade de primo-infection. En Guadeloupe, le VIH reste tabou, secret…, associé à des pratiques sexuelles qui sont tues elles aussi. Le risque d’exposition au virus est d’ailleurs rarement un motif de dépistage : celui-ci reste avant tout motivé par des signes cliniques et biologiques témoignant du stade avancé de l’infection.

L’I.M. : Vous évoquez les pratiques sexuelles. Peut-on relever des caractéristiques locales spécifiques ?

M.-T. G.-S. : J’évoquerai l’importance du multipartenariat, notamment masculin, comme, d’ailleurs, dans l’ensemble de la Caraïbe…, couplé à un regard sur les relations extraconjugales marqué par l’opprobe. Un multipartenariat au moins deux fois plus fréquent qu’en métropole, notamment chez les hommes. Dans une étude de 2004, plus de 66 % des hommes guadeloupéens (33 % en métropole) déclaraient avoir eu au moins deux partenaires simultanés au cours des cinq dernières années. Par ailleurs, ces personnes multipartenaires sont, beaucoup plus qu’en métropole, engagées dans des relations parallèles durables. Le souci, c’est que ce multipartenariat « stable » donne à certains l’illusion de ne pas être concernés par le VIH-sida – ils ne se considèrent pas comme des « coureurs », et utilisent donc peu de préservatifs, se font peu dépister. Et les tabous pesant sur les relations extraconjugales – notamment féminines – ont les mêmes conséquences : ici, il est difficile pour une femme de demander à son partenaire d’utiliser le préservatif, honteux d’aller se faire dépister (serait-elle une femme « de mauvaise vie » ?).

CHRYSTELLE SEVI : Autre tabou très fort dans la société guadeloupéenne, l’homosexualité. Or, si, parmi les hommes nouvellement dépistés en 2010, 67 % ont été contaminés par voie hétérosexuelle, 19 % l’ont été par voie homo ou bisexuelle. Mais, là encore, la honte est un frein au dépistage. Honte d’être homosexuel. Honte d’être, peut-être, séropositif.

L’I.M. : Le regard sur les personnes séropositives est-il si dur que cela ?

M.-T. G.-S. : Trente après l’apparition du virus, les personnes séropositives font, en Guadeloupe, toujours l’objet d’une discrimination telle qu’elles sont souvent contraintes de cacher leur infection. Une enquête a montré que près d’une personne séropositive sur trois ne parle pas de sa situation à son entourage, un chiffre qui grimpe jusqu’à 41 % chez celles qui n’ont pas de partenaires stables.

C. S. : La crainte du qu’en-dira-t-on, la peur du non-respect du secret médical restent effectivement très fortes. La stigmatisation du VIH n’épargne d’ailleurs pas certains soignants, même si les choses évoluent. Pour certains collègues, nous restons encore un service « pestiféré ». Encore dernièrement, j’ai eu le cas d’un jeune homme, dépisté séropositif, dont la mère, infirmière au CHU, ne voulait pas qu’il soit suivi chez nous : elle craignait que ses collègues ne voient son fils entrer dans le bâtiment des maladies infectieuses.

L’I.M. : Que peut-on imaginer, alors, pour faire évoluer le regard de ces professionnels de santé ?

M.-T. G.-S. : Différents projets sont à développer, d’autres existent déjà. Les sages-femmes proposent systématiquement un test de dépistage aux femmes enceintes, presque toujours accepté. Nous avons mis en place, avec l’URML(1), une formation sur l’importance du dépistage – une cinquantaine de médecins libéraux ont été formés l’année dernière. Une formation à l’annonce de maladie grave est également prévue…, qu’il serait intéressant de développer pour les infirmières. Nous travaillons aussi avec les laboratoires de ville – jusqu’à aujourd’hui, ils n’ont pas de logiciel commun. Difficile, dans ces conditions, de savoir qui se fait dépister hors des Ciddist (centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles).

L’I.M. : Quid des actions en direction de l’ensemble de la population ?

C. S. : En Guadeloupe, les structures de soins pour le VIH-sida existent. Les messages d’information, de prévention sont nombreux, mais insuffisamment adaptés aux réalités locales. Inscrits sur de grandes affiches, à l’arrière des bus, serinés dans les écoles, les messages du type « Vous n’avez pas besoin d’éviter d’aller aux toilettes après une personne séropositive » sont certes importants pour lutter contre la méconnaissance de la maladie. Mais ce qu’il faudrait surtout, c’est s’adresser à ceux qui, tout en ayant des pratiques à risque, ne se sentent pas concernés. Il faut prendre en compte les réalités locales, la culture créole. Ici et là, à Pointe-à-Pitre, il y a bien de grandes affiches, avec ce slogan : « Nou pli fô, ansanm kont le sida », c’est-à-dire « Nous plus forts, ensemble contre le sida », mais la langue créole, celle du quotidien, n’est pas assez utilisée.

M.-T. G.-S. : La Guadeloupe, c’est effectivement la France, mais aussi la Caraïbe. Les messages de prévention, d’incitation au dépistage importés de métropole s’y révèlent peu efficaces. Le dernier Plan national de lutte contre le VIH-sida et les IST en tient d’ailleurs compte. Il a intégré un volet spécial consacré aux départements français d’outre-mer. Il faudrait par ailleurs développer des actions envers les populations locales vulnérables.

L’I.M. : C’est-à-dire ?

M.-T. G.-S. : Homosexuels, migrants, consommateurs de crack, prostituées… Toutes ces populations particulièrement exposées au VIH-sida passent trop souvent, ici comme ailleurs, entre les mailles du dépistage, à l’écart des circuits de soins. Difficultés sociales – le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (12,5 %) est deux fois plus important que dans l’Hexagone – et stigmatisation de la maladie s’additionnant. Le Corevih(2) veut, cette année, développer un programme spécifique de prévention et d’incitation au dépistage pour ces populations. Nous avons aussi un projet de camion itinérant, avec la possibilité de réaliser des tests rapides. Et nous essayons, pour toucher les personnes relativement âgées, de passer par le biais du monde du travail : une sensibilisation au dépistage a été réalisée auprès des médecins du travail de l’île.

C. S. : La prise en compte des difficultés sociales est effectivement essentielle, l’accompagnement pluriel impératif – dans les Ciddist de l’île, 70 % des patients séropositifs passent d’ailleurs par le service social. Dans la même optique, il est primordial de développer l’éducation thérapeutique, encore trop rare, notamment à Pointe-à-Pitre : en 2009, seuls 24 % de nos patients avaient pu bénéficier d’une consultation de ce type.

1– URML : Union régionale des médecins libéraux.

2– Corevih : comité de coordination de la lutte contre l’infection par le VIH.

MARIE-THÉRÈSE GOERGER-SOW

MÉDECIN SPÉCIALISÉ EN MALADIES INFECTIEUSES

Après avoir exercé comme médecin du travail en métropole, elle a enseigné à la faculté de Dakar (Sénégal) puis est restée en poste à l’hôpital durant quatorze ans. En Guadeloupe depuis 1991, elle a travaillé au Cisih (Centre hospitalier d’information et de soins de l’immunodéficience humaine) de Pointe-à-Pitre jusqu’en 2008, date à laquelle elle a pris la présidence du Corevih Guadeloupe. Elle est responsable du projet InterReg IV-VIH, visant à créer un observatoire du VIH pour les Caraïbes.

CHRYSTELLE SEVI

CADRE DE SANTÉ

D’abord infirmière puéricultrice dans le service de chirurgie pédiatrique du CHU de Pointe-à-Pitre, elle y a fait fonction de cadre durant deux ans. Après avoir obtenu son diplôme de cadre de santé, elle a travaillé un an comme cadre de nuit, avant d’être nommée, en 2009, cadre de santé du service des maladies infectieuses et tropicales, de dermatologie et de médecine interne.

À LIRE

→ Le Plan national de lutte contre le VIH-sida et les IST 2010-2014 pour les DOM (bit.ly/im-compl)

→ Le site du Corevih Guadeloupe (corevih971.org)

→ Le rapport de l’ANRS sur « les connaissances, attitudes, croyances et comportements face au VIH/sida aux Antilles et en Guyane en 2004 » (bit.ly/imcompl)