Opération avenir pour les Ibode - L'Infirmière Magazine n° 278 du 01/05/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 278 du 01/05/2011

 

BLOC OPÉRATOIRE

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

La refonte des études d’infirmière de bloc opératoire diplômée d’État dans le système LMD pourrait marquer un tournant pour cette spécialité. Au-delà de l’organisation de la formation, les Ibode espèrent voir leurs compétences et leur savoir-faire valorisés. Et guettent l’éclosion des futures pratiques avancées.

Elles ont passé dix à dix-huit mois de plus que les IDE sur les bancs de l’école, ont réalisé de nombreux stages et exploré en profondeur, durant leurs études, les questions d’hygiène et de gestion des risques, la prise en charge de l’opéré au cours des actes opératoires, l’environnement technologique chirurgical et la nature de leur rôle au bloc. Et, bien souvent, les Ibode ont déjà exercé plusieurs années comme IDE non spécialisée dans des blocs opératoires. Avant de suivre ces études, « on apprend par mimétisme », sans baser ses actes sur un socle de connaissances théoriques… mais en observant l’équipe travailler, souligne Gabrielle Mollet, Ibode au CH de Douai. « J’ai eu la chance d’exercer avec un chirurgien qui nous expliquait tout pendant les interventions », se rappelle Cécile Depretz, sa collègue, également Ibode. La formation commence donc, de manière informelle, sur le terrain. Mais, au retour des études, forte des connaissances théoriques acquises et des stages effectués, « on ne voit plus du tout les choses de la même manière, en matière d’hygiène, par exemple », remarque Gabrielle. « À l’école, on suit un cours complet sur les fils, poursuit Cécile. On ne donne pas n’importe lequel au chirurgien. En cas de doute, on peut lui demander s’il est sûr de vouloir tel ou tel fil. » « Même chose pour les dispositifs médicaux stériles », reprend Gabrielle. « Ils coûtent cher », et il faut donc savoir lesquels choisir et pourquoi.

Les technologies chirurgicales et les appareils de surveillance employés au bloc ont beaucoup évolué ces dernières années. Robotique, bistouri électronique, colonnes de cœlioscopie et d’arthroscopie, tables perfectionnées… « On ne dépend plus seulement de nos mains, mais aussi de machines, souligne Cécile Dupretz. Pendant nos études, nous sommes formées à les utiliser. » Et lorsqu’un appareil ne fonctionne pas correctement ou tombe en panne, « l’Ibode est la première à intervenir », ajoute Gabrielle Mollet. La montée en puissance de l’informatique, le développement de la matériovi­gilance et les obligations croissantes de traçabilité (notamment par l’instauration d’une check-list, voir notre n° 274, p. 7) ont profondément modifié le cadre de travail des infirmières au bloc.

Revenir au patient

Les Ibode interrogées se voient mal retourner travailler dans d’autres services que le bloc, sauf la stérilisation ou l’hygiène, peut-être. Elles continuent d’œuvrer au bloc aux côtés des IDE, des médecins et infirmières anesthésistes, des chirurgiens… et des patients. Les Ibode partagent ce qu’elles peuvent avec les infirmières non spécialisées… « mais nous ne sommes pas enseignantes », souligne une diplômée. Et le turn-over des IDE complique parfois la transmission du savoir… Les rapports avec les chirurgiens se « modernisent », évoluant peu à peu vers plus de coopération, mais nombre d’Ibode restent convaincues qu’il faut une bonne dose de « tempérament » pour s’adapter à l’atmosphère particulière du bloc. En tout cas, elles aimeraient généralement avoir un peu plus de contacts avec les patients. « Même en très peu de temps, on peut avoir une bonne relation avec un patient, souligne Cécile Depretz. En trente secondes, on peut réduire son stress en lui permettant de nous poser les questions qui l’inquiètent. J’adorais faire les visites préopératoires. On allait rencontrer le patient dans sa chambre cinq minutes, cela permettait de vérifier que tous les bilans étaient prêts, on pouvait répondre aux questions qu’il n’avait pas osé poser au médecin, dédramatiser le bloc… » Toutes choses que les Ibode, pénurie oblige, n’ont plus vraiment la possibilité de faire aujourd’hui.

Diplômes en chute libre

Autre source d’inquiétude : avec la vague de départs à la retraite parmi les Ibode qui se profile à court terme, ces professionnelles du soin au bloc opératoire s’inquiètent de la disparition de leurs compétences spécifiques. « Certes, il n’est pas indispensable de n’avoir que des Ibode dans un service, mais ne plus en avoir du tout, ce n’est pas imaginable », souligne Cécile. Infirmière de bloc et cadre du service, Erika Domise insiste : « Pour sauver la fonction d’Ibode, il faut qu’il y ait exclusivité de fonction. » Au-delà d’une reconnaissance financière substantielle, les Ibode défendent leur compétence, leur savoir-faire étayé par leur formation mais aussi leur rôle dans le fonctionnement cohérent des services, dans la sécurité et la qualité de la prise en charge du patient.

« J’ai commencé à travailler au bloc un an après mon DE, en 1983. Au bout de quinze ans, je ne savais plus faire que ça, et comme je voulais continuer à n’exercer qu’au bloc, j’ai suivi les études, courtes à l’époque, et passé le diplôme, raconte Cécile Depretz. Mais si les études avaient duré deux ou trois ans, je l’aurais fait aussi. » À l’époque, se rappelle Erika Domise, il était question d’accorder aux Ibode l’exclusivité de l’exercice au bloc, ce qui a motivé nombre d’infirmières y exerçant à suivre le cursus spécialisé. Le scénario ne s’est pas déroulé comme prévu : l’exclusivité réclamée n’est toujours qu’une revendication, les IDE sont toujours plus nombreuses à exercer en salle d’opération… et les écoles d’Ibode comptent de moins en moins d’élèves. Après avoir été 770 à sortir diplômées des écoles en 2002, elles n’étaient plus que 480 en 2004 et 285 en 2008… « La désertification des écoles aggrave le constat alarmant de déqualification et de perte de compétence Ibode », souligne l’Ordre national des infirmiers dans un rapport de juin 2010(1). Pourquoi la formation enregistre-t-elle une telle diminution des effectifs ? L’absence d’exclusivité de fonction se conjugue avec la concurrence des formations obligatoires. « Comme il n’est pas nécessaire d’être Ibode pour travailler au bloc, les hôpitaux financent en priorité les formations obligatoires comme celle d’infirmière anesthésiste (Iade) », souligne Gabrielle Mollet. Résultat : les établissements financent moins souvent les études d’Ibode. De plus, les dernières incitations des pouvoirs publics par voie de circulaire en faveur du recrutement d’Ibode datent de 1998… Un autre frein à l’inscription dans les écoles d’Ibode réside peut-être dans le passage, en 2001, de la durée des études de dix à dix-huit mois. « Après dix ans de bloc, je n’avais vraiment pas envie de retourner à l’école pendant deux ans », témoigne Erika Domise.

La VAE pour la rentrée 2011 ?

Alors, d’autres perspectives se dessinent. L’Union nationale des associations d’Ibode (Unaibode) demande notamment de supprimer l’obligation d’exercer pendant deux ans avant de commencer les études spécialisées, qui freine certaines motivations. « Une fois leurs études finies, les infirmières s’installent, ont des enfants, et n’ont pas forcément envie de repartir se former alors qu’elles l’auraient fait volontiers dans la foulée de leurs études à l’Ifsi », souligne la présidente de l’association. Mais la suppression de ces deux années préalables transformerait les études d’Ibode, lorsqu’elles seraient effectuées juste après le DE, en formation initiale… à la charge des conseils régionaux qui croulent déjà sous les dépenses ! La proportion d’infirmières qui pourraient opter pour cette continuité devrait cependant être faible, estime Charline Depooter, présidente de l’Unaibode.

Certains attendent, depuis 2006, que la validation des acquis de l’expérience (VAE) promise se mette en place, afin de convertir en diplôme les connaissances et le savoir-faire gagnés sur le terrain… De l’avis de l’Unaibode comme de l’Ordre infirmier, la VAE, qui pourrait entrer en vigueur à la rentrée 2011, ne résoudra pas le problème car ce processus, tel qu’il se profile, est loin de n’être qu’une formalité… Il consistera à valider, en cinq ans, le même référentiel de compétences que celui sur lequel devraient se baser les futures études d’Ibode (lire l’encadré p. 24). Le cursus fait en effet l’objet d’une réingénierie complète afin d’être intégré au système licence– master-doctorat (LMD).

Master or not master ?

Les partenaires envisagent de l’organiser sur quatre semestres, mais l’Unaibode n’a pas obtenu des pouvoirs publics l’assurance que le diplôme obtenu au final aura le grade de master. Et pour protester contre le « mutisme » du ministère de la Santé sur ce sujet, l’association a cessé de participer aux réunions concernant ce dossier. Depuis octobre 2010, les travaux sont donc totalement bloqués.

De leur côté, les Iade ont pourtant reçu récemment l’assurance d’un grade master pour leurs études. « Regardez les infirmiers anesthésistes, qui obtiennent tout ce qu’ils veulent en manifestant dans la rue et par des actions violentes », s’indignaient en octobre dernier, dans une lettre ouverte commune, l’Unaidobe et l’Association des enseignants et des écoles d’infirmiers de bloc opératoire (Aeeibo). « Il est inacceptable que le ministère accorde aux seuls Iade un master ainsi qu’une revalorisation salariale sans y associer les Ibode, dont le niveau de compétence et d’utilité dans les blocs opératoires n’est pas à démontrer », poursuivaient-elles, supposant que les pouvoirs publics compteraient sur la disparition des écoles d’Ibode pour supprimer la spécialité… C’est peu dire que le torchon brûle sur cette question. « Nous demandons une vraie reconnaissance à bac + 5 », explique Charline Depooter, qui affirme travailler sur ce sujet « depuis cinq ans, pour rien ».

Pratiques avancées à l’horizon

L’attribution du grade de master aux études d’Ibode serait, selon Charline Depooter, d’autant plus normale qu’au cursus « classique », auquel correspondrait le grade M1, pourraient s’adjoindre des éléments de pratiques avancées potentiellement éligibles au grade M2, comme le préconisait récemment le rapport Hénart sur les métiers intermédiaires en santé(2).

De nouveaux métiers ont déjà vu le jour, par exemple celui de « coordinateur de bloc », pour lequel les Ibode sont parfaitement taillées. Charline Depooter évoque aussi celui de praticienne assistante de chirurgie, qui pourrait se développer sous la forme de coopérations avec les chirurgiens, sous un statut proche de celui des sages-femmes. « Certains chirurgiens sont prêts à lancer les premiers essais », souligne la présidente de l’Unaibode.

Sans aller jusque-là, les pratiques avancées des Ibode – lorsqu’elles auront été formalisées – pourraient porter sur les consultations préopératoires, le suivi post-opératoire avec le chirurgien, l’installation de l’opéré, certaines sutures, des fermetures, voire des ouvertures de paroi, « sur protocole ou sur prescription », précise Charline Depooter. Des infirmières de bloc envisagent, pour leur part, de pouvoir réaliser des résines simples… Mais tout ne se résume pas aux questions d’actes. Pour David Vasseur, Ibode et vice-président de l’Ordre national des infirmiers, la réflexion sur les pratiques avancées des infirmières de bloc devrait s’inscrire dans des travaux plus vastes sur l’expertise infirmière, qui concerne non seulement les blocs, l’anesthésie, la puériculture mais aussi la diabétologie, la chimiothérapie et de nombreux autres domaines. Le chantier est ouvert.

1- Rapport de synthèse « Enjeux et perspectives pour l’évolution de la pratique et de la formation d’infirmier de bloc opératoire diplômé d’État, Ibode. Expertise de soins au bloc opératoire », disponible sur le site de l’ONI : bit.ly/fgm4Pw

2- « Rapport relatif aux métiers en santé de niveau intermédiaire. Professionnels d’aujourd’hui et nouveaux métiers : des pistes pour avancer ». Laurent Hénart, Yvon Berland, Danielle Cadet, janvier 2011, disponible sur le site du ministère de la Santé (bit.ly/ePOcgz). Voir L’Infirmière magazine n° 273, pp. 3 et 6.

REPÈRES

→ 6 394 Ibode étaient en exercice, en France, au 1er janvier 2010.*

→ 14 % des infirmières spécialisées sont Ibode.*

→ 88 % des Ibode sont des femmes.*

→ 91 % des Ibode travaillent dans la fonction publique hospitalière, selon le ministère de la Santé.

* Source : « Les professions de santé au 1er janvier 2010 », Drees, mai 2010 (bit.ly/fC575T).

À SUIVRE

Vers un nouveau référentiel ?

Le projet de référentiel de compétences, prêt depuis 2009, selon l’Unaibode, et dont l’arrêté, à la mi-avril, n’avait toujours pas été publié, comprend huit compétences à valider dans le cadre des futures études d’Ibode ou de la VAE.

1. Concevoir et mettre en œuvre des modes de prise en charge des personnes adaptés aux situations rencontrées en bloc opératoire.

2. Analyser la qualité et la sécurité au bloc et en salle d’intervention et déterminer les mesures appropriées.

3. Mettre en œuvre des techniques et des pratiques adaptées à tout processus opératoire.

4. Mettre en œuvre des techniques et des pratiques spécifiques à la chirurgie ostéo-articulaire.

5. Mettre en œuvre des techniques et des pratiques spécifiques à la chirurgie abdomino-pelvienne et vasculaire.

6. Mettre en œuvre des techniques et des pratiques spécifiques aux techniques de chirurgie vidéo-assistée et de micro-chirurgie.

7. Organiser et coordonner les activités de soins liées au processus opératoire.

8. Rechercher, traiter et produire des données professionnelles et scientifiques.

En ligne ici : bit.ly/gnCWJ8

TÉMOIGNAGE

« Le patient avant tout »

JOSETTE VUIDEPOT

IBODE, PUIS CADRE ET FORMATRICE, TOULOUSE

« Dès que je suis arrivée dans la filière infirmière au début des années 1970, j’ai eu la conviction que j’étais et serais au service du patient avant tout. Des bébés hospitalisés tout d’abord et, très vite, au bloc opératoire. Je me suis d’emblée considérée comme collaboratrice au sein d’une équipe, ni plus ni moins importante que l’un ou l’autre », témoigne Josette Vuidepot, qui a œuvré au bloc comme IDE, Ibode puis cadre et formatrice. « J’aidais le chirurgien ou l’anesthésiste et réciproquement, avec un pouvoir de décision et d’action respecté. Même cadre, je venais remplacer un instant l’infirmière qui devait reprendre son souffle. Les techniques sont devenues plus complexes. Cela a transformé les pratiques, mais ne change en rien sa responsabilité première : la sécurité et la sérénité pour tous. L’infirmière est facilitatrice et coordinatrice dans sa salle. Sur le sens profond de ce métier, j’ai observé peu d’amélioration : il n’est pas suffisamment compris. Au lieu de vouloir transformer les infirmières en petits chirurgiens, les écoles d’Ibode devraient valoriser les savoirs nécessaires à leur rôle propre. Elles se sentiraient ainsi moins exécutantes et mieux reconnues pour leurs responsabilités spécifiques. Enfin, intégrer dans leur activité l’accueil du patient pour échanger avec lui et s’engager à respecter sa demande permettrait de retrouver le sens véritable de la fonction. Au bloc, on ne voit pas le patient de la même façon lorsqu’on lui a parlé. Or, ce qu’on doit surtout garder en tête, c’est qui il est et ce qu’il attend. »

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