« De l’huile dans les rouages » - L'Infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011

 

INTERVIEW : EMMANUELLE BORDES ET LAURENCE BOUFFETTE, Infirmières coordinatrices en ETP

DOSSIER

Laurence Bouffette a travaillé auprès de patients atteints de VIH, hépatite et tuberculose, puis comme coordinatrice en ETP pour un réseau ville-hôpital. Elle est aujourd’hui coordinatrice en ETP à l’Hôtel-Dieu (AP-HP). Emmanuelle Bordes a découvert l’ETP en prison, puis a participé à une consultation hospitalière d’ETP pour des malades du VIH. Coordinatrice des actions d’ETP à la Corevih Ile-de-France Sud, elle souhaite la mise en place d’un réseau professionnel d’acteurs de l’ETP.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : De quand date la fonction de coordinateur en ETP ?

LAURENCE BOUFFETTE : Ces postes ont commencé à se dessiner après les recommandations de la HAS, en 2007. Jusque-là non officiels, ils dépendaient de la bonne volonté d’une personne motivée de l’équipe. Les besoins ont toujours existé, tant cette fonction, ouverte aux infirmières, est indispensable pour faire avancer un projet. Avec les recommandations et la loi HPST, les institutions ont compris son utilité et les postes tendent à se développer.

L’I. M. : Comment définiriez-vous le rôle de l’infirmière coordinatrice ?

EMMANUELLE BORDES : De façon imagée, c’est celle qui met de l’huile dans les rouages. Toute une partie de sa mission ne se mesure pas sur un bilan d’activité : mettre les gens autour d’une table pour discuter, négocier avec un médecin afin qu’il accepte de permettre une pluralité des intervenants, des méthodes, des contenus, des objectifs… sont autant de tâches invisibles mais indispensables.

L. B. : Je travaille en transversal à l’Hôtel-Dieu et collabore avec Emmanuelle sur l’un de nos programmes, initié par le Dr Viard sur le VIH et baptisé « Un temps pour soi ». Nous avons monté un groupe de travail pluridisciplinaire. Cela passe par un long travail de maillage pour mettre en relation les professionnels, souvent saturés, et qui n’ont plus l’énergie de se mobiliser pour rencontrer d’autres services… Nous tissons aussi des liens étroits avec les associations de patients pour les impliquer dans les programmes le plus tôt possible.

E. B. : Quand la dynamique est lancée, quand les soignants acceptent de se montrer curieux, ils disent combien cela leur plaît de réfléchir avec d’autres à leurs pratiques, d’entendre parler d’expériences nouvelles : je pense à des professionnels qui travaillent en appartements thérapeutiques accueillant des personnes vivant avec le VIH mais aussi avec d’autres pathologies chroniques, et s’ouvrant à l’ETP. Ils témoignent du fait de devoir s’adapter en permanence à un public précarisé. Je pense au milieu pénitentiaire, aux besoins et aux attentes énormes, et très preneur d’un travail de réseau pour préparer la sortie des détenus…

L’I. M. : Cela demande donc tact et sens stratégique…

L. B. : Tout à fait. Depuis mon arrivée, je tente « d’infiltrer » le service de la stratégie médicale du groupe hospitalier Hôtel-Dieu, Cochin et Broca… La loi a consacré notre fonction mais il faut jouer des coudes pour être reconnues à la direction des soins comme les homologues des membres du service de la stratégie médicale… Ceux-ci ont su nous trouver au moment du vent de panique lors du montage des dossiers pour l’ARS [après la parution des décrets de 2010, ndlr], mais quand je leur demande d’obtenir tous les programmes déposés pour faire un audit, curieusement, cela s’avère nettement plus compliqué.

E. B. : On ne nous présente pas aux services, on met des mois à obtenir un bureau et un ordinateur… Il m’a fallu un an pour m’installer dans mon poste et m’y sentir légitime, avant de mettre au point une stratégie pour débarquer dans les services et proposer une aide sans qu’elle soit mal interprétée. J’ai tâtonné, m’employant à faire des revues de presse sur les savoirs en ETP, pour alimenter la réflexion et nourrir les équipes.

L’I. M. : Les coordinatrices en ETP sont diplômées à bac + 5…

E. B. : Nous sommes titulaires d’un diplôme d’ingénierie en éducation thérapeutique, soit un master 2, comme l’exige la loi. Mais, derrière cela, rien n’est proposé. Nous sommes parties en formation, avons passionnément aimé ce que nous y avons découvert mais, à notre retour, rien ne nous a été offert en termes de poste ni, bien sûr, de salaire. Nous sommes coordinatrices mais, sur notre fiche de paie, nous restons infirmières. En France, si elle n’est pas passée par l’école des cadres, une infirmière ne progresse pas en termes de carrière. C’est à nous de faire montre de notre savoir, d’écrire et de publier, pour que la science infirmière soit reconnue comme dans d’autres pays.

L. B. : Après notre formation, nous ne pouvions rester cantonnées aux postes d’exécutante que nous occupions. Lorsque l’on commence à être chercheuse dans son service, à se former, à être « accro » au savoir, rester à la même place s’avère difficile… Nous avons choisi d’évoluer, quitte à perdre une partie de notre salaire, mais en allant vers des postes où tout est à créer, où l’on se bat pour faire exister les pratiques en ETP !