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L'infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011

 

SOIGNANTS

DOSSIER

Fondée sur l’implication des patients dans des programmes personnalisés, l’éducation thérapeutique bouscule les habitudes soignantes. Au point que ceux qui l’ont choisie assurent « ne plus faire le même métier ».

Pratiquée intuitivement depuis longtemps, l’éducation thérapeutique du patient (ETP) n’a trouvé que récemment sa place dans les textes. En 1996, un rapport de l’OMS-Europe, traduit en France en 1998, l’a définie ainsi : « L’ETP vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge. Elle comprend des activités organisées, y compris un soutien psychosocial, conçues pour rendre les patients conscients et informés de leur maladie, des soins, de l’organisation et des procédures hospitalières, et des comportements liés à la santé et à la maladie. » (1) Au vu du nombre croissant de personnes atteintes de maladies chroniques en France (environ 15 millions), les besoins sont très importants.

Alors que cet axe de soin est très développé dans les pays anglo-saxons, le droit français ne l’a véritablement reconnu qu’en 2009, via la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires, lire encadré p.16). L’ETP prend racine dans l’observance, autrement dit « la concordance qui existe entre les recommandations des soignants et les comportements des soignés »(2). Mais elle ne s’y limite pas, dans le sens où elle postule la participation du patient et de son entourage, ne se situe pas dans la contrainte et propose un accompagnement global de la personne.

Prise de conscience

Depuis longtemps, certains soignants éprouvaient un malaise dans le décalage entre l’approche biomédicale et les usages des patients : « Je trouvais illogique de dire à des patients coronariens : “Prenez ces médicaments, ça ira mieux !”, car je pensais qu’il fallait bien plus pour accompagner un malade », s’insurge François Ledru. Cardiologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou, il est à l’initiative de deux programmes d’éducation thérapeutique dans le domaine cardiovasculaire, et étudiant en master d’ETP à Paris-6. « Il était de notoriété publique et abondamment prouvé que ce qui faisait la différence pour les patients était leur approche globale de leur santé. Je voyais bien qu’il était difficile de leur faire perdre du poids, reprendre une activité physique, arrêter de fumer, se faire surveiller, prendre leur traitement dans une maladie n’occasionnant ni symptômes ni douleur… » Même prise de conscience pour Béatrice Decelle, IDE d’éducation du patient (BPCO, AVK…) et IDE tabacologue à l’hôpital de Dreux. Son expérience antérieure en cardiologie l’a conduite à réfléchir à l’absence de prévention et d’accompagnement des malades concernant leur maladie, leur traitement et leurs facteurs de risque cardiovasculaire : « Un de nos patients est sorti du service avec une ordonnance pour un traitement anticoagulant oral, dosé à 3/4 par jour. Il est revenu quelques jours plus tard en surdosage, il pensait qu’il devait alterner 3 comprimés un jour et 4 le lendemain… On ne s’était pas assuré qu’il avait bien compris la prescription. Je me suis donc interrogée sur la façon dont on pouvait accompagner les personnes pour qu’elles vivent mieux avec leur maladie, améliorer leur qualité de vie, s’approprier leur pathologie, leur traitement… J’ai alors suivi un DU Santé et éducation (Nancy), puis une maîtrise universitaire de pédagogie des sciences de la santé (Bobigny), avant de poursuivre par un master 2, parcours “ingénierie de l’éducation du patient” (Rouen). »

Se référant à l’evidence-based medicine (médecine fondée sur des preuves), des soignants cheminent face à l’échec thérapeutique et se centrent sur le patient. Car la révolution en ETP repose sur l’écoute : « Dans les jeux de rôle que j’organise avec les soignants lors de mes formations, nous simulons une consultation. Les soignants parlent pendant 80 % du rendez-vous, contre 20 % pour les patients. » Nutritionniste, Frédéric Sanguignol dirige une clinique privée spécialisée dans la prise en charge du diabète et de l’obésité près de Toulouse. En 2002, il a obtenu le diplôme européen d’éducation thérapeutique à Genève, « la Mecque dans le domaine », auprès du Pr Jean-Philippe Assal, grand patron de l’ETP en Europe et auteur du rapport fondateur de l’OMS. C’est avec lui qu’il a créé la Société d’éducation thérapeutique européenne, dont il est devenu secrétaire général et le Pr Alain Golay, président. Il a développé de nombreux programmes d’ETP dans son établissement, où tous les soignants sont formés à cette approche.

Palette élargie

Les soignants interrogés, notamment les médecins, disent, après la découverte de l’ETP, ne plus « faire le même métier », les outils de l’entretien motivationnel élargissant la palette professionnelle. Sachant qu’un patient sur deux ne prend pas son traitement régulièrement, la façon dont on l’interroge en consultation a des conséquences : « Est-ce que vous prenez bien vos médicaments ? » n’appelle pas la même réponse que : « Quel est le moment où vous avez le plus de mal à prendre votre traitement, le matin ou le soir ? » « Vous adoptez alors une posture qui permet au patient de comprendre que vous êtes prêt à entendre qu’il est non-observant », explique Frédéric Sanguignol. Et les soignants de s’apercevoir, en écoutant leurs patients, que ceux-ci ont, en général, une bonne connaissance de leur maladie, des techniques et des traitements. La difficulté réside davantage dans leur vécu et dans leur possibilité de s’exprimer sur une affection qu’ils vivent parfois comme une honte : « On comprend d’autant le problème d’inobservance qui en découle. Mais qui, finalement, n’est pas la question centrale, parce que, très vite, on s’en éloigne. Nombre d’éléments complexes et personnels nécessitent d’être d’abord explorés et dénoués avec le patient, avant d’arriver aux problématiques de soins, que j’appellerai les besoins des soignants. » Hakima Ouksel, pneumologue au CHU d’Angers, responsable d’une unité fonctionnelle d’ETP, est coresponsable d’un DU en éducation thérapeutique qu’elle a créé avec le Pr Jean-Louis Racineux, pionnier de l’ETP en France. Elle définit cette approche comme une vision plus humaniste de la médecine mais aussi plus efficace thérapeutiquement : « C’est là que j’ai trouvé la clé. Je ne conçois plus de voir un malade sans démarche éducative, c’est tellement enrichissant dans la compréhension de la personne, qui se présente vulnérable et que l’on va essayer de mettre en confiance. »

En France, l’ETP se construit selon un cheminement cadré par les recommandations de la Haute Autorité de santé(3). La première étape repose sur le diagnostic éducatif, réalisé par les soignants et qui se construit autour de cinq axes : « Ce que le patient a, ce que le patient sait, ce que le patient est, ce que le patient fait, ce que le patient projette ». Une posture soignante radicalement différente de celle enseignée, notamment dans les facultés de médecine, comme le souligne Frédéric Sanguignol. « Lors de nos études médicales, on nous a appris à prendre en charge la phase aiguë (ce que le patient a). Nous sommes les rois pour injecter, prescrire, faire tel geste technique… Mais on ne nous a jamais enseigné comment suivre, pendant quinze à trente ans, un patient atteint de maladie chronique. Personne, durant mes années de fac, ne m’a expliqué comment interroger un patient sur ses connaissances et ses représentations de sa maladie et, de manière plus globale, sur ses croyances de santé. C’est précisément ce que nous faisons lors du diagnostic éducatif. »

Un espace de liberté

Une fois ce diagnostic éducatif posé, l’objectif est de proposer, selon les besoins et les préférences du patient, une planification des séances. Collectives ou individuelles, elles sont menées le plus souvent par un binôme pluridisciplinaire pour être au plus proche des besoins de ses patients. Les programmes s’attachent à offrir au patient les éléments nécessaires à sa gestion de la maladie : les savoirs (connaître la maladie et son traitement), les gestes d’autosoins (prendre son traitement), les compétences psychosociales (estime de soi, capacité de se créer un réseau social soutenant, faire face à la pathologie ou coping). L’ETP peut être proposée à n’importe quel stade de la maladie et apparaît comme une ressource pour faire le point, réfléchir, progresser… Lors des séances, on aborde avec la personne son vécu de la maladie, sa culpabilité éventuelle vis-à-vis de ses proches, le choc de l’annonce… Autant de sujets sur lesquels il a peu l’occasion de s’exprimer : « Je pense à une patiente ayant une BPCO (broncho-pneumopathie chronique obstructive), raconte Béatrice Decelle. C’est important pour elle de rencontrer un professionnel de santé qui essaie de comprendre ses difficultés, ses stratégies pour faire face, pour s’adapter, de développer ses compétences d’adaptation, et de ne pas être centrée sur ses médicaments, son oxygène ou sa machine. L’ETP peut lui permettre d’échanger avec d’autres patients, sur l’évolution de sa maladie par exemple. Elle explique que personne jusque-là n’avait vraiment pris le temps d’aborder ces questions avec elle, et qu’elle éprouve le sentiment que les professionnels contournent ou esquivent ces aspects. Or, ce sont souvent des patients isolés, fragiles, limités dans leur quotidien. L’ETP peut leur permettre d’apprendre à gérer leur maladie, leur traitement, à refaire des projets… »

Ateliers collectifs et temps individuels

Dans la clinique dirigée par le Dr Sanguignol, 95 patients sont hospitalisés pour une durée de trois semaines. Après une phase d’observation de deux jours (diagnostic éducatif), un programme individualisé leur est proposé. De petites unités pluridisciplinaires (médecin, infirmière, diététicienne, psychologue, professeur d’EPS…) sont référentes d’un groupe de 15 à 18 personnes. Un référentiel commun a été adopté : qu’attend-on des patients obèses ? Quelles compétences doivent-ils avoir sur les plans psychologique et technique (par exemple, savoir faire une glycémie) ? « Nous avons un modèle commun que nous individualisons en déclinant une multitude de choix adaptés à chaque patient, détaille Fanny Ribière, ancienne professeur d’EPS, cadre de soins à la clinique et coordinatrice des programmes d’ETP. En fonction de ses besoins, on lui propose des ateliers collectifs (dans les domaines diététique, physique, psychologique et médical) et des temps individuels. Dans les deux cas, nous utilisons différents médias (art-thérapie, atelier chocolat, jeux de rôle…). » Dans l’atelier « Trucs et astuces », un groupe de patients échangent sur des questions pratiques : comment faire pour manger équilibré, pour maintenir une activité physique… « Si la proposition faite au patient lui correspond en termes d’apprentissage, de besoins, de travail sur soi, il y adhère forcément. Et ce quels que soient ses capacités intellectuelles et psychiques, son acceptation de la maladie ou son environnement. L’important est de ne pas standardiser : il y a toujours une formule possible, mais on ne peut pas travailler de la même façon avec tous. » Au terme des trois semaines, le patient, connu et sécurisé, est associé aux réunions d’équipe le concernant. On procède avec lui à une évaluation lui permettant de poursuivre la démarche initiée.

1- OMS-Europe, 1996, Therapeutic Patient Education. Continuing Education Programmes for Health Care Providers in the Field of Chronic Disease, traduit en français en 1998.

2- Joël Ménard et Nicolas Postel-Vinay, Encyclopédie médico-chirurgicale, Paris, Elsevier, 1998.

3- Structuration d’un programme d’éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques, juin 2007, en ligne sur www.has-sante.fr.

JURIDIQUE

Un champ désormais encadré

La loi HPST et ses textes d’application(1) prévoient que les programmes d’éducation thérapeutique se conforment à un cahier des charges national mis en œuvre au niveau local après autorisation des agences régionales de santé. Ils doivent être conçus par au moins deux professionnels de santé de discipline différente, dont l’un est obligatoirement médecin. Les professionnels impliqués dans l’ETP doivent suivre une formation d’une durée minimale de 40 heures d’enseignement théorique et pratique. En effet, la majorité des programmes de formation initiale des professionnels de santé ne comportent pas de thématiques autour de l’ETP, exception faite des formations infirmières. Un arrêté liste les quinze compétences, définies par les recommandations de l’OMS, que ces professionnels doivent acquérir, regroupées en quatre grands items : compétences relationnelles ; pédagogiques et d’animation ; méthodologiques et organisationnelles ; biomédicales et de soins.

1- Loi HPST du 21 juillet 2009 (Journal officiel du 22/07/2009). L’article 84 inscrit l’éducation thérapeutique dans le Code de la santé publique, aux articles L. 1161 et L. 1162. Concernant l’autorisation des programmes, les décrets et arrêtés sont parus le 4 août 2010 au Journal officiel (textes 25, 27, 30 et 31). Se reporter à L’Infirmière magazine n° 263.

PÉDIATRIE

« Il ne suffit pas de “parler enfant” aux petits malades »

Marie-Pierre Fernandez est psychologue du développement et diplômée en ETP. Elle anime des formations en éducation thérapeutique pédiatrique et participe à une recherche sur les transitions chez les jeunes vivant avec le VIH en tant que psychologue de recherche clinique à l’AP-HP. Son intérêt pour l’ETP pédiatrique est né d’un constat de terrain, trop d’interventions ne tenant pas compte des spécificités de l’enfant et se contentant d’adapter grossièrement les modèles pour adultes. « Or, il ne suffit pas de “parler enfant” ou de plaquer des illustrations sur un texte complexe pour répondre aux besoins de l’enfant malade. Trop souvent, les programmes se contentent du volet informatif, c’est-à-dire de transmettre des savoirs sur tout ce qui a trait à la maladie et à sa prise en charge. » M.-P. Fernandez estime par ailleurs que mieux le parent sera accompagné dans les différentes étapes de la prise en charge, plus il sera en mesure d’accompagner efficacement son enfant, de trouver un nouvel équilibre de vie et de remplir sa fonction parentale. À cet égard, « le moment de l’annonce est crucial ».

Adapter le contenu, les modalités d’intervention et les outils en fonction de l’âge, des compétences et des besoins de l’enfant est donc indispensable : « Les plus jeunes seront davantage préoccupés par les éléments factuels, palpables, visibles du présent, comme les prises de sang qui inquiètent “parce qu’à force de prendre du sang, il finira par ne plus y en avoir” que par les questionnements sur les caractéristiques de la maladie. » Il ne faut pas se contenter d’informer l’enfant sur la pathologie et les actes d’autosoins, mais accorder une part importante à l’élaboration et à la mise en parole du vécu psycho-affectif, qui lui sont essentielles pour grandir, se développer et se construire avec la maladie.