Traitements médicamenteux et chirurgie - L'Infirmière Magazine n° 276 du 01/04/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 276 du 01/04/2011

 

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

En l’absence de traitement curatif, la prise en charge thérapeutique de la maladie de parkinson (MP) repose sur un ensemble de traitements médicaux, paramédicaux et chirurgicaux ayant pour objectif de corriger la triade symptomatique de la MP (tremblements, akinésie, hypertonie) mais aussi, dans les formes évoluées, les troubles dysautonomiques, psycho-comportementaux et cognitifs. Les traitements n’agissent ni sur la cause, ni sur la progression de la maladie. Leur prescription est adaptée en tenant compte de nombreux critères : la symptomatologie, l’ampleur du handicap, l’âge du patient, les données familiales, sociales et professionnelles, le niveau d’activité du patient, son état cognitif et psychique, le risque de survenue d’effets indésirables et, à distance, la tolérance aux traitements et l’impact de leurs effets secondaires.

LES TRAITEMENTS MÉDICAUX

Ils reposent sur plusieurs classes de médicaments utilisables en monothérapie ou en association. Efficaces mais non dépourvus d’effets indésirables parfois invalidants, les médicaments antiparkinsoniens ont pour but de rétablir la transmission dopaminergique cérébrale. Ils agissent selon différents mécanismes visant soit à compenser le déficit en dopamine dans le cerveau, soit à inhiber la dégradation de la dopamine, soit encore à stimuler les récepteurs dopaminergiques des neurones.

Corriger le déficit dopaminergique : la L-Dopa (Lévodopa)

Hormis quelques rares contre-indications (mélanomes, maladie cardiaque récente), la L-Dopa (Modopar®, Sinemet®) reste le traitement de référence de la MP, même si, depuis quelques années, les agonistes dopaminergiques jouent un rôle croissant. Ce médicament est un précurseur de la dopamine capable de traverser la barrière hémato-encéphalique et de stimuler tous les récepteurs dopaminergiques. Il se distribue largement à tous les tissus, y compris le cerveau, où il est transformé en dopamine par une enzyme (la Dopa décarboxylase) et stocké à l’intérieur des neurones. Le déficit dopaminergique est ainsi comblé, et la symptomatologie corrigée. Toutefois, une partie de la décarboxylation s’effectue de manière périphérique, interdisant le passage encéphalique. Ce phénomène est responsable d’effets indésirables (hypotension artérielle, nausées et vomissements), compensés par l’association systématique d’inhibiteurs de la décarboxylase périphérique à la L-Dopa, généralisée dans les années 1970. Ces inhibiteurs (le bensérazide ou la carbidopa) ont permis de réduire considérablement les effets indésirables liés à la formation périphérique de dopamine, et de multiplier par dix la biodisponibilité de la Dopa dans le cerveau.

Cependant, la demi-vie très courte de la L-Dopa et son administration en trois à six prises le plus souvent, aboutissent à des variations de la concentration du produit dans le sang et dans le cerveau qui entraînent des « à-coups » mal tolérés par les récepteurs, qui deviennent progressivement moins sensibles, provoquant des dyskinésies (mouvements anormaux involontaires) et des fluctuations motrices constituant le « syndrome de la dopathérapie chronique ». Dans ce cas, les formes LP de la Dopa prolongent la demi-vie plasmatique en ralentissant l’absorption digestive, mais possèdent une faible biodisponibilité, nécessitant d’intensifier le traitement. L’administration par pompe de L-Dopa dans le jéjunum peut également être envisagée mais reste marginale et réservée à des cas particulièrement sévères. Inévitablement, au bout de quelques années d’évolution, l’efficacité de la L-Dopa diminue et les complications réapparaissent.

Inhiber la dégradation de la dopamine : ICOMT et IMAO

Pour limiter ces complications, il est possible d’avoir recours à l’adjonction de principes actifs chargés d’inhiber les enzymes qui détruisent la Dopa. Il s’agit des ICOMT (inhibiteurs de la catéchol-méthyl-transférase) et des IMAO (inhibiteurs de la mono-amino-oxydase). Ces molécules présentent l’intérêt d’augmenter la biodisponibilité de la dopamine au niveau cérébral.

→ Les ICOMT (entacapone, tolcapone) sont commercialisés soit sous forme séparée (Comtan®, Tasmar®), prescrite conjointement à la Lévodopa, soit en comprimé unique comprenant les deux molécules (Stalevo®). Effets indésirables : douleurs abdominales, diarrhées pouvant nécessiter l’arrêt du traitement.

→ Les IMAO (sélégiline = Deprenyl® ou Otrasel® ; rasagiline = Azilect®) peuvent également être utilisés en association à la Dopa pour en potentialiser les effets. Prescrits en monothérapie, notamment au début de la maladie, ils améliorent l’utilisation de la dopamine endogène et permettent de retarder la mise sous L-Dopa.

Stimuler les récepteurs dopaminergiques des neurones : les agonistes dopaminergiques

Ces médicaments de synthèse (Piribedil = Trivastal® ; Ropinirole = Requip® ; Pramipexole = Sifrol® ; Rotigotine = Neupro® ; Apomorphine = apokinon®) ou dérivés de l’ergot de seigle (Bromocriptine = Parlodel® et Pergolide = Celance®), dont la suppression est prevue au 2 mai 2011, traversent la barrière hémato-encéphalique et ont la propriété de se fixer directement sur les récepteurs de la dopamine et de les stimuler comme le ferait la dopamine, sans avoir besoin d’être transformés préalablement comme la Lévodopa. Ils ont une durée d’action prolongée mais légèrement moins puissante, en monothérapie, que la L-Dopa. Ils peuvent engendrer différents effets indésirables : somnolence, conduites addictives, hallucinations, nausées et vertiges liés à des chutes de tension. Les AD de synthèse sont habituellement utilisés en première intention en cas de non-réponse ou d’effets indésirables sevères aux AD ergotes. L’apomorphine, puissant agoniste dopaminergique, a une durée de vie très courte mais présente un intérêt particulier du fait de son administration sous-cutanée par stylo injecteur(1) ou par pompe. Celle-ci permet de court-circuiter l’absorption digestive et d’avoir une action prévisible et rapide. Cette propriété en fait un excellent médicament d’appoint pour équilibrer le traitement. Il peut notamment être utilisé en association avec la Levodopa et un agoniste dopaminergique per os pour venir à bout de fluctuations résiduelles persistant malgré des adaptations thérapeutiques. Il peut aussi être injecté la nuit pour soulager des crampes en période « off » ou encore, dans la journée, pour prolonger la période « on » en cas de sortie ou de séance de kinésithérapie par exemple. D’autres médicaments (anti-cholinergiques et amantadine) peuvent également être utilisés seuls ou associés a l’arsenal thérapeutique de base aux différents stades de la maladie, précoce et avancé (voir encadré Point de vue ci-dessus), selon une stratégie visant à favoriser le traitement dont la durée d’action sera la plus longue et à l’instaurer au bon moment.

INDUCTION DU TRAITEMENT

Dans une maladie évoluant très différemment d’un patient à l’autre, quand convient-il d’instaurer le traitement ? La réponse à cette question repose sur un consensus qui date d’une dizaine d’années et sur des recommandations énoncées par la Haute Autorité de santé il y a quatre ans selon lesquels « il faut traiter les malades gênés sur le plan moteur et ne pas traiter ceux qui ne présentent pas de gêne fonctionnelle ». « Si ce consensus reste la règle, indique le spécialiste, de nombreuses études ont montré que le fait de traiter et, donc, de réactiver les circuits dopaminergiques, était bénéfique et améliorait la qualité de vie des patients quel que soit leur état initial. Par ailleurs, l’étude Adagio de phase III (2009) a révélé que les patients parkinsoniens traités par Rasagiline 1 mg, administrée une fois par jour, dès le début de l’essai, montraient une amélioration marquée comparativement aux patients traités en mode différé, neuf mois plus tard. Il semble que ce médicament ait la capacité de ralentir la progression de la maladie, ce qui pose la question de proposer très vite un traitement, avant même l’apparition de troubles moteurs, pour tenter de freiner un peu son évolution. »

LA CHIRURGIE

La chirurgie par stimulation cérébrale profonde ou neurostimulation sous-thalamique s’adresse, sauf contre-indications formelles (voir encadré p. 34) à des patients qui présentent des fluctuations « on/off » sévères, jeunes, sensibles à la Dopa et que l’on ne peut plus équilibrer avec des médicaments.

Principe de l’intervention

Cette neurochirurgie stéréotaxique consiste à implanter chirurgicalement deux électrodes bilatérales et symétriques dans la région frontale haute afin de stimuler les noyaux subthalamiques droit et gauche responsables des troubles du mouvement et de la rigidité musculaire. La complexité de l’opération ne tient pas à la traversée des structures cérébrales mais au repérage de l’endroit précis à stimuler, qui est réalisé par radiologie tridimensionnelle (IRM) préopératoire du noyau sous-thalamique. L’électrode est ensuite progressivement descendue jusqu’au noyau sous-thalamique à travers les structures cérébrales (cortex, thalamus, région sous-thalamique…) sous contrôle électrique des cellules nerveuses, qui permet de s’assurer très précisément de l’endroit du cerveau où l’électrode se situe. L’intervention, très longue (8 heures en moyenne), s’effectue sous anesthésie générale réversible pour vérifier par des tests électriques, patient réveillé, ses réactions aux stimulations du noyau sous-thalamique et l’absence d’effets indésirables. Les électrodes sont ensuite reliées au stimulateur implanté en région sous-claviculaire et l’intensité de la stimulation réglée, puis affinée environ un mois plus tard. Ensuite, des visites régulières tous les trois mois, puis deux fois par an sont nécessaires pour assurer le suivi des patients et mettre en place, si besoin, un traitement pour contrôler l’apparition et l’évolution des signes axiaux (instabilité de la posture entraînant des chutes, freezing, troubles de l’élocution). La pile du stimulateur est à changer en moyenne tous les sept ans.

Bénéfices de la chirurgie

D’une manière générale, la chirurgie est aussi efficace que de fortes doses de traitement conventionnel. « Les bénéfices immédiats sont assez spectaculaires,indique le Pr Césaro. Le fait d’allumer le stimulateur donne autant de bénéfices moteurs que de prendre de fortes doses de Dopa. Le sommeil est amélioré et les douleurs en rapport avec les dystonies de “off” disparaissent. En principe, la plupart des patients diminuent leur traitement de 50 % après l’opération. Certains l’arrêtent complètement, mais c’est assez exceptionnel. » Le traitement est maintenu pour certains patients parce qu’ils deviennent apathiques après l’intervention. Cette réaction est liée au syndrome addictif qui constitue une des complications des médicaments dopaminergiques. Chez ces patients, le sevrage consécutif à la chirurgie entraîne un état apathique par « manque ». Ils marchent et bougent mieux, mais il est nécessaire de leur redonner de la Dopamine pour qu’ils puissent pleinement profiter des bénéfices moteurs de la chirurgie. « Globalement, conclut le Pr Césaro, son efficacité perdure au cours des années, et de nombreux patients ayant franchi le cap des dix ans continuent à bénéficier de l’effet de cette chirurgie. Mais elle n’exclut pas totalement la prise de traitement car elle n’améliore que les symptômes répondant à la Dopa, et n’empêche pas non plus la maladie d’évoluer. » Avec les années, en effet, apparaissent des signes non dopaminergiques ou des signes axiaux tels que : difficultés à parler, à déglutir, difficultés posturales, d’équilibre et de la marche. Tous ces marqueurs de l’évolution de la maladie ne sont pas améliorés par la stimulation. C’est ce qui motive la recherche sur d’autres cibles (noyau pédonculopontin, moelle épinière, thérapie génique) pour essayer, notamment, de corriger les troubles de la marche.

Cela dit, si la recherche permet de parier sur l’avenir, c’est au présent que se conjugue le quotidien des patients et « il est très important, pour que tout malade parkinsonien puisse bénéficier, aux différentes étapes de sa maladie, d’un avis médical pluridisciplinaire spécialisé dans un centre de référence, de développer des filières de soin spécifiques. S’il y a un progrès à faire en matière de prise en charge aujourd’hui, c’est de mettre en place des réseaux ville-hôpital spécialisés dans cette maladie », conclut le Pr Césaro.

1 - Les stylos injecteurs contiennent 30 mg d’apomorphine et sont préréglés pour délivrer 2, 4 ou 6 mg par injection sous-cutanée, à la demande.

CHIRURGIE

Contre-indications

→ En raison des tentatives de suicide assez fréquentes après une opération, tout patient ayant des antécédents de dépression sévère doit faire l’objet d’une évaluation psychiatrique très fine préalable à l’intervention.

→ Des lésions vasculaires nombreuses dans la zone d’implantation des électrodes révélées par l’imagerie cérébrale contre-indiquent également l’opération en raison du risque hémorragique élevé.

→ De même, s’il est arrivé d’opérer des personnes ayant jusqu’à 90 ans, généralement, au-delà de 70 ans, il faut vraiment réunir beaucoup de facteurs positifs pour opérer. L’âge constitue donc une contre-indication relative.

→ Enfin, il est déconseillé d’opérer les patients qui présentent une détérioration cognitive car la chirurgie de stimulation peut avoir des effets psychiques et comportementaux (confusions post-opératoires notamment) qui risquent d’aggraver leur état initial.

POINT DE VUE

Choix du traitement : l’avis du spécialiste

PR PIERRE CÉSARO CHEF DU SERVICE NEUROLOGIE HÔPITAL HENRI-MONDOR (AP-HP), CRÉTEIL

I. M. : Quels sont les principes qui président au choix du traitement ?

P. C. : Il faut tenir compte de l’âge du patient et de la précocité du diagnostic. En présence d’une MP récente chez un patient jeune et en bonne santé mentale, il est recommandé d’utiliser un AD en monothérapie ou en association avec un IMAO, en commençant à petites doses et en augmentant progressivement jusqu’à la dose maximale utile. Les AD présentent deux avantages par rapport à la L-Dopa. Ils retardent de plusieurs années la survenue des complications motrices et permettent, grâce aux préparations retards (Requip, Sifrol, Neupro), une seule prise de médicament par jour Cela dit, beaucoup de praticiens prescrivent immédiatement la L-Dopa car la correction des symptômes est meilleure. Il me semble préférable d’introduire ce traitement après quelques années seulement, car on diffère d’autant l’apparition des complications motrices. Après 70 ans, le traitement repose principalement sur la L-Dopa car les agonistes donnent plus d’hallucinations et de confusions mentales et la maladie est souvent moins sévère. Néanmoins, lorsque les tremblements prédominent, de nombreux neurologues continuent à prescrire des anticholinergiques. J’utilise peu cette stratégie, en raison des troubles de la mémoire et de la concentration associés.

I. M. : Et lorsque la maladie s’aggrave ?

P. C. : On additionne les médicaments selon des protocoles pouvant associer, en fonction de l’évolution de la maladie, IMAO + AD + L-Dopa + ICOMT (antacapone). Enfin, on ajoutera l’amantadine (Mantadix) pour limiter l’intensité des dyskinésies, et ceux nécessaires à la correction des troubles non moteurs.

I. M. : Quelles sont les options lorsque vous avez utilisé toutes les classes de médicaments ?

P. C. : On peut s’orienter vers les traitements continus à base d’apomorphine en perfusion sous-cutanée ou vers la stimulation électrique chronique, qui nécessite un geste chirurgical.

VIGILANCE

→ L-Dopa, entacapone ; agonistes dopaminergiques ; apomorphine : ne jamais utiliser de métoclopramide (Primpéran) ou de métopimazine (Vogalène, Vogalib). Ces antiémétiques sont des neuroleptiques. Il y a antagonisme entre les deux médicaments avec diminution de l’effet de l’antiparkinsonien. Seule la domperidone (Motilium, Peridys) peut être associée.

→ Sélégiline ; rasagiline : ne pas associer de tramadol ou de triptans (antimigraineux) : risque de crises hypertensives ou de syndrome sérotoninergique.