En première ligne - L'Infirmière Magazine n° 274 du 01/03/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 274 du 01/03/2011

 

LES URGENCES VUES DE BELGIQUE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Au CHU Saint-Pierre, à Bruxelles, l’infirmière « de première ligne » jouit d’une autonomie renforcée, avec la mise en place du dispositif de « tri » des patients arrivés aux urgences.

Une douleur persistante à la poitrine, malgré une visite chez le médecin et la prise d’un antalgique. Tel est le motif de la venue de cette patiente aux urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) Saint-Pierre, à Bruxelles (Belgique). Après l’avoir interrogée et mesuré ses constantes, Laura Paget écrit le résultat de son anamnèse infirmière sur la fiche consacrée à cette première évaluation. Il y a un doute : la jeune infirmière sollicite un avis détaillé du médecin. Si lui aussi est inquiet, il exigera sans doute un électrocardiogramme, une radio ou une prise de sang. Pour d’autres cas qui ne relèvent clairement pas de la médecine d’urgence, Laura Paget aurait éventuellement proposé de réorienter le patient vers son médecin traitant ou de lui fixer un rendez-vous ultérieur dans un autre service.

À l’inverse, les patients prioritaires, qui nécessitent des soins immédiats, auraient été dirigés plus vite vers le plateau situé à l’arrière des urgences, afin de bénéficier d’une prise en charge plus rapide, plus appropriée, plus approfondie. Enfin, pour d’autres pathologies, la praticienne aurait pu recommander une prise en charge médico-infirmière, par exemple un pansement, un bandage ou une prise de sang – l’Accueil de première ligne (APL) ne peut pas réaliser de suture, de plâtre ni de perfusion, ces soins relevant en effet du plateau technique des urgences. Au final, donc, l’ordre de passage des patients n’est, bien sûr, pas toujours l’ordre d’arrivée à l’hôpital.

En 2010, une grande partie des 55 000 patients accueillis aux urgences du CHU Saint-Pierre sont ainsi passés par l’APL(1). Plus de 12 500 d’entre eux – venus pour des dermatoses, des angines, de petites infections, des entorses ou des douleurs simples, des contusions… – ont soit été pris en charge à l’APL, soit réorientés vers leur médecin de ville ou leur domicile sans poursuivre leur chemin aux urgences. Une statistique considérable, car la Belgique souffre aussi d’urgences engorgées. Dans le même temps, près de 5 400 patients ont été dirigés vers le plateau à l’arrière du service. L’APL « n’est pas un barrage, mais un filtre, explique Gaëtan Denies, infirmier référent du dispositif. On travaille avec et non pour l’arrière ». Le « tri » en première ligne « permet, à l’arrière, une prise en charge plus adéquate et plus calme, confirme le médecin Dominique Cerf. L’essentiel, ce n’est pas de soigner vite, mais bien. » Par solidarité entre les différents secteurs de soins, les professionnels se relaient sur tous les postes des urgences, à l’arrière comme à l’avant. « Quand on travaille devant, c’est sans filet. Si on ne sait pas rapidement ce qu’a un patient, on le passe à l’arrière », explique Dominique Cerf.

Fiche de triage

Pour formaliser et encadrer ce dispositif, plusieurs fiches ont été élaborées. À celle de la prise en charge standard s’en sont ajoutées deux autres. L’une d’elles a vu le jour fin 2009. À ce moment-là, les urgences du CHU sont « submergées ». Elles doivent faire face à un afflux massif de patients dû à la fermeture des urgences d’un hôpital proche (détruites dans un incendie), et recevoir les malades potentiels du A(H1N1) – Saint-Pierre est alors le centre de référence en Belgique pour la pandémie. Une « fiche de triage » spécifique pour la grippe est rédigée. Au recto sont détaillés les premiers renseignements indispensables, dont le recueil est à la charge de l’infirmière. Celle-ci doit notamment, auprès du patient, s’informer sur les critères de gravité et les facteurs de risque (comme la grossesse, une insuffisance cardiaque, ou encore un diabète).

Selon une étude menée fin 2009, 66 % des patients ont été, au terme de cet examen par l’infirmière, examinés par un médecin des urgences, tandis que 34 %, ne présentant ni critère de gravité ni facteur de risque, ont été réorientés vers la médecine générale, avec copie du formulaire(2). Une enquête de suivi, réalisée à partir de 56 patients « renvoyés » vers la médecine de ville, a fait état de 47 % de syndromes grippaux bénins, de 43 % d’infections respiratoires supérieures aiguës et de 10 % de pathologies non épidémiques. « Un seul patient réorienté a développé une pneumonie, mais cinq jours après son passage aux urgences et après avoir été également vu par son médecin généraliste », précise Gaëtan Denies.

Un dialogue capital

Depuis la pandémie grippale, cette fiche a été adaptée et élargie aux infections respiratoires aiguës (IRA), telles les angines, les laryngites, les bronchites, les pneumonies. « La plupart des IRA n’ont rien à faire aux urgences », justifie Dominique Cerf. En novembre 2010, enfin, a été mise au point une fiche consacrée à la traumatologie, stipulant que le premier examen est, là encore, dévolu à l’infirmière. Au total, l’APL du CHU a donc élaboré trois fiches à remplir et à cocher. « Uniques à notre connaissance en Belgique », selon le médecin, ces documents pourraient passer du papier au support numérique (sous forme de tablettes tactiles), ouvrant les portes au dossier infirmier informatisé. Ces fiches, en constante amélioration, constituent un précieux outil de communication entre professionnels de santé. Y figure, notamment, un cadre « motif de transmission », rempli par l’APL pour expliquer le cas à l’arrière des urgences.

Le dialogue s’avère, en effet, capital. La diffusion de la méthodologie du service se fait en particulier au travers d’un cahier de communication et d’une newsletter mensuelle baptisée What’s up ? (littéralement, « Que se passe-t-il ? »). Autre outil, un tableau « d’aide au triage », répertoriant des exemples de pathologie en fonction de quatre catégories d’urgence. En T1, la prise en charge doit être immédiate : c’est le cas d’un patient arrivant avec une douleur thoracique irradiant vers son bras gauche et qui a des antécédents cardiaques, ou celui d’un patient dont l’un des doigts de la main est sectionné. La catégorie T2 concerne les urgences à traiter rapidement, et la T3 celles qui peuvent attendre. En T4 sont classées les situations qui n’ont rien à faire dans le service, comme celle d’une patiente venue en raison de l’apparition de petites plaques d’eczéma alors qu’elle n’a pas consulté depuis plusieurs années. Une douleur non soulagée ou une fièvre inexpliquée sont des facteurs aggravants : un patient peut passer de T3 en T2. Au sein de l’APL, deux professionnels communiquent particulièrement : le médecin et l’infirmière. Installés dans le même bureau, ils forment un binôme « relativement précurseur » en Belgique. Et sans doute au-delà, même si ce tri infirmier rappelle le concept français, formalisé et développé depuis une vingtaine d’années, d’infirmière organisatrice de l’accueil(3).

Un binôme « précurseur »

« Grâce au binôme médico-infirmier, en restant dans un cadre légal, nous avons plus d’autonomie dans la prise en charge », souligne Gaëtan Denies. Qui salue aussi « l’ouverture d’esprit des médecins. » « La force du binôme, c’est sa complémentarité. Un médecin sans infirmière dans un service d’urgences ne sait rien faire, renchérit Dominique Cerf. À l’APL, grâce à ces deux regards, nous cernons mieux le degré d’urgence des pathologies à traiter. C’est, beaucoup plus qu’un tri, une prise en charge complète. »

Une autre ambition des soignants est d’améliorer le dialogue avec les patients eux-mêmes, afin de désamorcer les tensions. et de rendre l’attente plus supportable. Aux urgences, « mieux vaut dire à quelqu’un qu’il n’est pas au bon endroit après vingt-cinq minutes d’attente qu’après deux heures trente », commente Dominique Cerf en souriant. L’APL entend, en effet, effectuer la première évaluation en moins de trente minutes. Autre vertu du système : éviter des frais aux patients. Ce tri a pu être vu comme un moyen de « contourner » une loi controversée, entrée en vigueur en 2003 en Belgique et revue par la suite. Cette mesure permettait aux établissements d’exiger 12,5 euros des patients se rendant aux urgences pour des pathologies non urgentes. Le centre hospitalier universitaire public Saint-Pierre avait annoncé qu’il n’appliquerait pas ce texte. « L’institution accueille une large patientèle, qui n’a pas toujours les moyens de payer cette somme pour un avis médical, explique Gaëtan Denies. Et le patient n’a pas fait d’études pour savoir si une douleur abdominale, simple en apparence, ne cache pas quelque chose de plus grave. » Et l’infirmier de 33 ans de conclure : « Bien accueillir, c’est déjà soigner. »

1- Ceux qui arrivent en ambulance, ou viennent pour un problème dentaire, notamment, n’entrent pas dans le dispositif d’APL.

2- Résultat présenté en 2010 au congrès de la Société française de médecine d’urgence.

3- L’IOA occupe un poste stratégique, qui requiert de l’expérience. En France, « tous les CHU disposent d’une IOA 24 heures sur 24 », entièrement dédiée à cette tâche, note Véronique Christian, cadre supérieure de santé. Dans son propre établissement, à Hautepierre, à Strasbourg, tout patient est accueilli « en moins de cinq minutes » par une IOA. Ce système y existe depuis 2004.

EN CHIFFRES

Quarante-trois infirmiers (trente-huit spécialisés en soins intensifs et urgences, quatre en psychiatrie, plus un chef, soit quarante équivalents temps plein au total) se relaient aux urgences adultes (plus de 15 ans) du CHU Saint-Pierre. L’âge moyen de ces infirmiers (16 hommes, 27 femmes) est de 30 ans.

L’Accueil de première ligne, installé dans deux boxes et une salle d’attente, ouvert de 9 h à 20 h (10 h à 19 h le week-end), emploie en permanence une infirmière et un médecin (épaulé par un second praticien le lundi, jour de grande affluence). Les pathologies qui y sont le plus étudiées sont les contusions, les viroses et les infections urinaires.

Contact : APL-Urgences@stpierre-bru.be

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