Nidcap, ou le suivi entouré - L'Infirmière Magazine n° 273 du 15/02/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 273 du 15/02/2011

 

PRÉMATURÉS

REPORTAGE

À Toulouse, le programme Nidcap propose aux soignants et aux proches d’adapter les soins de développement à chaque nouveau-né prématuré au gré de l’évolution de ses capacités, décelées grâce à l’observation minutieuse et régulière de professionnels spécialement formés.

« Il y a des prématurés qui, à 32 semaines, peuvent aller au sein, et d’autres qui ont 36 semaines et ne peuvent toujours pas », affirme le Dr Isabelle Glorieux, pédiatre au service de néonatalogie de l’hôpital des enfants du CHU de Toulouse. Comment savoir, alors ? Réponse : en observant attentivement chaque enfant. C’est précisément ce que se propose de faire le Nidcap (Neonatal Individualized Deve­lopmental Care and Assessment Program). Ce programme néonatal individualisé d’évaluation et de soins de développement a été spécialement adapté, par une Américaine(1), aux grands prématurés, et commence à susciter l’intérêt en France, après avoir largement conquis les pays scandinaves.

À Toulouse, c’est l’arrivée à la tête du service du Pr Charlotte Casper, pédiatre d’origine suédoise, qui a impulsé, à partir de 2005, ce que tout le monde s’accorde aujourd’hui à qualifier de « projet de service », même si seuls cinq professionnels de santé – un médecin et quatre puéricultrices(2) – y sont effectivement certifiés Nidcap, après avoir suivi une formation exigeante (voir encadré). Geneviève Pujau, puéricultrice dans le service depuis 1989 et certifiée Nidcap en 2008, se souvient du changement :« Avant, quand un bébé arrivait, l’infirmière le prenait en charge et les parents venaient le voir de 15 à 20 heures. Ils n’avaient pas d’autre choix que de faire confiance à la toute-puissance infirmière. Et, au bout de deux ou trois mois, ils récupéraient un petit inconnu. »

L’appui des parents

Aujourd’hui, au contraire, les parents sont chez eux dans ce service ouvert 24 heures sur 24. S’ils doivent s’annoncer à l’entrée et ne se présenter qu’à deux à la fois, maximum, par bébé, ils peuvent, s’ils le souhaitent, passer toute la journée auprès de leur nouveau-né et rester tard dans la soirée. Les frères et sœurs sont également admis. « En-deçà de 15 ans, nous sommes plus vigilants, surtout en période d’épidémie », nuance toutefois Françoise Raynal, cadre de soins. « Ils n’entrent qu’après avoir été examinés par un médecin ; s’ils ont le nez qui coule, ils doivent porter un masque. » À part cette précaution, grands-parents, oncles et tantes ou amis sont les bienvenus. De fait, on distingue immédiatement les mamans dont c’est la première visite de celles qui viennent depuis un ou deux mois. Les unes sont intimidées, osant à peine s’approcher des incubateurs et attendant qu’on les oriente. Les autres saluent à la cantonade et, d’un pas résolu, foncent vers une couveuse dont elles soulèvent délicatement un pan de couverture recouvrante. Après avoir susurré un « bonjour » ému à leur petit endormi, elles prennent un fauteuil et bouquinent en tirant leur lait. « L’accueil que l’on réserve aux parents la première fois qu’ils viennent est essentiel », abonde Geneviève Pujau. « Il s’agit de leur faire entendre qu’ils sont indispensables au développement de leur nouveau-né prématuré », poursuit la puéricultrice. C’est là l’autre spécificité du Nidcap : s’appuyer sur les parents, considérés comme corégulateurs du développement du bébé. Des parents souvent fragilisés par un accouchement précoce inattendu et dont l’état, au sortir du bloc obstétrical, « s’apparente au stress post-traumatique », observe Delphine Barraud, puéricultrice de 27 ans, certifiée Nidcap depuis janvier 2010.

Sucre « miracle »

Arrivée ce mercredi de janvier à 6 h 30 pour prendre son tour(3), la jeune femme commence par s’approcher de chaque incubateur plongé dans une obscurité salutaire pour le sommeil des nouveau-nés. À la tête de chacune des couveuses, une ardoise indique le prénom du bébé, l’heure d’arrivée des parents et la date de la prochaine toilette, voire celle de la pesée. Car rien n’est systématique dans ce service où les soins sont centrés sur l’enfant et ses parents. « La toilette a lieu un jour sur deux pour les bébés qui vont bien, un sur trois pour ceux qui sont fragiles : elle est stressante pour les bébés et ce n’est pas un soin essentiel », explique Delphine Barraud. D’ailleurs, poursuit-elle, la spécialiste suédoise Kerstin Hedberg Nyqvist, venue quelques jours auparavant faire une formation sur l’oralité, a même indiqué que dans son pays, où tous les hôpitaux sont certifiés Nidcap, les prématurés ne sont lavés que lorsqu’ils sont sales. À Toulouse, ils ne sont, ainsi, mesurés et pesés qu’une fois par semaine. De même, « avant, on faisait un bilan sanguin tous les jours, maintenant on essaie de limiter au maximum les agressions, on ne “bilante” ou ponctionne que si c’est nécessaire », commente la puéricultrice, dont les chuchotements accompagnent la musique relaxante à peine audible qui baigne la grande salle de soins intensifs.

S’approchant de l’incubateur de Noa, 35 semaines et quelques jours pour 1,7 kg, Delphine, charlotte vissée sur la tête et masque protégeant la bouche et le nez, allume la lampe articulée qui surplombe la couveuse. Le jet lumineux est projeté contre le mur, de sorte qu’il n’éclaire que de manière indirecte le parallélépipède transparent où repose le petit prématuré, bien lové dans un cocon de molleton que les puéricultrices ont modelé elles-mêmes. Profondément endormi, le nourrisson est dans « une position qui montre qu’il est bien », se réjouit la puéricultrice : sur le côté, jambes fléchies, pieds joints et petits poings pressés contre le visage. « La combinaison succion plus saccharose est un antalgique efficace », expose la soignante en présentant une toute petite sucette au bébé placé sous assistance respiratoire par CPAP. Après avoir cherché en vain le pouls sur le minuscule poignet translucide, d’un geste sûr et infiniment précautionneux, elle pique en intra-artériel dans le creux du bras de Noa, qui ne bronche ni ne bouge. « Le sucre fait des miracles ! », sourit la jeune puéricultrice.

Guetter les compétences

Soudain, le téléphone sonne. C’est la maman de Nolan, qui prend des nouvelles et annonce sa venue pour 16 h 30. La puéricultrice de l’après-midi l’attendra donc pour le bain du nouveau-né. « On programme la journée en fonction des parents, on prend des sortes de rendez-vous avec eux », glisse Delphine Barraud. Arrive bientôt Karima, maman de Sohanne, née deux mois et demi avant terme, à 1,180 kg. Il s’agit de la première visite de la jeune femme, dont la fille a été transférée de réa la veille. Delphine Barraud emmène Karima jusqu’à l’incubateur de Sohanne. Toutes deux échangent d’intenses regards par-dessus la couveuse, parlant à voix basse. L’œil aiguisé par les dizaines d’observations comportementales minutieuses qu’elle a déjà réalisées dans le cadre du Nidcap, la puéricultrice est attentive aux « signes de stress » de Sohanne, tels que bâillements ou poing levé. Guidant les mains de Karima à l’intérieur de l’incubateur, elle lui montre comment contenir le nourrisson au niveau des jambes et des bras pour éviter toute dispersion des membres susceptible d’entraîner épuisement et chute de température. « On évite de la caresser, ajoute-t-elle avec douceur. Ses terminaisons nerveuses n’étant pas matures, les caresses ne lui sont pas agréables. »

Le peau-à-peau, en revanche, est systématiquement encouragé. Après une toilette sommaire à quatre mains dans la couveuse, la puéricultrice installe confortablement Karima dans un fauteuil, jambes étendues sur un tabouret, et dépose délicatement Sohanne dans l’échancrure de la blouse sous laquelle la jeune mère est torse nu. « Ca fait trop du bien ! », s’exclame la jeune mère, larmes aux yeux, sourire radieux. « Je sens son cœur, c’est extraordinaire… » Après quelques minutes, l’infirmière ôte le masque qui relie le nourrisson à la Cpap : « Sa fréquence cardiaque est parfaite. » Pour les soignants attentifs, le peau-à-peau se révèle instructif : sa zone bucco-nasale – la plus innervée – étant en contact direct avec la mère, le prématuré, même très petit, aura plus facilement le réflexe de fouissement, ce qui dénote une envie d’aller au sein, explique Anne-Marie. « Si l’on détecte ce signe et que la mère le laisse faire, il va léchouiller le téton, déglutir, peut-être même avaler quelques millilitres de lait », assure cette puéricultrice, en poste dans le service depuis 2003. « Autrement dit, les prématurés sont capables de performances qu’on leur a longtemps déniées », commente-t-elle.

Le bain enveloppé

Faute de poste spécialement détaché des soins pour pouvoir ne se consacrer qu’à l’observation comportementale, seuls cinq prématurés bénéficient, pour l’instant, d’un suivi strictement Nidcap, à raison d’une observation tous les dix à quinze jours. Sont privilégiés les plus fragiles, comme Rose et Justin, jumeaux pesant seulement 800 g chacun à leur naissance, à 26 semaines d’aménorrhée, et intubés en réanimation néonatale pendant plus d’un mois, avant leur arrivée dans le service, le 1er janvier dernier. Au chevet de la première, suivie en Nidcap par Delphine Barraud, un panneau décoré délivre une série de conseils pour « soutenir et aider Rose à se développer ». La puéricultrice l’a rédigé à l’intention des proches de la petite fille ainsi que des soignants amenés à s’occuper d’elle. Par ailleurs, un livret contenant ses comptes rendus d’observation permet à chacun de suivre ses progrès et d’adapter sa conduite aux « compétences et objectifs » de la petite fille. Ces supports écrits, ainsi que les formations qu’assurent régulièrement les soignants certifiés à destination de leurs collègues du service et des autres hôpitaux de la région, contribuent à la diffusion de la culture Nidcap. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à voir Anne-Marie, pourtant non certifiée, pratiquer sur Nolan, né deux mois avant terme, un soin de développement préconisé par le Nidcap : le bain enveloppé. La puéricultrice soutient dans l’eau chaude le nouveau-né emmailloté dans un linge, tandis que Laetitia, sa mère, le savonne et le rince. L’effet sur le nourrisson est prodigieux : yeux grands ouverts, il échange un long regard avec sa mère.

Au mur, une affiche sur le Nidcap commande aux soignants d’« être à la disposition des parents pour le bien-être de l’enfant ». Mission accomplie. Dommage qu’il soit difficile de convaincre tous les chefs de service de France de l’intérêt de ce programme, déplore le Dr Glorieux. « Cela modifie la hiérarchie de la médecine, on remet parents et enfants au centre. À la fin du processus, l’infirmière n’est là que comme balise », résume-t-elle.

1– Le Pr Heidelise Als, de Boston, psychiatre spécialiste en approche neurocomportementale pédiatrique.

2– Quatre autres puéricultrices sont en cours de formation.

3– Dix puéricultrices sont présentes en permanence pour s’occuper d’une quarantaine de nouveau-nés, répartis en 20 lits de soins intensifs et autant de soins « standards ». Les équipes se relaient selon trois tours : 6 h 0-14 h 12, 13 h 30-21 h 00 et 20 h 50-6 h 50.

FORMATION

Observations comportementales

La formation certifiante Nidcap dure en moyenne deux ans pour un coût d’environ 3 500 € par an et par personne. Le Dr Nathalie Ratynski, du CHU de Brest, est la seule habilitée à la délivrer en France. Un autre centre de formation francophone, à Bruxelles, forme actuellement des équipes à Besançon, Évry, ainsi qu’à la maternité de Port-Royal (AP-HP). Ouverte, en théorie, aux médecins, IDE, puéricultrices, kinés, psychomotriciennes ou encore psychologues, la formation se compose de deux phases. La première s’ouvre par un module de deux jours composé d’une conférence inaugurale du Dr Ratynski dans l’établissement d’implantation, suivie, pour chaque professionnel en formation, d’une initiation à l’observation directe d’un nouveau-né prématuré. S’ensuivent 25 observations comportementales. Quand le stagiaire est prêt, la seconde phase, dite de pratique avancée, consiste à suivre un grand prématuré de la naissance jusqu’au retour à domicile, à raison d’une observation tous les 7 à 15 jours. Les professionnels certifiés à ce jour sont au nombre de 30 (20 puéricultrices, 9 médecins et une kinésithérapeute), auxquels il faut ajouter 55 autres, en formation. Les centres en cours d’implantation sont Toulouse, Caen, Strasbourg, Valenciennes, Montpellier, Saint-Brieuc, Rennes et Saint-Denis de la Réunion.

C.P.