Sœur, mais pas bonne sœur ! - L'Infirmière Magazine n° 272 du 01/02/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 272 du 01/02/2011

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

Son frère est président du Conseil européen. Elle, infirmière-chef à l’hôpital universitaire de Louvain, en Belgique, est avant tout une femme de terrain. Et ses idées politiques, ancrées à gauche, alimentent de beaux débats en famille…

Sourire chaleureux, cheveux roux coupés court, celle que tout le monde appelle « Tine » est un petit bout de femme qui n’a pas sa langue dans sa poche. Christine Van Rompuy est la sœur de l’actuel président du Conseil européen et ancien Premier ministre belge Herman Van Rompuy. Elle est aussi infirmière-chef à l’hôpital universitaire de Louvain, à une trentaine de kilomètres de Bruxelles, où elle coordonne une équipe d’assistants logistiques qui s’occupent du transfert des patients vers les salles d’examen. Petite dernière d’une famille de quatre enfants, Tine a vu ses deux frères entrer à l’université pour étudier les sciences économiques. De son côté, elle voulait un métier lui permettant « d’être en contact direct avec les gens ». Elle sera infirmière. « J’aurais pu choisir la médecine. Mais c’était trop long. Du reste, étais-je assez studieuse…? »

Dix-huit ans de psychiatrie

Lors de sa troisième et dernière année d’études, elle se spécialise en soins psychiatriques. « Je voulais aider les patients à avancer dans leur vie et contribuer à leur donner les armes pour cela », explique-t-elle. Aujourd’hui âgée de 55 ans, elle a patiemment construit sa carrière, n’hésitant pas à changer plusieurs fois d’hôpital. « Je pense qu’il est important de se donner de nouveaux défis si on ne veut pas se lasser », commente-t-elle. Tine a d’abord été infirmière dans le service psychiatrique d’un petit hôpital de 60 lits. « C’était le premier centre thérapeutique d’accueil à temps partiel de Belgique. À l’époque, c’était encore expérimental et, quand j’y suis entrée, j’étais la seule infirmière, se souvient-elle. J’y ai passé dix-huit ans, puis j’ai eu envie de voir autre chose. » Elle travaille alors pendant neuf ans dans un centre de revalidation(1), avec des patients souffrant de fatigue chronique. Une expérience dont elle garde un souvenir mitigé : « Cette pathologie n’est pas prise suffisamment au sérieux et l’accompagnement après l’hospitalisation, pourtant nécessaire, est encore mal remboursé. Cela pouvait être très frustrant de voir de nombreuses personnes replonger. »

En 2004, elle intègre l’hôpital universitaire de Louvain, et quitte alors la psychiatrie pour prendre en charge une équipe de 76 personnes qui emmènent les patients de leur chambre vers les salles où ils doivent passer des examens. Une tâche qui « demande beaucoup d’organisation mais qui est aussi très gratifiante. C’est un service clé. S’il ne fonctionne pas correctement, c’est toute l’organisation de l’hôpital qui capote. De plus, travailler dans un hôpital universitaire, à la pointe de la recherche, est très enrichissant. Nous avons régulièrement des rencontres avec les responsables d’autres services, au cours desquelles nous réfléchissons à la meilleure manière d’encadrer les patients. Après vingt-cinq ans de terrain, j’apprécie beaucoup cet aspect logistique du métier. » Elle déplore cependant le « manque de personnel dans les hôpitaux ». « Lorsque quelqu’un est malade, il n’y a personne pour le remplacer. On doit sans cesse jongler avec le manque d’effectifs. Et c’est un problème qui s’aggrave d’année en année », affirme-t-elle. Obsession du rendement, flexibilité maximale, l’hôpital tourne toujours plus vite. « Les infirmières sont sous pression et la qualité du service s’en ressent pour les patients. Elles ne savent plus où donner de la tête, n’ont même plus le temps d’échanger quelques mots, d’humaniser la relation. Or, nous ne travaillons pas avec des objets, mais avec des personnes souffrantes. Notre métier ne consiste pas seulement à faire leur toilette ou leurs piqûres, mais aussi à prendre le temps de les écouter. »

« Colère blanche »

Malgré la notoriété de sa famille, Tine Van Rompuy reste une femme simple, et franche. Elle habite une modeste maison dans un quartier résidentiel de la banlieue de Louvain. Mère de trois filles et grand-mère depuis peu, elle est une battante dans la vie comme dans son métier. Militante, syndicaliste, active dans le secteur associatif depuis plus de trente ans, elle ne ménage pas ses efforts pour « essayer de faire bouger les choses. Quand j’ai commencé à travailler, l’état d’esprit dans les hôpitaux était encore celui d’un service “caritatif”. Les religieuses représentaient une part importante du personnel et il n’y avait pas de syndicats d’infirmières. Puis, nous nous sommes organisées pour réclamer une revalorisation de notre métier. En 1989, nous sommes descendues dans la rue : c’était la colère blanche », raconte-t-elle. « Nous avons obtenu plusieurs victoires : une revalorisation des salaires, des avancées pour permettre aux infirmières de mieux combiner leur travail et leur vie de famille. Mais il y a encore beaucoup à faire », commente-t-elle. Aujourd’hui, l’un de ses combats est le maintien de l’âge de la retraite anticipée à 56 ans pour les infirmières belges [actuellement possible après un minimum de trente-trois ans de carrière, ndlr]. « Nous faisons un métier très difficile, physiquement et moralement. Mes collègues en fin de carrière sont épuisées, complètement usées. Comment pourrait-t-on leur demander de travailler cinq ans de plus ? » Elle milite aussi pour l’amélioration des soins de santé et, surtout, pour la réduction de leur coût. Tine Van Rompuy défend ainsi le modèle « kiwi », l’appel public d’offres qui, en Nouvelle-Zélande, a fait fondre les prix des médicaments. Elle vante également les mérites de « Médecine pour le peuple », une association qui offre des soins de santé gratuits pour les plus démunis. « Que dans un pays riche comme la Belgique, des gens soient forcés de retarder des soins médicaux en raison de leur coût trop élevé est inacceptable », s’emporte-t-elle. Pour financer ces mesures, elle propose de « taxer les millionnaires ». « En instaurant une taxe de 2 % sur les grandes fortunes, on pourrait obtenir 8 milliards d’euros !, affirme-t-elle. Une somme qui servirait à créer des emplois publics et à refinancer la sécurité sociale. »

Pour un pays unifié et solidaire

Dans la famille Van Rompuy, la politique n’est jamais bien loin. Mais, alors que ses frères sont membres du parti démocrate-chrétien flamand ? (CD&V), Tine se sent plus proche des idées défendues par le Parti du travail de Belgique (PTB), un ancien parti marxiste. En 2009 et 2010, elle se présente sur leur liste aux élections régionales et aux européennes, avec son nom de famille comme avantage et une affiche de campagne pour le moins surprenante, sur laquelle on aperçoit son frère, Herman Van Rompuy, avec un nez de clown. « Même très jeune, je me suis toujours située beaucoup plus à gauche politiquement que le reste de ma famille, explique-t-elle. Je suis révoltée par l’injustice et je cherche le contact avec ceux qui la combattent. Par mon métier, je suis proche des gens, je me rends compte de leurs difficultés au quotidien, de leurs besoins en termes de santé, de logement, de travail… » Cette parfaite bilingue, attachée à une Belgique « unifiée et solidaire », avance un autre argument : « Le PTB est le dernier parti national du pays. Flamands et francophones y travaillent ensemble. Pour moi, c’est essentiel. » Tine Van Rompuy ne cache pas son aversion pour les querelles politiques qui déchirent actuellement la Belgique. Selon elle, « il y a beaucoup d’autres priorités actuellement ».

La crise a été un déclencheur. « Je suis indignée que l’on puisse trouver 15 milliards d’euros pour aider les banques, mais qu’il n’y ait pas d’argent pour la santé, l’enseignement et le bien-être. Quand, à l’hôpital, je vois des personnes qui ont perdu leur boulot, par exemple, je me dis que c’est pour elles que j’ai envie de me battre. » Elle affirme cependant entretenir de très bonnes relations avec ses deux frères, même si leurs opinions politiques demeurent diamétralement opposées et que cela provoque parfois « des repas de familles animés. Nous ne sommes pas d’accord sur tout mais nous sommes avant tout une famille comme les autres. Et je pense que mes proches sont fiers de moi et du métier que je fais. »

1- En Belgique, les centres de revalidation pratiquent une prise en charge associant réadaptation et convalescence.

2- Médecine pour le peuple : http://mplp.be.

MOMENTS CLÉS

1955 Naissance à Louvain, Belgique.

1977 Elle obtient son diplôme d’infirmière, avec spécialisation en psychiatrie, et intègre un centre thérapeutique d’accueil à temps partiel.

1981 Elle se marie. Trois filles naîtront de cette union.

1989 Syndicaliste, elle participe aux premières manifestations d’infirmières.

1995-2004 Elle travaille avec des patients souffrant de fatigue chronique.

2004 Elle devient infirmière-chef à l’hôpital universitaire de Louvain.

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