« Une grande décision » - L'Infirmière Magazine n° 268 du 01/12/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 268 du 01/12/2010

 

INTERVIEW : Clarence et Matthieu, ide en psychiatrie

DOSSIER

M. H.  

En début de carrière, le secteur d’activité peut être un critère de choix. Mais il est loin d’être le seul. Témoignages croisés de deux jeunes infirmiers en psychiatrie, salariés, respectivement, dans le privé et dans le public.

Clarence, 24 ans, travaille depuis un an dans une clinique privée lucrative comptant une cinquantaine de patients. Avant d’être embauchée, juste après ses études, elle avait également des contacts dans le public. Matthieu, 33 ans, travaille depuis six ans dans un grand hôpital psychiatrique public qu’il a intégré au terme de ses études.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Pourquoi avoir choisi ce secteur d’activité ?

Clarence : Avant tout, je voulais exercer en psychiatrie. J’aurais été plus heureuse dans le public, avec l’évolution de carrière, entre autres, mais entrer dans le public, ça fait peur, c’est comme si tu te mariais… Et je n’aurais pas été satisfaite de l’activité. En psychiatrie, le public prend en charge des schizophrènes, de « gros » psychotiques, etc. Dans le privé, la psychiatrie est plus « douce », avec des patients qui viennent souvent d’eux-mêmes. Dans notre petite structure, nous accueillons de nombreux malades souffrant de dépression mineure, des toxicomanes désireux de se sevrer, etc. Les quelques psychotiques font des séjours d’un mois, par exemple. Et les violences sont rares. Enfin, les activités thérapeutiques sont nombreuses.

Matthieu : En stage, je me suis aperçu que c’était la psychiatrie qui m’intéressait, pour les contacts plus forts avec les patients, le moindre recours à des soins techniques et parce que ma principale qualité – le calme – y est le mieux employée. J’ai choisi le public par attrait du fonctionnariat et de la sécurité de l’emploi.

En tant que pur produit de la crise économique, des années sida, du choc pétrolier, j’avais pour objectif, dès la fac, de trouver un boulot stable.

L’I. M. : Avez-vous expérimenté l’autre secteur ?

C. : J’ai fait un stage dans des urgences publiques. On n’y présentait pas les malades par leur nom, mais par leur pathologie… Il y avait une impression de rendement ! Or, je veux du relationnel. Dans le privé, j’ai, par ailleurs, décroché un CDI immédiatement – utile quand on souhaite construire une maison. Paradoxalement, cela semble plus dur d’être titularisé dans le public. Ensuite, dans les entretiens d’embauche, de petites choses peuvent jouer. Ici, c’est le directeur qui m’a reçue. Dans une autre clinique, c’était une cadre, et elle a répondu « on verra » à l’une de mes questions…

M. : J’ai exercé dans un établissement privé auparavant tenu par des sœurs. L’ambiance y était très stricte. En général, dans le privé, la façon d’exercer le métier me déplaît. Par exemple, le fait de choisir ses patients. La santé n’est pas une marchandise. De plus, les patients doivent y être encore plus exigeants que dans le public.

L’I. M. : Le choix entre privé et public est-il un sujet de discussion entre collègues ?

C. : À l’école, oui, car c’est une grande décision à prendre. Entre copines, on comparait les grilles de salaire sur Internet. Mais, en stage, les infirmières nous disaient seulement : « Les avantages, les inconvénients, il y en a dans les deux secteurs, tu verras… » Quant aux formateurs d’Ifsi, ils n’abordaient pas le sujet. En fin de troisième année, des cadres venaient quasiment nous embaucher pour leurs établissements, mais sans en montrer les inconvénients.

M. : À l’école, la pression des cours et des stages laissait peu de temps pour évoquer ce sujet. Qui n’est pas non plus abordé sous l’angle politique. Une fois diplômés, on n’en parle pas non plus, ou peu, car on a la tête dans le guidon, avec les soins, les traitements, la peur de l’erreur, les paperasses à remplir. On se demande plutôt si ça vaut le coup de partir ou pas, à cause de la pénibilité.

L’I.M. : Est-ce plus dur dans le public ou dans le privé ?

C. : C’est, a priori, moins galère en clinique. En fait, la pression diffère : dans le privé, il y a moins de risque vital. Dans les deux secteurs, on fait dix choses en même temps. Dans le public, on a plus de charges ; dans le privé, plus de fonctions : du secrétariat, du ménage…

M. : Dans le public aussi, on passe le balai ! Il n’existe pas tant que ça de différences.

L’I. M. : Est-ce un choix définitif ?

C. : Je n’ai pas renoncé au public. Mais, pour l’instant, au niveau du métier, cela ne me correspond pas. En revanche, dans le privé, il faut accepter les médecins comme ils sont : certains voient plus la patientèle comme une clientèle…

M. : Un jour, j’en aurai peut-être marre de la suroccupation des lits, ou d’une certaine violence, qui est acceptée et qui ne devrait pas l’être.