Un score fifty-fifty - L'Infirmière Magazine n° 268 du 01/12/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 268 du 01/12/2010

 

CONDITIONS DE TRAVAIL

DOSSIER

M. H.  

L’argent seul ne fait pas le bonheur : la façon de le gagner importe aussi. Il faut donc comparer les façons de travailler selon les secteurs.

La pratique est-elle plus agréable dans le public ou bien dans le privé ? Difficile de trancher. « Le fait d’exercer dans le secteur public, le privé lucratif ou le privé non lucratif ne semble pas changer fondamentalement la perception des conditions de travail », avance la Drees(1). Toutefois, « des avantages (tels que les crèches) et des inconvénients (comme la saleté ou les bruits gênants) » sont davantage cités dans le public. La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) ajoute que les IDE du public « ont, d’une façon plus marquée (…), le sentiment de manquer de moyens en temps et en information »(2). Mais, l’une des IDE du privé lucratif que nous avons interrogées juge, aussi, que les conditions de travail, compensant auparavant l’infériorité des salaires dans sa clinique, ont empiré…

Objectivement, le public présente un atout : il y est plus facile de changer d’activité. La gamme de soins est plus large. En chirurgie, plus les opérations sont complexes, plus elles sont menées dans le public. Les IDE, des CHU surtout, « savent qu’elles exercent dans la noble institution, lieu de formation, de recherche et d’onéreuses spécialités, avec de prestigieux médecins », note la sociologue Sophie Divay. Ce qui peut nourrir un « complexe » d’infirmières du privé, qui pâtissent aussi de la réputation de « boîtes à fric » de certaines cliniques.

Le public soigne les patients les plus malades en moyenne, devant le privé non lucratif, puis le lucratif. Cependant, depuis la naissance des cliniques, à la fin du XVIIIe siècle, pour les malades mentaux des classes favorisées, puis leur développement dans les années 1880 pour les clients aisés voulant bénéficier de l’anesthésie ou de l’asepsie(3), le privé lucratif a élargi sa palette et espère accueillir le plus grand nombre.

Organisations divergentes

En termes d’effectifs, le public compterait en général – légèrement – plus de personnel infirmier, à activité égale. Mais, quel que soit le secteur, la réglementation impose un minimum de personnel pour certaines activités. Et les salariées sont responsables de façon identique, assurées par leur employeur en cas de faute (sauf faute « détachable du service »).

Ce qui peut le plus diverger, ce sont l’organisation et les relations de travail. Questionné sur les avantages du privé lucratif, Philippe Burnel (FHP) met en avant « l’environnement plus simple, une administration moins lourde, une organisation du travail plus souple et mieux respectée ». Selon une directrice des soins citée par la Drees, les directions du privé ont moins d’emprise sur les employés en CDI, par exemple pour effectuer un remplacement. « Protecteurs, les statuts du public peuvent (…) être aussi contraignants »(4). Mais, d’après la Dares, l’organisation serait « plus fréquemment » discutée collectivement dans le public…

Et en termes d’horaires ? « On bosse en deux fois douze heures, et non en trois huit », se félicite Aurélie, salariée en clinique lucrative. Mais, selon des syndicalistes, cette pratique se développe aussi dans le public. Le temps partiel – plus imposé dans le privé et plus choisi dans le public, selon la CGT – est plus fréquent dans le privé, de même que le fait de ne pas être titulaire. En revanche, ce sont les IDE du public qui déclarent le plus souvent travailler la nuit et le week-end(5). Sur ce point cependant, selon la Dares, « elles peuvent (…) davantage s’arranger avec leurs collègues ». Et le travail en équipe serait « deux ou trois fois plus fréquent » dans le public.

Formation : avantage public ?

Par ailleurs, dans le privé, un plus grand nombre de tâches sont déléguées aux aides-soignantes pour des raisons probables de coût, le médecin est plus présent et l’IDE, selon Dominique Lahbib (CGT), moins libre de refuser tel ou tel acte en désaccord avec sa déontologie, son rôle. « Les infirmières du privé sont plus polyvalentes et moins autonomes individuellement, avec plus de synergie collective, analyse le sociologue Ivan Sainsaulieu. Dans le public, le médecin passe sans rester auprès des patients, et il y a une meilleure professionnalisation du travail. »

Le personnel est, dans son ensemble, plus qualifié dans le public. Il y est plus aisé de se former ou de se spécialiser – « sous réserve des nécessités du service », souffle-t-on à la Fédération hospitalière de France. « Pas si évident », précise Sophie Divay. De toute façon, la formation continue est plus courante dans la santé, que ce soit dans le public ou le privé, qu’ailleurs.

Évolution : avantage privé ?

Dans la fonction publique, hiérarchie et carrière semblent, en tout cas, marquées par un respect plus important des grades et des titres professionnels. « Tout est formalisé, on obéit aux règles, poursuit Sophie Divay. Dans le privé, il y a un peu plus de possibilités d’évolution : le directeur peut créer des postes. » Et les cadres sont « majoritairement promus par leur employeur, et non diplômés », contrairement à ce qui se passe dans le public(6).

Les infirmières qui, au terme de ce comparatif, voudraient quitter leur secteur, pourront sans doute démissionner plus facilement dans le privé, comme le note Thierry Amouroux, du Syndicat national des professionnels infirmiers (CFE-CGC). Même si les fonctionnaires peuvent demander un détachement et/ou une disponibilité.

1- « Études et résultats » n° 373, février 2005.

2- « Premières synthèses, informations » n° 40.1, octobre 2003.

3- Selon l’historien Olivier Faure.

4- « Série Études » n° 64, octobre 2006.

5- « Études et résultats », Drees, n° 709, novembre 2009.

6– « Dossiers solidarité et santé », Drees, hors-série 2007.

MOBILISATION

La frontière public/privé

Difficile de mobiliser les infirmières, « tellement débordées que leur repos leur sert… à se reposer », observe Marie-Hélène Durieux (Sud). Difficile aussi de les mobiliser toutes ensemble, car « les combats du privé et du public ne se rejoignent pas sur les salaires ni sur les acquis sociaux, seulement sur les conditions de travail, analyse Marie-Dominique Biard (CNI). Dans le privé, les salariés sont plus mobilisables, car on peut se battre sur des revendications directement “palpables” (primes, salaires) et avec un pouvoir de négociation. Dans le public, la grève se fait plutôt sur les conditions de travail. Les grilles salariales se négocient avec le ministère, il faut des années… Et, en cas de grève, il y a le service minimum, tandis que les réquisitions sont exceptionnelles dans le secteur privé. »

« La “force de frappe”, plus importante en nombre dans la fonction publique, est plus dure à mettre en branle », confirme-t-on à la CGT. Mais la « probabilité de “représailles” est plus forte dans le privé », estime Thierry Amouroux (SNPI).