Patient, objet ou sujet ? - L'Infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010

 

RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ

DOSSIER

Les personnes malades n’attendent plus seulement d’être soignées. Elles veulent être reconnues et entendues dans leur dimension subjective. Mais cette demande peut-elle toujours trouver écho chez les soignants ?

On m’a diagnostiqué une recto-colite hémorragique à l’âge de 14 ans », relate Marion Rémazeilles. La jeune fille est alors prise en charge par un spécialiste. « Il était formidable, et a tout de suite fait montre de beaucoup d’écoute et de pédagogie pour nous expliquer, à moi et à mes parents, ce qu’était cette maladie et ses évolutions possibles. Avec lui, nous avons toujours été associés aux décisions et nous savions pourquoi elles étaient prises. À un moment donné, il a admis qu’il ne se sentait plus suffisamment compétent pour me suivre. J’ai donc été orientée vers un autre gastro-entérologue. Là, ça a été l’horreur. À ses yeux, visiblement, je n’étais qu’un intestin. Il ne voulait entendre ni ma douleur physique ni ma souffrance morale. Pourtant, la maladie avait de plus en plus d’incidences sur ma vie. Passer une partie de ses journées et de ses nuits aux toilettes n’a rien d’anodin. D’autant que j’étais à quelques mois de passer le Bac. Mais, avec lui, aucun dialogue ne fut jamais possible. D’ailleurs, il m’a dit un jour : “Tant que vous n’êtes pas allongée comme un légume sur votre lit, je ne vous opérerai pas !” » Quelques mois plus tard, Marion est admise aux urgences. « Le chirurgien et toute l’équipe, notamment les infirmières et les aides-soignantes, ont été formidables. Bref, en près de quinze ans, j’ai vu le pire et le meilleur », constate-t-elle. Depuis deux ans, Marion est bénévole à l’association François Aupetit(1).

Pour Étienne P., l’expérience de la maladie chronique a pris une tout autre dimension, « celle de l’ignorance », dit-il. « Comme si celui qui était malade et qu’on soignait était un autre, une sorte de double. Aujourd’hui, on dirait un avatar… Lui subit, moi je vis », déclare-t-il. Ainsi, les aspects médico-biologiques de sa pathologie n’intéressent pas Étienne. « J’avale ce qu’on me demande d’ingurgiter, poursuit-il, et je me soumets à tous les examens. Après tout, je ne suis pas médecin, par conséquent, à chacun son boulot. Et j’ai le sentiment que mon médecin s’accommode très bien de ma passivité. Je sais que je ne guérirai pas, mais je ne veux pas me considérer comme un malade. Ma compagne me répète sans cesse que je me laisse, en quelque sorte, “chosifier”. Elle a parfaitement raison. Face à la maladie, à chacun sa stratégie ! »

Message brouillé

Alors, patient sujet ou patient objet ? À travers ces deux témoignages, on comprend que le statut du patient n’est pas simple à saisir ni même à définir. Il dépend tout autant, en effet, du patient lui-même que du soignant.

Dans ce contexte, si la loi du 4 mars 2002 (voir encadré p. 20) a conféré aux patients des droits nouveaux, elle n’a pas réglé pour autant la question de la relation complexe, et naturellement intersubjective, qui doit se jouer et se nouer entre le soignant et le soigné. « Pour les patients, l’usage du droit est souvent un dernier recours. Mais je pense que l’esprit de cette démarche est davantage un fait social que le produit de la loi du 4 mars, même si elle accompagne ce changement et parfois même le précède », note Jean Wils, cadre supérieur de santé et responsable de la mission droits des usagers à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris). « Ainsi, poursuit-il, quand les malades réclament l’accès à leur dossier médical, c’est d’abord parce qu’ils estiment avoir été insuffisamment informés. D’ailleurs, nous intercédons régulièrement auprès des médecins pour qu’ils les rencontrent, expliquent et répondent à leurs questions. » Par exemple, penser que la loi du 4 mars a consacré la philosophie qui tentait de rendre audible la parole des malades, c’est sans doute passer à côté du message que les personnes malades ont voulu faire valoir à partir du milieu des années 90. « En réalité, ils ne demandaient rien d’autre que d’être regardés autrement, abordés autrement, traités autrement. Ils voulaient qu’on les prennent en charge après les avoir pris en compte. Et pas le contraire… Bref, ce que veulent les malades, ce sont des actes, des relations, des transactions et pas seulement des droits », analyse le sociologue Philippe Bataille, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales.

Relation hors normes

Mais cette demande forte de subjectivation des personnes malades peut-elle être réellement satisfaite ? La question est d’autant plus prégnante que la chronicisation de nombre de pathologies place désormais le patient dans une relation au long cours avec les soignants et l’institution organisatrice du soin. Pilotée par ces propres logiques et aussi ses contraintes, cette dernière met fréquemment à mal les individus. « Aujourd’hui, tout est normé et protocolisé. Tout doit être évalué et, par conséquent, mesurable. Mais comme, par nature, la relation humaine échappe à toute mesure, elle est considérée hors normes par l’institution », constate Micheline Lappe, infirmière qui a récemment quitté le secteur hospitalier pour rejoindre la fonction publique territoriale. « Or, ajoute-t-elle, une parole ou un regard ne se mesurent pas, il faut simplement être là pour les recevoir et les renvoyer et, cela, ça prend du temps. Engager une relation demande également de s’engager soi-même, et c’est souvent difficile car nous-mêmes, les soignants, et particulièrement les infirmières, sommes de plus en plus disqualifiés par la hiérarchie et l’institution. On attend seulement de nous qu’on moutonne gentiment. Idem pour les malades. D’ailleurs, dès qu’ils sortent de la norme, on dit qu’ils ne sont pas compliants… » Pour Philippe Bataille, on continue d’objectiver la maladie tout en soignant des patients de plus en plus subjectivés. « Pourtant, le désir de guérir reste aussi puissant dans une relation où la subjectivité s’exprime que dans une relation d’objectivité dont on connaît la froideur, voire la négligence », explique-t-il. Mais, pour le sociologue, on ne peut pas évoquer la subjectivité de la personne malade sans exposer celle du soignant. « Le soin, dit-il, se fait à partir d’une expression subjective de soi dans une relation subjective à l’autre. Et ça explique le burn out, syndrome bien connu des infirmières, car les soignants ne cessent de toucher leur propres limites et sont de plus en plus conduits à exprimer une partie d’eux-mêmes dans la relation de soin et, de fait, à être en vis-à-vis avec eux-mêmes. »

Redonner du sens

Pour Godefroy Hirsch, vice-président de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), ce constat interroge la formation initiale, la pratique des soignants et, notamment, celle des médecins. « Il existe un réel déficit dans ce domaine. La réflexivité, c’est-à-dire le regard porté sur l’autre et la manière dont on le considère, mais aussi le regard qu’on porte sur soi-même, est une dimension qui n’est presque jamais abordée. Pourtant, positionner l’autre en tant que sujet, c’est aussi savoir se positionner en tant que sujet face à lui », dit-il. Jean Wils pointe également du doigt l’organisation du système hospitalier. « Par manque de temps, les soignants parlent rarement du malade autrement que comme objet de soins. Les staffs ne se consacrent qu’aux aspects médico-techniques », juge-t-il. Si les patients souffrent d’un manque de reconnaissance, c’est aussi parce que les soignants sont atteints du même mal. Ces deux sphères réclament pourtant la même chose pour retisser le lien de la relation humaine : du personnel et du temps. Un sujet qui fait plus souvent l’objet d’une approche comptable où l’humanité des soins est de plus en plus rejetée, alors qu’elle est pourtant au cœur de l’engagement soignant.

1 – www.afa.asso.fr

DROITS

Les grandes dates

→ 28 janvier 1942. Les juges de la Cour de cassation affirment le principe du consentement préalable du malade à des examens ou à la mise en place d’une thérapeutique. C’est la première fois qu’on reconnaît la notion de droit du malade.

→ 31 décembre 1970. La loi portant réforme de l’hôpital affirme le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de soins.

→ 20 septembre 1974. La première charte du malade hospitalisé reconnaissant les droits et les devoirs des patients est publiée. Elle sera rénovée en 1995.

→ Mars 2000. Publication du rapport d’Étienne Caniard sur la place des usagers dans le système de santé.

→ 4 mars 2002. Loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner.

→ 22 avril 2005. Loi relative aux droits des patients en fin de vie, dite loi Leonetti.

→ 21 juillet 2009. Loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), dite loi Bachelot.