Infirmière au masculin - L'Infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010

 

PROFESSION

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Le métier tend à se masculiniser. Une transformation qui s’opère avec lenteur mais en profondeur : les infirmiers trouvent leur place au sein d’un métier autrefois exclusivement féminin. Le soin est-il vraiment plus féminin que masculin ?

Il n’y a pas de métier d’homme ou de femme. Les gens s’habituent à voir des hommes infirmiers, c’est entré dans les mœurs », affirme Philippe, infirmier libéral. Peu importe le secteur (hôpital, intérim, milieu scolaire, exercice libéral, ou PMI), la profession reste fortement féminisée : 87,4 % au 1er janvier 2010. Pourtant, elle prend un tournant et la tendance est à la mixité. La part des hommes augmente lentement mais progressivement : elle est passée de 12,4 % en 1986 à 12,6 % en 2010(1).

Une masculinisation qui prend son temps tout en confirmant une transformation substantielle de la profession. « La barre des 30 % est importante. Mais ce n’est pas encore le cas des infirmiers, note Frédéric Launay, cadre de santé formateur à l’Ifsi de Tours. Elle détermine si l’on se trouve dans une profession considérée traditionnellement comme plus féminine ou plus masculine. La kinésithérapie, par exemple, qui était une profession plutôt masculine, est aujourd’hui mixte. »

Infirmier par défaut

Parallèlement à ce lent processus de masculinisation des soins infirmiers, une féminisation de la médecine, exercée jusque-là majoritairement par des hommes, est apparue au début des années 80. En France, les médecins inscrits au tableau de l’ordre en activité régulière sont, en 2009, au nombre de 199 736 et les femmes représentent 39 % des effectifs(2). Leur part était de 26,1 % en 1986. « Un plus grand nombre de femmes deviennent médecins et, de fait, un certain nombre d’hommes sont recalés. Ils font alors des études d’infirmier, un peu par défaut. À Amiens et à Lyon, par exemple, un étudiant en médecine qui a la moyenne mais qui est recalé peut passer directement en 1re année d’Ifsi sans concours écrit, seulement avec l’oral », explique Mathieu Nowacki, infirmier en réanimation à l’hôpital Bichat. Au fond, qu’est-ce qui attire les hommes vers la profession infirmière ? « Au début, pour moi, cela a un peu été un hasard, c’est surtout le milieu hospitalier qui m’a plu : la relation au patient, l’idée de l’accompagner dans ses soins, de lui apporter quelque chose », raconte Roch-Étienne Migliorino, 46 ans, cadre dans le service de psychiatrie du CHU du Kremlin-Bicêtre. « Travailler auprès de patients a une répercussion sur sa propre vie. Le côté relationnel, l’accompagnement, l’échange… On a le sentiment d’avoir une utilité », renchérit Gérard, infirmier libéral. Un engagement et une passion que l’on retrouve chez nombre de soignants.

Mais si, au Canada, notamment, beaucoup d’hommes sont attirés par le soin, le « prendre soin » de l’autre, en France, les hommes se rabattent plutôt sur la profession après avoir tenté de suivre des études de médecine. Les filières concurrentielles (kinésithérapie, dentisterie…) sont parfois trop longues, trop chères.

La formation infirmière, qui dure trois années et est économiquement plus accessible, permet de trouver un emploi stable, « voire même de bien gagner sa vie lorsqu’on travaille en libéral », ajoute un étudiant dans un Ifsi de la région parisienne. « C’est un constat, davantage d’hommes deviennent infirmiers, constate Étienne, infirmier dans un CHU de l’est de la France. Pour trouver un emploi, c’est une filière courte. Dans ma région, alors que les études de kinésithérapeute sont payantes, les études d’infirmier sont prises en charge par le conseil général. La formation est plus attractive, on est sûr de trouver un emploi. »

Autre constat : la technicité attire les hommes. Pour exemple, la spécialisation d’infirmier anesthésiste, où 30,2 % des étudiants sont des hommes, bien au-dessus de la part masculine dans la population infirmière (12,6 %)(1). « On est peut-être plus à l’aise dans cet univers. La technique, c’est valorisant. En réanimation, il y a les bips, l’impression d’une haute technicité compliquée. Cette impression d’être des experts, ça plaît aux hommes. Ce sont des services qui leur parlent mieux. Le côté un peu aventurier par rapport à un lieu joue son rôle », décrypte Roch-Étienne Migliorino.

Selon le mode d’exercice

Pourtant, les soins infirmiers se sont construits au féminin avec une exclusion des hommes des écoles d’infirmières au tout début du vingtième siècle. Ce n’est qu’en 1961 que ces derniers sont admis dans les écoles d’infirmières et cela coïncide avec la création de la spécialisation d’infirmière anesthésiste et du certificat d’aptitude aux fonctions d’aide-anesthésiste. Un élément important puisque l’on constate que les infirmiers vont se concentrer dans les blocs opératoires ou les services de réanimation, puis se spécialiser en anesthésie. « Être infirmier peut être un tremplin pour faire autre chose, évoluer », reconnaît Étienne.

Le genre semble aussi influencer le mode d’exercice : la proportion de femmes est plus élevée parmi les salariés non hospitaliers, notamment en PMI, planification familiale, santé scolaire ou universitaire, dans les centres de santé ou encore dans les établissements pour personnes handicapées ou âgées. En 2010, seuls 1,3 % des infirmiers spécialisés en puériculture sont des hommes. Et 16,1 % des infirmières à travailler en libéral sont des hommes(1).

L’autonomie et une hiérarchie plus horizontale seraient-elles des facteurs d’intérêt chez les hommes pour une profession ? Le choix des infirmiers d’évoluer vers l’encadrement infirmier illustre cet attrait. Alors qu’ils ne sont que 12,7 % dans la population infirmière, 16,9 % des cadres de santé(1) sont des hommes. Une bonne nouvelle : à l’aune des modèles anglo-saxons (Canada et États-Unis notamment), un processus d’autonomisation progressive de la profession en général s’est opéré. Une évolution qui se prolonge dans la réflexion actuelle sur les pratiques infirmières. « Ce qui attire les hommes, ce sont l’autonomie et la prise de décision. Or, il n’y a pas que le modèle hospitalier : on peut être infirmier scolaire, ou exercer en libéral, dans une entreprise, ou encore dans une maison de santé… À terme, l’idée est d’être considérés comme des partenaires de soins. Cela convient mieux au modèle “masculin” », poursuit Frédéric Launay.

La question du genre

Mais peut-on parler de vraie différence entre les approches féminine et masculine du soin ? Le terme de « genre », dont l’acception actuelle est d’origine anglo-saxonne (« gender »), a ainsi fait l’objet d’une définition lors de la Conférence de Pékin sur la famille, en 2005 : « Le genre se réfère aux relations entre hommes et femmes basées sur des rôles socialement définis que l’on assigne à l’un ou l’autre sexe ». « Il n’y a rien d’intrinsèque au sexe, tout cela n’est que de la construction sociale dans un contexte où les hommes ont dominé les femmes : les tendances sont restées et s’appliquent indifféremment aux hommes et aux femmes », regrette Frédéric Launay.

Quoi qu’il en soit, le métier n’est pas spécialement féminin. Ce qui importe, c’est la façon de l’exercer. « Lorsque je travaillais en prison, précise Roch-Étienne Migliorino, hommes et femmes infirmiers avaient chacun leur place. Certains prisonniers préféraient être pris en charge par un homme, notamment dans leur intimité et pour leurs confidences sur leur sexualité, leur vie affective. Un patient peut préférer s’adresser à un infirmier de son sexe pour des raisons de pudeur. » Ce qui est important c’est la cohésion des équipes, la mixité. Le fait d’être pris en charge par un infirmier du même sexe a ses vertus thérapeutiques. « Un jeune garçon peut préférer avoir à faire à un homme : on parle foot, mécanique…, ça détend l’atmosphère », illustre Mathieu Nowacki. Pour Marie-Laure Flamand, infirmière dans un foyer d’accueil médical à Aulnay-sous-Bois, « la présence d’infirmiers dans l’établissement est essentielle au niveau de la représentation dans la relation. Il y a, avec un homme infirmier, la symbolique du père et, avec une infirmière, celle de la mère. Auprès de nos résidents âgés en souffrance psychique, c’est fondamental. Un pensionnaire qui a des problèmes urinaires va en parler plus facilement avec l’infirmier, une pensionnaire qui a des problèmes vaginaux, avec moi. Dans le soin, il y a comme un schéma parental. Les résidents peuvent différer, parler de leurs douleurs, de leurs difficultés selon l’intervenant. On a besoin de cet équilibre-là. Comme dans l’éducatif. »

Où le féminin l’emporte

La profession continue d’être alimentée par des clichés et repose sur des symboles et des croyances issus du passé ainsi que sur ce qui caractérise de manière générale les carrières féminines dans notre société. Elle a une série de mythes fondateurs qui prend ses racines dans les pratiques d’aide à la vie. Par ailleurs, il est essentiel de préciser que le concept de « care », loin de se limiter à la compassion et au souci des autres ou à une préoccupation spécifiquement féminine, comme on l’y réduit parfois, concerne tout le monde, notamment chaque soignant. L’économiste Emmanuel Todd n’hésite pas à parler de « prise au piège des femmes, d’une prétendue nature affectueuse et soignante ».

« Les vertus féminines, tant célébrées de nos jours, peuvent, si elles ne sont pas tempérées par les vertus masculines, conduire à la passivité et à la subordination », écrit Élisabeth Badinter dans son livre XY, De l’identité masculine. « C’est, en résumé, la caractéristique de la profession infirmière, où les hommes finissent par adopter naturellement les traits comportementaux majoritaires de leur groupe d’appartenance », remarque Frédéric Launay. Les aides-soignantes, les infirmières, doivent s’adapter au médecin, à sa pratique de travail, à ses habitudes, à sa disponibilité. Compte tenu de l’histoire de la profession, les femmes soignantes ont subi la domination masculine comme elles la subissaient dans le cadre familial et dans la société en général, à l’époque. Tant que l’on n’aura pas réussi à masculiniser la profession, il y aura cette tendance.

Se fondre dans le milieu

« Je remarque souvent l’étonnement sur le visage des gens lorsque j’annonce que je suis infirmier. Je ne compte plus le nombre de fois où mes patients, même les plus jeunes, m’appellent “docteur”. Et puis, à force d’être entouré de femmes, je me demande parfois si je ne me féminise pas légèrement », raconte un infirmier sur son blog. Les rapports de genre, dans cette situation, aussi bien au sein de la profession infirmière qu’entre les infirmiers, les infirmières et les autres groupes professionnels, sont donc des rapports sociaux complexes où les femmes peinent tout autant que les hommes à trouver leur place.

Pour Frédéric Launay, « dans ce contexte, les hommes qui sont attirés par la profession infirmière doivent simultanément renoncer à leur “nature” masculine, car ils intègrent un “corps” professionnel féminin, et accepter une domination intégrée historiquement par les femmes. On trouve ainsi des hommes qui consentent momentanément à se fondre dans un milieu dont ils vont tenter de s’émanciper en accédant à des positions hiérarchiquement supérieures ou en changeant de profession ou encore qui, en dépit de leur condition masculine assumée, voire revendiquée, ont déjà intégré la domination et s’en accommodent. C’est peut-être la raison pour laquelle on trouve proportionnellement plus d’infirmiers issus des catégories socio-professionnelles modestes dans le recrutement d’aujourd’hui. »

Ainsi, en 2001, selon l’enquête Emploi de l’Insee, la provenance sociale des infirmières apparaît recentrée sur trois catégories socioprofessionnelles : les ouvriers (26,4 %); les professions intermédiaires (20 %); et les employés (16,3 %). Dans le cas des infirmiers, le profil populaire est accentué comparativement à leurs consœurs : les hommes proviennent plus souvent de familles d’employés (22,4 %) et d’ouvriers (31,7 %)(3). Si la profession infirmière est perçue en termes de représentation comme profession féminine dominée par des groupes professionnels supérieurs, les candidats masculins à cette profession sont ceux pour qui l’idée de domination est intégrée.

Un autre regard

« En Afrique, où je suis allé en mission, l’infirmier joue le rôle du médecin : envoyé en brousse, c’est le seul qui puisse venir en aide aux malades. Là-bas, beaucoup d’hommes deviennent infirmiers », commente Roch-Étienne Migliorino. En France, si 80 % des infirmiers étaient des hommes, la profession serait davantage écoutée et prise en compte. Il y a environ 30 000 nouveaux étudiants en soins infirmiers tous sexes confondus chaque année : 30 739 pour l’année 2010-2011. Au début des années 90, on ne comptait que 2 garçons pour 100 filles dans un Ifsi de Nancy. Mais, vingt ans plus tard : « Sur ma promo, il y avait 20 garçons sur 150 étudiants, soit 1 garçon sur 7. Et puis, dans le service de réa où je travaille, sur 60 infirmiers, un quart sont des hommes », confirme un tout jeune diplômé. Une tendance qui a aussi ses résonances dans le quotidien des services, où des casiers dans le vestiaire des hommes commencent à manquer. Un bon indicateur. « S’il y a plus d’hommes dans la profession, il y aura un changement de regard de la société sur cette profession, mais ça va être long », conclut Étienne. Mais l’enjeu pour l’avenir de la profession n’est pas nécessairement d’augmenter le nombre d’hommes infirmiers. Il pourrait être de relever le niveau d’exigence dès l’entrée dans les Ifsi et que le diplôme soit enfin équivalent à une vraie licence. Il en va de la reconnaissance du rôle des infirmiers et des infirmières. Le processus est en marche et la réforme LMD est plus qu’engagée. C’est un grand pas en avant.

1- Drees. Répertoire ADELI janvier 2010 http://www. sante.gouv.fr/drees/etude-resultat/

2- Atlas de la démographie médicale en France au 1er janvier 2009, Conseil national de l’ordre des médecins.

3- ADELI, ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille – Drees. Enquête « Emploi » en continu 2003 et enquêtes « Emploi » annuelles, Insee.

4- JORF n° 0164 du 18 juillet 2010 page 13299, texte n° 8.

ÉQUIPE

Faire ses preuves

« L’important, quand on est infirmier, c’est ce que l’on dégage, insiste Sébastien Pradelle, formateur à l’Ifsi de Dreux. Néanmoins, un homme qui arrive dans une équipe infirmière, c’est comme une femme qui arrive à l’armée : il faut faire ses preuves face à ses pairs. » Sans compter qu’un homme, dans un service ou une équipe, apporte un regard différent et induit une nouvelle dynamique de travail. L’homme a souvent un rôle fédérateur et médiateur au sein d’une équipe féminine : il permet de relativiser, de tempérer, de recentrer. « La cohabitation permet d’apaiser les tensions. Un homme n’a pas la même façon d’aborder les choses », argumente un étudiant de l’Ifsi de Dreux. La force physique masculine est, également, souvent nécessaire, comme, parfois, dans les services de psychiatrie ou auprès de malades très handicapés.

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