Du shoot propre au soin - L'Infirmière Magazine n° 263 du 01/09/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 263 du 01/09/2010

 

Toxicomanie

Éthique

La polémique sur les centres d'injection supervisés continue. Matignon a tranché, ils ne seront pas ouverts en France. La concertation annoncée par Roselyne Bachelot n'aura pas lieu.

« Drogatoriums », « salles de shoot » pour les uns ; « salles de consommation de drogues à moindre risque » pour les autres... Les centres d'injection supervisés (CIS), selon l'appellation de l'Inserm, font à nouveau polémique, opposant les partisans d'une expérimentation - dont les associations spécialisées - à ses farouches détracteurs, en particulier le président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, le magistrat Étienne Apaire. Alors que les premiers voient dans ces structures, développées avec succès dans huit pays, des lieux autorisant les toxicomanes les plus précaires à s'injecter dans de bonnes conditions sanitaires les produits qu'ils apportent et favorisant l'accès aux soins, les seconds estiment qu'elles facilitent la consommation de drogue. « Rendre l'usage acceptable par la communauté, c'est faire le choix de l'abandon et de l'esclavagisme à la dépendance », estime ainsi Étienne Apaire (in Le Monde). Pourtant, le 2 juillet, l'Inserm publiait un rapport(1), demandé en 2008 par la ministre de la Santé, en faveur des CIS. Les 14 experts sollicités concluent, en effet, qu'ils « peuvent être considérés comme une mesure complémentaire [...] à d'autres dans la palette de services proposés aux usagers permettant de répondre à des besoins de réduction des risques spécifiques liés à l'injection ». En outre, assurent-ils, « il n'existe pas de preuve que la présence de CIS augmente ou diminue la consommation de drogues chez les usagers ou dans la communauté ». En revanche, grâce à la promotion de l'hygiène, à la remise de matériel stérile et à la supervision de soignants, une diminution des infections et des comportements à risque de transmission du VIH ou du VHC est avérée. La réduction des overdoses mortelles est, en outre, prouvée.

Mais l'ambition des CIS va au-delà. « Par le biais de conseils de santé, on noue une relation avec l'usager. On part du comportement de la personne. On apporte un soin, mais aussi du contact, du respect, ce qui l'aide à avancer », observe Jean-Pierre Couteron, président de l'Association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie (Anitea), pour qui « il n'est pas question de couvrir le territoire de CIS ». Dans ces centres, des soins de base sont proposés et des orientations réalisées par les équipes.

un lien enrichi

À Vancouver (Canada), l'instauration d'une salle d'injection a accru de 30 % les demandes de traitements de substitution. « La réduction des risques et les CIS ne s'opposent pas au soin ; au contraire, ils l'enrichissent », résume Jean-Pierre Couteron. Globalement, les professionnels de l'addictologie semblent convaincus du bien-fondé des CIS. « Quand on connaît mal ce dispositif, il est légitime d'avoir, au départ, un mouvement de recul. Puis, on comprend que le projet repose sur une présence, un accompagnement, de la discussion..., et il intéresse », assure- t-il. Réagissant à l'avis de l'Inserm, Roselyne Bachelot avait déclaré le 19 juillet, lors de la conférence internationale sur le VIH, vouloir « engager une concertation avec tous les partenaires concernés ».

Le 12 août, François Fillon a dit non aux salles d'injection. À la place, une mission parlementaire sur le sujet a été lancée par Gérard Larcher.

1- http://www.inserm.fr - « Réduction des risques chez les usagers de drogues ».

TÉMOIN

Aurélie Jaros « Agir sur du concret »

« Dans les salles de consommation, l'infirmière est là pour observer les pratiques des usagers, l'état des veines, donner des conseils, proposer d'autres méthodes..., en aucun cas, pour pousser le piston de la seringue, insiste Aurélie Jaros, infirmière au centre de soins spécialisés pour toxicomanes de Gaïa Paris. Il n'est pas question d'incitation à l'usage mais bien de prise en charge globale de la personne. Il ne faut pas se voiler la face, avec ou sans salle, les usagers concernés continueront à s'injecter leurs produits dans la rue, dans les cages d'escalier... Et en prenant de grands risques. Être contre ces centres signifie pour moi nier toute une dimension du soin. Malgré les outils existants, nous rencontrons encore des résistances chez certains usagers. Or, ces salles permettent d'agir sur du concret tout en créant de l'échange ; et les résultats en matière de santé sont positifs. Ce dispositif respecte l'éthique professionnelle puisque, à mon sens, nous nous situons clairement là dans le cadre de la bienfaisance et du non-jugement. »