À l'heure des ados - L'Infirmière Magazine n° 262 du 01/07/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 262 du 01/07/2010

 

cancérologie

Dossier

Projets d'unités adaptées, efforts de coordination... Les adolescents atteints de cancer commencent à voir leurs spécificités reconnues, à l'hôpital mais aussi en dehors.

Si l'adolescence est, en elle-même, une grande période de questionnements, l'irruption d'un cancer dans cette tranche d'âge fait vaciller toutes les certitudes. Serai-je toujours aimable, désirable aux yeux des autres ? Pourrai-je encore faire des projets ? Continuer à faire du sport ? Conquérir une autonomie ? Sur quel répit puis-je compter ? Ces questions se posent abruptement aux jeunes atteints par la maladie. Chaque année, environ 700 nouveaux cas de cancer se déclarent en France chez les 15-19 ans. Le chiffre représente moins de 0,5 % de l'ensemble de ces pathologies en population générale. Pourtant, les cancers constituent la troisième cause de mortalité chez les adolescents, après les accidents et les suicides. Quant à la qualité de vie des 75 % de jeunes patients survivants(1), elle pose des enjeux d'autant plus forts que la maladie peut hanter leur vie sur plusieurs décennies et les handicaper dans de multiples domaines : physique, psychique, éducatif, économique, social... Voici un tour d'horizon de la prise en charge proposée à ces patients très particuliers, et des pistes ouvertes pour l'améliorer.

D'un point de vue épidémiologique, les cancers observés à l'adolescence témoignent d'une période de transition. Chez les 15-19 ans dominent des pathologies couramment observées en pédiatrie : leucémies, lymphomes, tumeurs osseuses et germinales... D'autres pathologies plus typiques de l'adulte (comme les carcinomes de la thyroïde ou les mélanomes) font leur apparition, alors que certains cancers fréquents chez ces derniers (du poumon, du sein...) sont rarissimes avant 20 ans. L'éventail des affections représentées est large, mais au sein de chacune, les cas sont rares, voire rarissimes. Quant au pronostic vital, il varie fortement suivant les pathologies (lire l'encadré ci-dessus). Comme chez les enfants, la guérison est globalement plus aisée que chez les adultes : si les tumeurs se développent plus vite, elles sont aussi plus sensibles aux traitements. Mais, alors que le taux de survie a connu une forte progression en quelques décennies (il n'atteignait pas les 50 % il y a trente ans), « les progrès thérapeutiques ont été plus limités chez les adolescents que chez les enfants ou les personnes âgées », pointe Perrine Marec-Bérard, oncologue pédiatre au Centre régional de lutte contre le cancer de Lyon.(2)

Comment l'expliquer ? Tout n'est pas limpide, mais certains constats reviennent. D'abord, le diagnostic est souvent posé tardivement, soit que l'adolescent hésite à en parler à ses parents ou à un médecin, soit que sa pathologie soit confondue avec une autre, beaucoup plus fréquente (l'enflement d'un ganglion évoque plus facilement une infection bénigne qu'un lymphome, par exemple). Ensuite, les adolescents sont beaucoup moins souvent inclus dans les essais thérapeutiques : 9 % sur la période 1988-1997, contre environ 60 % chez les enfants, note Laurence Brugières(3), pédiatre à l'Institut Gustave-Roussy de Villejuif (94). En cause, selon elle, « le faible nombre d'études ouvertes pour cette tranche d'âge », « le fait que les études ne peuvent pas être ouvertes dans tous les centres et que cette proposition de transferts dans un centre habilité [à ces essais] n'est pas toujours faite ». André Baruchel, chef du service d'hématologie pédiatrique de l'hôpital Robert-Debré (Paris), observe que « la recherche clinique est difficile chez les adolescents ».(2) Même si « l'âge fait augmenter les capacités de compréhension », obtenir un consentement éclairé demande l'intervention « de professionnels aguerris », médecins comme infirmières. En outre, la « non-compliance des adolescents dans ces protocoles fausse les résultats », déplore-t-il, citant le cas d'un jeune patient ayant tout simplement arrêté de prendre son médicament durant un essai clinique.

Ce problème d'observance n'est pas spécifique au cancer : « Les adolescents ne sont pas de "bons malades" », pointe Catherine Jousselme, pédopsychiatre à la Fondation Vallée (Gentilly, 94). Mais, dans ces maladies, la violence des effets secondaires va exacerber les moments de révolte. « Il arrive que les patients refusent les médicaments, en exprimant un ras-le-bol, témoigne Laure Ziliani, infirmière à l'Institut Gustave-Roussy. Cela leur fait du bien de pouvoir dire non, même si on arrive presque toujours à les convaincre. » « Le problème est de leur faire comprendre que le traitement va être très dur, qu'il a des effets dévastateurs sur l'image corporelle, estime Catherine Jousselme. Cette reconnaissance, faite d'emblée, ouvre la porte à la discussion. »(2)

Risque d'infantilisation

Saisir les bouleversements psychologiques vécus par les patients est capital, car le cancer risque de dénaturer leur adolescence. Gabrielle Marioni, psychologue clinicienne à l'IGR, constate fréquemment un « gel des pulsions agressives vis-à-vis des parents. Ils se sentent très coupables, en dette. Ils disent "avec ma maladie, je leur ai déjà fait tellement de mal que je ne vais pas leur dire que ça ne vas pas". »(2) « C'est très paradoxal, confirme Marie-Aude Sevaux, présidente de l'association Jeunes solidarité cancer. On leur en veut parce qu'ils ont tendance à nous infantiliser. De l'autre côté, on a besoin d'eux... Et il est très difficile de leur dire "lâche-moi, tu me saoûles" ! » La mue du corps est perturbée, et, avec elle, l'image de soi. À la perte des cheveux, au mal-être lié aux nausées, à la fatigue, aux cicatrices, au handicap parfois, s'ajoute une « disparition des effets de la puberté, avec la perte des poils, des muscles, des seins, des règles », explique Catherine Le Grand-Sébille, enseignante-chercheuse en socio-anthropologie à l'université de Lille-2, auteur d'une étude auprès d'adolescents et de jeunes majeurs atteints de cancer(4). « Alors que les parents ont une vision à long terme de la maladie, les adolescents sont davantage centrés sur l'"ici et maintenant" et se montrent très préoccupés par l'aspect esthétique », constate Christelle Jodar, cadre de santé responsable des adolescents à l'IGR. Elle observe, par ailleurs, que la maladie s'accompagne parfois d'un regain de conduites à risques : « Addiction à l'alcool, aux drogues, sexualité à risques et troubles du comportement alimentaire, par exemple des cas d'anorexie. »

« Entre trop et pas assez »

Les soins mettent donc en jeu une écoute attentive à l'extrême. « Les adolescents se construisent comme adultes, et en même temps, ils ont une certaine âme d'enfant à protéger, observe Brigitte Pigeon, auxiliaire de puériculture à l'Institut Curie (Paris). Tout est dans le dosage entre le trop et le pas assez. » « Je trouve le contact avec les ados plus enrichissant que celui des jeunes enfants, estime Laure Ziliani. Ils verbalisent leurs angoisses, leurs craintes, on entre plus facilement en contact avec eux qu'avec les enfants, pour lesquels les parents sont là non stop. » Mais les jeunes patients sont parfois déroutants. « Aux moments d'effacement, d'effondrement, succèdent les manifestations d'un grand élan vital, qui déconcertent les adultes par leur intensité », observe Catherine Le Grand-Sébille. « Dans de nombreux entretiens, dit-elle, j'ai retrouvé l'idée qu'il ne fallait pas que le traitement prenne toute la place dans leur vie. » Elle dépeint « une obsession de sortir du service qui tend à se traduire, selon les cas, par deux attitudes opposées. Dormir beaucoup pour se soustraire à la situation. Ou bien, au contraire, multiplier les activités ». « Ce qui protège un jeune malade, poursuit-elle, c'est de sentir que les adultes présents autour de lui n'ont pas peur de ses questions, de ses colères, de son envie de solitude, ou, au contraire, de sa recherche de contacts avec les autres. S'agissant de la mort, les soignants disent ne pas savoir comment en parler parce qu'ils imaginent que les questions métaphysiques du jeune exigent des réponses de leur part, alors que ce qui est important, c'est qu'ils puissent formuler leurs interrogations, que leur détresse soit entendue. » « La relation n'est pas gagnée d'avance, affirme Ludivine Maillard, infirmière dans le service d'adultes de l'Institut Curie. Il faut trouver la petite lumière, la faille à laquelle s'accrocher pour gagner leur confiance. Pour cela, il faut d'abord que l'on ait confiance en nous. »

Mélange difficile

Pour favoriser de meilleurs traitements et une meilleure qualité de vie, quel est le cadre le plus adapté ? En France, la réflexion a pris un tour nouveau ces dernières années. Actuellement, le parcours de soins passe par des centres de référence spécialisés, des hôpitaux de proximité (pour les chimiothérapies, notamment), et le secteur ambulatoire. Premier constat, chez les 15-19 ans, « dans près de 90 % des cas, le traitement est instauré dans un service d'adultes, écrivent Étienne Seigneur, Cécile Flahault et Valérie Laurence (psychiatre, psychologue et oncologue à l'Institut Curie)(3). 5,5 % sont soignés en pédiatrie et « 4,2 % sont traités de façon conjointe par des équipes pédiatriques et adultes collaborant dans cet objectif ». Ces chiffres ont de quoi interpeller. D'une part, parce que les études montrent que la survie est meilleure dans les protocoles pédiatriques, et, d'autre part, parce que l'accompagnement humain varie beaucoup suivant les lieux. « Ce qui est criant, en service adulte, c'est le manque d'animation, d'activités culturelles, d'accès au savoir scolaire ou universitaire, remarque Catherine Le Grand-Sébille, même si on les materne aussi chez les adultes, car ils y ont un statut d'exception. » Mélanger de grands adolescents, voire de jeunes adultes, avec de jeunes enfants n'est pas simple non plus. À Gustave-Roussy, « on a fait le constat qu'il n'était pas viable de mélanger les tout-petits avec les grands et les moyens, tranche Christelle Jodar. Un adolescent se lève tard, se couche tard, ne fait pas forcément la sieste, n'a pas les mêmes sujets de conversation. Quant au rythme scolaire, il est très différent ».

Face à ces inconvénients, l'idée de créer des unités réservées aux adolescents monte en puissance. Bien implantée en Amérique du Nord et au Royaume-Uni (lire l'encadré p. 9), cette organisation n'était mise en oeuvre en France, début 2010, qu'à l'Institut Gustave-Roussy. Depuis 2002, un secteur spécifique du département de pédiatrie, comprenant dix lits, est aménagé. La prise en charge peut démarrer vers 13 ans et s'étendre aux jeunes adultes, parfois au-delà de 20 ans. « Si le patient a une tumeur pédiatrique, il est soigné selon un protocole pédiatrique », résume Christelle Jodar, cadre de cette unité qui accueille des patients venus de toute la France, et même au-delà. Ceux présentant une tumeur plus spécifique des adultes sont soignés en concertation avec des oncologues médicaux. La limite d'âge dépend du contexte : si un patient est marié et a des enfants, il sera soigné en secteur adulte.

Unité spécialisée...

L'unité s'articule autour d'une pièce commune, « Le Squat », où les adolescents peuvent trouver des livres et des DVD adaptés à leur âge (« Et non pas "Dora l'exploratrice" ! », souligne la cadre), jouer à la console, écouter de la musique, tenir un blog... D'autres espaces sont partagés avec le reste de la pédiatrie, comme l'école, la salle à manger ou l'atelier d'art. L'équipe multiplie les profils : psychologue clinicienne, psychomotricienne (pour des séances de relaxation par exemple), socio- esthéticienne (pour le travail sur l'image corporelle)... Certains intervenants sont communs à d'autres unités ou services de l'IGR : pédo- psychiatre, équipe de prise en charge de la douleur, équipe de soins palliatifs.

Parmi les objectifs initiaux, il y avait celui de « former des infirmières à l'adolescence », plutôt que de recourir à des puéricultrices, rappelle Christelle Jodar. Aujourd'hui, l'unité compte quatre aides- soignantes et huit IDE, dont certaines ont passé un DU de médecine de l'adolescence (lire encadré Formations p. 7). Même si chaque séjour dure en moyenne trois à cinq jours, l'unité insiste sur les règles de vie. « Il faut rappeler la nécessité de se lever à l'heure, d'être autonome, de suivre les cours, assure Christelle Jodar, car lorsqu'ils rentrent chez eux, on voit souvent réapparaître des pratiques infantilisantes. » Maintenir l'autonomie de l'adolescent implique aussi « de ne pas poser que des limites, en particulier pour préserver les liens avec son entourage. Il est hors de question de le priver de MSN ou de portable. Mais, la nuit, il doit le mettre sur vibreur. »

L'équipe montre une certaine stabilité : la moitié des infirmières ont plus de vingt ans d'ancienneté. Le turn-over est faible et « les arrêts maladie sont très rares, observe Laure Ziliani. Quand je suis arrivée à l'IGR il y a dix ans, je me suis dit : "je vais rester deux-trois ans, pas plus". On prend des claques mais on se sent utiles. On relativise nos petits tracas. » Christelle Jodar plaide la cause de telles unités. Interrogée sur l'identification liée aux décès de jeunes patients appartenant au même groupe, elle répond : « Le fait que les adolescents soient ensemble est plutôt un avantage. L'identification existe aussi vis-à-vis des enfants ou des adultes, et ce n'est pas le fait de soigner un adolescent dans une structure inadaptée qui l'empêchera. Ici, nous connaissons les risques qui leur sont spécifiques. Lorsque des décès surviennent, les adolescents se montrent solidaires, viennent nous voir. Nous devons avoir une attitude de réassurance, les aider à se recentrer sur leur réalité à eux. C'est un avantage d'avoir une équipe formée à cela. »

...et « unité virtuelle »

Des projets d'unité spécifique aux adolescents sont à l'étude dans plusieurs centres de référence. L'un doit aboutir cette année en hématologie à l'hôpital Saint-Louis (Paris), et un autre devrait bientôt se concrétiser au CHU de Toulouse. Les principales difficultés tiennent aux moyens : des financements, du temps, des locaux, des équipes formées et disponibles, notamment pour animer les lieux de vie. Catherine Le Grand-Sébille analyse la situation avec philosophie. « Des unités dédiées, pourquoi pas, mais le plus important, c'est une attention dédiée. » L'idée d'aménager l'existant pour aller vers plus de coordination est donc, elle aussi, prise en considération.

C'est ce qui est fait depuis quelques années à l'Institut Curie, où une « unité virtuelle » fait le lien entre le secteur adulte et la pédiatrie, situés à deux étages distincts. Entre 15 et 25 ans, les patients sont pris en charge dans l'une ou dans l'autre. « Le projet est né d'une réflexion menée entre les oncologues des deux secteurs, qui a débouché sur un travail en équipe pluridisciplinaire », explique Marie-Cécile Lefort, IDE en pédiatrie. Les adolescents des deux étages disposaient chacun d'une pièce dédiée à leur tranche d'âge. Mais un déclic s'est produit lors de l'embauche d'une animatrice qui a commencé à faire le lien entre les uns et les autres. À présent, « des staffs communs ont lieu tous les quinze jours », ajoute Ludivine Maillard. Ils rassemblent médecins, animatrice, psychologues, assistantes sociales, infirmières, kinés, diététiciennes, enseignants, etc. Et, chaque semaine, Valérie Laurence, oncologue d'adultes référente « adolescents », participe au staff de la pédiatrie. La transmission des informations est également facilitée par un réseau informatique. Enfin, l'Institut mise sur la formation : l'an passé, deux journées sur les spécificités des adolescents et des jeunes adultes ont réuni une trentaine de soignants.

Information concertée

Quels que soient les nouveaux modèles qui émergeront, les pistes pour améliorer la prise en charge sont nombreuses. Parcourir les témoignages recueillis depuis l'automne dernier par l'Unapecle (5) dans le cadre des « États généraux des enfants, adolescents et jeunes adultes atteints de cancer » aide à s'en faire une idée. Sujet primordial, l'information apportée au patient et à son entourage. Si un dispositif d'annonce a été formalisé dans le cadre du Plan cancer I (2003-2007), les associations de parents déplorent toujours trop d'annonces brutales (faites hors du cadre d'un bureau, tard le soir, au cours d'examens d'imagerie, sans prendre le temps de la pédagogie...). Au-delà de l'annonce du premier diagnostic, toutes celles qui suivent sont délicates : aggravation du cancer ou rémission, risques liés à la fertilité, handicap probable, fin du traitement... Les infirmières ont un rôle important à jouer pour s'assurer de la bonne compréhension des annonces faites. D'autant qu'« un adolescent va s'accrocher à ce qu'il a envie d'entendre, pointe Christelle Jodar. À l'IGR, l'annonce du diagnostic est faite, en général, par un médecin. Mais, si une annonce a lieu en cours d'hospitalisation, l'infirmière est tout à fait conviée à participer à cette réunion, pour entendre exactement ce qui a été dit et maintenir un discours cohérent. » « Quand on leur dit rouge un jour, on ne peut pas leur dire noir le lendemain, souligne Laure Ziliani. Sinon, on le paye plusieurs mois après. »

Autre problème souligné par les États généraux : l'insuffisante coordination entre les divers intervenants du parcours de soins. En attendant l'arrivée du dossier communicant en cancérologie (promis dans le Plan cancer I et de nouveau prévu dans le Plan cancer II lancé en 2009...), les parents doivent souvent réexpliquer la situation à chaque étape. En outre, ces derniers s'étonnent fréquemment des différences de pratiques entre centres de référence et hôpitaux de proximité (par exemple, pour l'utilisation des cathéters). Ces manques de coordination ne font que souligner l'utilité des réseaux d'oncopédiatrie. Le Rapport sur l'offre de soins en cancérologie pédiatrique de l'Institut national du cancer (Inca), paru début 2010, en recense 14 « effectifs ». En région parisienne, le Rifhop (Réseau d'Ile-de-France d'hématologie-oncologie pédiatrique), coordonné par une cadre puéricultrice, Martine Gioia, s'appuie sur quatre coordinatrices territoriales qui font le lien entre les hôpitaux de référence, les centres de proximité et les soignants au domicile. Un classeur de liaison est remis aux parents : il circule entre les centres de référence et les hôpitaux où sont pris en charge les patients, plus près de chez eux. Le réseau travaille aussi à harmoniser les pratiques de soins et regroupe, ainsi, médecins, psys, infirmières, kinés, diététiciennes..., répartis en groupe spécialisés. Les coordinatrices du réseau forment leurs collègues des hôpitaux de proximité(6).

Du côté des infirmières, Françoise Henry, cadre du département de pédiatrie de l'Institut Curie et membre du Rifhop, se souvient : « Voilà quelques années, il y avait un débat passionné pour savoir s'il fallait hépariner ou non les cathéters centraux. Un groupe de travail sur les voies centrales a finalement abouti à des procédures communes sans héparinisation. » Une harmonisation a également été réalisée en matière d'antibiothérapie en cas d'aplasie, ou encore de bains de bouche.

Les réseaux interviennent aussi en ville, au lit du patient. C'est le cas au Rifhop et dans d'autres réseaux régionaux, tel Reso-LR en Languedoc-Roussillon. Basé au CHU de Montpellier, il entre en action « dès le diagnostic », précise Catherine Costeau, cadre puéricultrice(2). Au cours de l'hospitalisation, le réseau rencontre le patient et sa famille. Il « met en lien les professionnels dont la participation est nécessaire pour une prise en charge optimale » : médecins et infirmières, psychologues, algologues, équipes de soins palliatifs..., et forme les libérales. Le réseau privilégie le maintien à domicile, facilité par la présence d'une équipe mobile. Catherine Costeau souligne que le réseau aide à garder une « juste distance » en laissant à l'adolescent « le libre choix d'être en relation avec l'équipe, selon ses besoins et son ressenti ».

Reste à consolider le rôle de ces réseaux. « Les conditions pour une meilleure coordination sont là, relève Yves Pérel, président de la Société française des cancers de l'enfant et de l'adolescent (SFCE). Il existe des référentiels pour harmoniser les pratiques. Mais cela ne se voit pas assez. »(7) Nathalie Hoog-Labouret, responsable de la mission pédiatrie de l'Inca, observe que « l'on manque d'infirmières coordinatrices, même si certaines initiatives se mettent en place. Dans l'action du Plan cancer II, l'un des objectifs sera de rendre ces filières plus visibles. »

Penser à long terme

De meilleurs liens entre ville et hôpital comptent aussi pour l'après-traitement (lire notre dossier dans L'Infirmière magazine n° 259). Un enjeu souligné, là encore, par les États généraux et le Plan cancer II. D'abord parce que la rémission est une étape délicate, marquée par le risque de rechute et la perte du cadre sécurisant de l'hôpital. « Il peut être difficile de quitter le statut d'enfant malade au sein de la famille, après avoir été très entouré. Il faut apprendre à vivre avec un corps différent, tout en reprenant le cours des transformations liées à l'adolescence, ce qui suppose un "réaménagement narcissique" », observe Gabrielle Marioni. L'épreuve laisse des traces très variables suivant les adolescents. Certains constatent qu'ils ont développé de nouvelles ressources. D'autres affirment avoir conservé une grande fragilité. Dans tous les cas, l'envie de reprendre des projets se heurte à des difficultés : la fatigue, le retard scolaire, le regard des autres... Pour les faire évoluer, Marie-Aude Sevaux, de Jeunes solidarité cancer, se souvient avoir « monté un agenda avec quelques jeunes, que l'on a présenté dans un lycée, tout en organisant un jeu de rôles, intitulé "Marcel a un cancer". ça a été l'occasion de parler de la maladie et de dédramatiser ». Pour apporter une aide psychologique aux patients qui en ressentent le besoin, des consultations ont commencé à se mettre en place. Depuis 1998, à Paris, l'Espace Bastille apporte un accompagnement psychosocial aux enfants et aux adolescents atteints de maladies graves entre les périodes d'hospitalisation et après les traitements. Pédiatre, psychologue, psychomotricienne, orthophoniste et assistante sociale interviennent dans cette consultation. À Marseille, un autre projet devrait se concrétiser en 2011, celui d'un Espace méditerranéen de l'adolescent. Porté par le pédopsychiatre Marcel Rufo, il devrait combiner un accueil de jour et 50 à 70 lits. Le lieu accueillera des jeunes patients touchés par différentes pathologies, dont les cancers, hors phase aiguë, voire guéris. Le projet « donnera la possibilité d'accueillir le ou la meilleur(e) ami(e), il associera l'écriture, le théâtre, la sculpture, la musique, en faisant venir la ville à l'hôpital, et l'hôpital à la ville », annonçait Marcel Rufo le 29 janvier, lors de la signature d'un conventionnement auprès de l'Inca.

Enfin, une autre cause semble avancer, celle du suivi à long terme des séquelles et des complications. Problèmes moteurs (aggravés par la survenue du cancer avant la fin de la croissance), troubles de la fertilité, troubles cardiaques ou encore osseux, fatigue, douleurs, troubles psychologiques... La liste est longue suivant les pathologies et les traitements. Alors que des programmes sont déjà bien implantés aux États-Unis et au Canada, la France est encore à l'ère des pionniers, notamment avec la consultation Salto-H mise en place au CHU de Nantes. La mesure 23.5 du Plan cancer II entend « mettre en place, sous forme d'expérimentations », ce type de consultations, qui accompagnent le patient de l'univers de pointe de la cancérologie vers celui d'une médecine plus ordinaire, basée avant tout sur la prévention et le dépistage. Un chantier parmi bien d'autres, qui rappelle que les adolescents d'aujourd'hui seront les adultes de demain : « On estime qu'un adulte sur 1 000 est, en 2010, un survivant de cancer de l'enfance », souligne André Baruchel(8). Raison de plus pour former tous les soignants à comprendre leur parcours.

1- Contre un peu plus de 50 % dans la population générale.

2- 26e congrès de la Société française de psycho-oncologie (SFPO), du 4 au 6 novembre 2009 à Montpellier.

3- Dans L'Adolescent atteint de cancer et les siens (cf. encadré « À lire »).

4- Catherine Le Grand-Sébille, « L'accueil et la qualité de vie des jeunes majeurs atteints de cancer et hospitalisés » (l'étude sera disponible sur le site Tompoucepousselamoelle.medicalistes.org).

5- Unapecle : Union nationale des associations de parents d'enfants atteints de cancer ou de leucémie. Les conclusions des États généraux seront bientôt réunies dans un livre blanc.

6- Le Rifhop forme aussi les infirmières libérales.

7- Conférence de presse du 8 mars 2010 sur les États généraux.

8- Conférence de presse à l'Inca, 29 janvier 2010.

épidémiologie

DE GRANDES DISPARITÉS

La survie à cinq ans varie beaucoup suivant les cancers. Par exemple, celle d'un adolescent atteint de rhabdomyosarcome dépasse à peine 40 % alors qu'elle atteint 100 % pour les cancers thyroïdiens. Ou encore, en hématologie, la survie est de 96 % pour les lymphomes hodgkiniens, mais de seulement 63 % pour les non hodgkiniens.

témoignages

PARENTS ET ADOS PARLENT

- « Je me suis senti en marge du monde, or j'aime être avec les gens. Avec ces effets secondaires, j'avais l'impression de perdre mon corps, même parfois d'être humilié, d'être assisté. »

- « Mes parents se demandaient ce qu'ils avaient fait, ils se sentaient un peu coupables. »

- « Le soutien psychologique qu'on pouvait proposer, je n'en voulais pas. Je pense que je me suis surestimé. »

- « La stérilité est aussi un problème pour aborder une fille. On se demande comment elle va réagir si on le lui dit. »

- « On lui demandait s'il avait son doudou pour aller se coucher, [alors que] mon fils était mature avant d'être malade. On se demande si, dans le cursus des infirmières et des aides-soignantes, il y a un module sur l'adolescence. »

- « Au moment de sa mort, personne n'est venu me voir. Il faut parler de la mort et qu'il y ait un suivi après. »

- « Je n'ai pas voulu arrêter l'école, [de voir] les potes, sortir, même si j'étais à la ramasse à cause des traitements. J'avais l'impression de vivre comme tout le monde. J'avais trouvé mon rythme. »

Source : synthèse des États généraux organisés par l'Unapecle, mars 2010.

Formations

- Concernant les adolescents en cancérologie, il existe très peu de formations ouvertes aux infirmières.

À l'IGR et à l'Institut Curie, elles ont lieu au sein de l'établissement.

- Pour une approche plus globale, citons le DIU de médecine et santé de l'adolescent, organisé par les universités d'Angers, Paris-5, Poitiers et Tours, dont les cours se déroulent, sur deux années, à Paris. Rens. : 02 41 35 44 42.

grande-bretagne

UNE FONDATION, DES UNITÉS

Outre-Manche, les adolescents atteints de cancers relèvent avant 16 ans de la pédiatrie, et, au-delà, des services d'adultes. Mais une troisième voie est apparue, et s'est pérennisée. Depuis 1990, une fondation de charité, le Teenage Cancer Trust, crée des unités spécialisées dans les hôpitaux publics. Quatorze sont déjà sur pied, et vingt-quatre sont à l'étude.

Accueillant des jeunes de 13 à 24 ans, elles visent à les aider « le plus possible à se rapprocher d'une vie normale », avec du personnel formé et des activités adaptées. Certaines sont reconnues comme centres de référence régionaux, faisant le lien avec les autres établissements et l'ambulatoire. Les soins infirmiers sont encadrés par des nurse consultants, un statut créé en 1999 pour des infirmières chevronnées et spécialisées, dont le champ d'action s'étend des soins à la recherche en passant par la formation.

Tout cela a un coût : 600 000 à 4 millions d'euros par unité. Mais, la fondation, qui ne perçoit pas un penny du gouvernement, peut compter sur ses mécènes, dont les rockeurs réunis chaque année pour un grand concert au Royal Albert Hall.

À lire

- L'adolescent atteint de cancer et les siens, dirigé par Sarah Dauchy et Darius Razavi, Springer, 2009, 40 euros.

- Psycho-oncologie (revue de la SFPO) vol. 3, n° 4, déc. 2009

- Actes du colloque « Grands adolescents et jeunes majeurs atteints de cancer : accueil et qualité de vie à l'hôpital » (3 avril 2009), disponibles auprès de l'association « Tom pouce pousse la moelle ».

- Rubrique « Cancers et adolescence » sur http://www.igr.fr.

Contacts

Soignants :

- Société française de lutte contre les cancers et leucémies de l'enfant et de l'adolescent (SFCE), http://sfce1.sfpedia trie.com.

- Groupe des infirmiers et personnels paramédicaux en hématologie et oncologie pédiatrique (Gipphop), 26, rue d'Ulm, 75005 Paris.

Patients :

- Unapecle, http://unapecle. medicalistes.org.

- Jeunes solidarité cancer, http://www.jscforum.net.

- Cheer Up, http://www.cheer-up.fr.

- Sang pour sang la vie, http://www.centpour sanglavie.org.

Articles de la même rubrique d'un même numéro