La iatrogénie médicamenteuse - L'Infirmière Magazine n° 258 du 01/03/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 258 du 01/03/2010

 

gérontologie

Cours

Les personnes âgées polypathologiques, polymédiquées et dont l'observance thérapeutique n'est pas toujours optimale, souffrent plus souvent d'effets néfastes des traitements médicamenteux. Ce qui complique deux des missions-clés des infirmières : l'administration des médicaments et la surveillance de leurs effets.

Du grec « iatros » (médecin), le terme « iatrogénie » désigne les conséquences d'un traitement médical. Source d'affections et même d'hospitalisations, la iatrogénie liée aux médicaments constitue un enjeu de santé public. Particulièrement chez les personnes âgées, dont l'organisme est plus sensible aux effets des produits. L'âge lui-même n'est pas un facteur de risque : les personnes considérées comme âgées - de plus de 75 ans ou d'au moins 65 ans et souffrant de plusieurs pathologies - représentent une population hétérogène. Mais la polypathologie qui accompagne souvent le vieillissement entraîne une polymédication, qui, mal maîtrisée, favorise les accidents médicamenteux. La question est moins quantitative que quali- tative : il ne s'agit pas de réduire la prescription, mais de l'améliorer, et même de prescrire plus fréquemment certains produits sous-utilisés. Aux côtés des médecins, tous les professionnels de santé sont concernés par cette thématique.

UNE POPULATION à RISQUES

Les personnes âgées présentent des caractéristiques qui les rendent plus sensibles à un accident iatrogène.

Polypathologie. Pathologies ophtalmologiques, buccodentaires, cardiovasculaires (hypertension artérielle dans 44 % des cas), endocriniennes (le diabète en particulier), ostéoarticulaires, digestives, des oreilles, de l'appareil respiratoire, troubles mentaux et du sommeil : les personnes d'au moins 65 ans et vivant à domicile (1) déclarent 7,6 maladies en moyenne. La progression, nette en fonction de l'âge, se ralentit chez les octogénaires. En institutions (2), les maladies cardiovasculaires touchent trois quarts des personnes et 85 % des résidants présentent au moins une affection neuropsychiatrique (notamment des syndromes démentiels ou des états dépressifs). Les pathologies ostéoarticulaires arrivent en troisième position. Les résidants cumulent sept pathologies diagnostiquées.

Grâce à la révolution de la longévité, les personnes qui vieillissent se portent mieux. Mais des éléments apparaissent de façon plus prégnante qu'il y a quelques années, comme les facteurs de risque vasculaire et l'accroissement des morbidités. De plus en plus, les polypathologies se composent à la fois d'affections chroniques dominantes (dont certaines sont incapacitantes et d'autres sans conséquence directe sur l'autonomie mais mortelles) et de maladies aiguës. Les sujets âgés souffrent en moyenne de deux maladies aiguës par an, essentiellement broncho-pulmonaires, mais aussi infectieuses. Le cancer est avant tout une maladie de personnes âgées. De même, la pyramide des affections de longue durée grossit avec l'âge.

Polymédication. Nombre de patients sont polymédiqués : le pluriel « poly » fait référence à au moins deux médicaments... Cependant, la polymédication correspond selon certains à la prise d'au moins cinq médicaments, ce qui est d'ailleurs la moyenne des produits pris par les plus de 65 ans. Pour cette population, l'ordonnance d'un médecin libéral compte 3,4 lignes en moyenne, soit plus de 3 médicaments et huit boîtes (contre cinq pour les moins de 65 ans) et un coût moyen de 71 euros (contre 37 euros) (3). En institutions, les personnes âgées consomment en moyenne 6,4 médicaments par jour.

L'augmentation de la consommation médicamenteuse avec l'âge, plutôt récente, concerne surtout les médicaments cardiovasculaires. Chez les plus de 65 ans, ceux-ci arrivent en tête des prescriptions avec les produits neuropsychiatriques, devant les antalgiques, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les produits soignant les pathologies digestives.

Les traitements ne sont pas forcément dénués de sens. Leur objectif est majoritairement palliatif. Certains agissent sur les facteurs de risque sans guérir la maladie, évitent des complications, améliorent la qualité de vie ou encore augmentent l'espérance de vie sans incapacité. Ainsi, en traitant l'hypertension artérielle des plus de 70 ans, les risques d'accidents vasculaires cérébraux sont réduits de 30 à 45 %. Chez les plus de 75 ans, les maladies cardiovasculaires constituent la première cause de décès, de consultation et, loin devant les psychotropes, de traitements.

Modifications de la pharmacocinétique des médicaments. L'âge a un effet sur le parcours dans l'organisme d'un médicament, parcours qui va de l'absorption à l'excrétion en passant par la distribution liée à une protéine (en général de l'albumine), l'action et la métabolisation.

Avec l'âge, à poids constant, la masse maigre a tendance à diminuer au profit de la masse grasse. Or certains médicaments se diluent habituellement dans la masse maigre. D'où un risque de surdosage. à l'inverse, les médicaments liposolubles vont exercer des effets rémanents. L'action des benzodiazépines, notamment, perdure.

La deuxième modification touche au transport. En cas de dénutrition (un risque augmenté avec l'âge), le taux d'albumine baisse. Cette hypo- albuminémie diminue la fixation des médicaments fortement liés à l'albumine. Résultat : la toxicité s'accroît car la forme libre du médicament, sa forme active, est aussi la forme toxique. Ce qui explique l'augmentation des risques d'interactions, par exemple entre AINS et anticoagulants.

Autre modification : la perte de fonction rénale, qui peut favoriser l'accumulation de médicaments à élimination rénale. Pour prescrire au mieux, le médecin mesure la clairance de la créatinine (soit la capacité du rein à éliminer) par la formule de Cockroft. Le résultat, moins précis pour les personnes âgée, est toutefois considéré comme une approximation suffisante. La MDRD (Modification of Diet in Renal Disease), autre mesure, est amenée à se développer.

Là encore, l'âge seul n'explique pas tout. L'organisme d'un sujet âgé actif en bonne santé connaît peu ou pas de modification. Mais de très nombreuses maladies fragilisent les organes visés par un médicament et/ou modifient les capacités de son élimination.

Comportement spécifique. Les sujets âgés respectent-ils mieux ou moins bien, intentionnellement ou non, les recommandations de leur médecin ? En d'autres termes, font-ils preuve d'une meilleure ou d'une moindre obser- vance ? Difficile à mesurer. Plus sûrement, ils sont plus susceptibles, en raison d'une moindre autonomie et de déficiences visuelles ou auditives, de souffrir de problèmes de communication, de compréhension et de mémorisation. Ce qui peut compliquer le diagnostic et le respect des modalités d'un traitement, surtout si de nombreux médicaments leur sont prescrits - le taux d'observance diminue au-delà de quatre médicaments. Par ailleurs, les personnes âgées osent moins poser de questions et ne déclarent spontanément qu'un tiers de leurs symptômes, les confondant à tort avec des signes de vieillissement ou craignant des examens complémentaires. Certaines exigent plus souvent la prescription d'un nouveau médicament, pour se rassurer. Chez le patient âgé, un produit peut revêtir une dimension sociale, en suscitant des échanges avec les soignants.

CAUSES DE IATROGéNIE

Une partie des effets indésirables serait évitable en limitant leurs facteurs favorisants. Des facteurs multiples et conciliables, liés au prescripteur, au patient, aux médicaments, aux effets de l'âge sur l'organisme ou à un événement.

Iatrogénie liée à un événement intercurrent. La survenue de facteurs nouveaux constitue une cause majeure favorisant ou précipitant la iatrogénie. Parmi ces événements, un changement d'environnement (telle une canicule), un déménagement ou un deuil, l'introduction d'un traitement (ou un changement de dosage) ou encore une maladie aiguë (souvent infectieuse) qui se superpose à une maladie chronique, modifiant le comportement cinétique des médicaments. Le praticien doit donc se montrer particulièrement attentif aux événements intercurrents, afin d'interrompre éventuellement tel ou tel traitement, vérifier l'hydratation etc.

Iatrogénie liée à une prescription médicamenteuse non adaptée. Le corps médical, bien sûr, n'est pas à l'origine des maladies. Mais sa pratique peut générer un accident iatrogénique. Par exemple, un praticien qui banalise des traitements sans les réévaluer. Il peut aussi méconnaître le patient, ou les associations contradictoires de médicaments, leur posologie, leur durée et les moments de prescription, leurs contre-indications. Ou prescrire de façon injustifiée deux produits d'une même famille, ou encore nourrir le désir louable mais quelquefois peu réaliste de tout traiter en même temps. Plus largement, la thérapeutique gériatrique n'est pas une priorité de la formation médicale.

En raison des polypathologies, la polymédication est légitime dans la plupart des cas. Ce qui n'est pas justifié, c'est de ne pas en limiter d'éventuels effets néfastes quand c'est possible. Trois cas existent : l'overuse (excès de traitement, avec un médicament qui n'a pas ou plus d'indication ou dont le service médical rendu est insuffisant), le misuse (prescription inappropriée, dans le sens où le bénéfice attendu est inférieur au risque encouru et au risque iatrogène, par exemple en prolongeant excessivement un psychotrope, même s'il n'est pas facile de prévoir la bonne durée d'un traitement) et enfin l'underuse (sous-traitement ou non-traitement de certaines maladies, comme l'ostéoporose). Ce n'est pas le nombre des médicaments qui compte, mais leurs qualités et leur possible association.

Iatrogénie liée aux médicaments prescrits de façon adaptée. Près d'un accident médicamenteux sur cinq est lié à une interaction, par exemple entre psychotropes et hypertenseurs (plus grand risque de chutes et de troubles cognitifs). La polymédication, même nécessaire, augmente le risque d'interactions médicamenteuses. L'incidence des effets indésirables augmente de manière exponentielle avec le nombre de médicaments : les personnes âgées, plus malades, y sont donc plus exposées. Le risque est multiplié par trois à partir de quatre médicaments. D'autres évoquent un danger à partir de cinq médicaments différents chaque jour. S'y ajoute le risque de ne pas reconnaître la iatrogénie et de la traiter comme une pathologie. Bref de traiter par un nouveau médicament ce qui est le fait d'un médicament. A l'image de l'enchaînement anticoagulant - hémorragie digestive - anémie - confusion - neuroleptique - chute (4).

Les médicaments le plus souvent mis en cause dans les effets indésirables sont ceux à visée cardiovasculaire et du système nerveux central, les antalgiques, les AINS. Les psychotropes posent souvent problème. L'introduction chez les sujets âgés de bêta-bloquants, utilisés contre l'hypertension, a suscité de nombreuses craintes, mais ils sont assez bien voire bien tolérés quand il sont prescrits à bon escient et surveillés correctement, à condition de faire attention aux associations, entre autres avec la cordarone ou les médicaments contre Alzheimer. La question des effets indésirables se pose plus particulièrement pour les médicaments à faible élimination rénale et à marge thérapeutique étroite.

Iatrogénie liée à la mauvaise prise des médicaments ou à l'automédication. Surmédication, sous-médication (90 % de la non-observance), automédication sans prescription médicale, parfois avec des produits non-médicamenteux comme l'alcool ou des patchs, et aux effets indésirables plus graves chez les personnes âgées en raison du nombre de traitements... Le patient aussi peut être à l'origine d'une iatrogénie. Le risque, c'est qu'il sélectionne ses médicaments de façon aléatoire sans que le médecin en soit informé, ce qui conduit à un échec thérapeutique. Si le praticien ne se pose pas la question d'une éventuelle non-prise, il pourrait doubler la dose, suscitant un risque de iatrogénie si, cette fois, le malade respecte la prescription. La contestation du pouvoir médical, les pressions du patient et de son entourage (parfois soulagé par une prescription médicamenteuse, notamment pour des troubles du comportement), mais aussi celles des médias ou des industriels pèsent sur la prescription. Au même titre que les facteurs « culturels » : les Français sont champions de la consommation de benzodiazépines.

LUTTE CONTRE LA IATROGéNIE

La lutte contre la iatrogénie médicamen- teuse s'est imposée plutôt récemment comme un enjeu de santé publique. La loi de santé publique de 2004 ambitionne ainsi de réduire la prescription inadaptée et la iatrogénie.

Avec le programme-pilote Prescription médicamenteuse du sujet âgé (PMSA), la Haute Autorité de santé (HAS) accompagne et encourage l'amélioration et l'évaluation des pratiques professionnelles, aux côtés notamment du Collège professionnel des gériatres français, par exemple aux entretiens de Bichat 2009 (5). La HAS favorise ainsi l'échange entre professionnels et propose des recommandations (par exemple pour réduire la prescription de psychotropes). Pour les prescripteurs, l'amélioration du service médical et la délivrance d'une information éclairée passent par une réflexion et des indicateurs.

Donner sa place à la sémiologie. Certains praticiens ont trop tendance à répondre à un symptôme par un traitement. Une approche qui n'a pas toujours du sens. Traiter un trouble du sommeil par un hypnotique, alors qu'il peut s'agir en fait d'un problème de douleur nocturne non prise en compte, est un court-circuit intellectuel. Pour adapter l'étiologie, il faut donner sa juste place à la sémiologie, en étudiant la cause des symptômes.

« Un accident iatrogénique est-il possible ? » Cette question, ce « réflexe iatrogénique », doit se poser en cas de tout nouveau symptôme imputable à un médicament.

« Déprescrire » et planifier. Les médecins ont plus appris à prescrire qu'à proscrire. Ils en oublient souvent leur droit à planifier et à hiérarchiser les traitements, à déprescrire pour mieux represcrire, à enlever brutalement ou progressivement un médicament avant d'éventuellement le réintroduire avec du recul, en tenant compte avant tout des maladies curables et de la qualité de vie. Un traitement peut être arrêté si l'organe a été guéri ou quand le bénéfice n'est plus supérieur au risque.

Réévaluer l'ordonnance. Il est recommandé de réévaluer et d'adapter régulièrement l'ordonnance au contexte, à l'âge, au patient. Difficile à faire à chaque consultation, avec un rendez-vous tous les quarts d'heure. Mais une révision est opportune au moins une fois par an, et lors de l'introduction d'un nouveau médicament ou d'un événement intercurrent. A cette occasion, une longue ordonnance, supportée jusque là, peut être facteur de iatrogénie. L'adaptation posologique de certains traitements - comme les digitaliques, à marge thérapeutique étroite - peut se faire de façon progressive, en revoyant le patient, afin d'étudier si le traitement a atteint son efficacité. Un traitement peut être commencé à demi-dose, réévalué, et éventuellement augmenté. Le piège : sombrer dans la routine sans réévaluer la classe médicamenteuse et la galénique (le format : comprimé, gélule...), ni vérifier le caractère encore valable des indications. Rares sont les médicaments qui doivent être pris à vie.

Plusieurs étapes. La première phase d'une réévaluation - par exemple pour une octogé- naire qui souffre depuis peu de malaises matinaux et de chutes - consiste à étudier les événements récents : y a-t-il quelque chose de nouveau ? Un interrogatoire approfondi est mené sur les chutes. Les pathologies actuelles ou passées sont analysées les unes après les autres. L'optimisation diagnostique précède toujours l'optimisation thérapeutique. Pour expliquer les malaises matinaux et les chutes, le corps médical s'interroge sur une possible iatrogénie, traque le médicament, fait l'hypothèse. Il essaie de faire le lien entre les pathologies et une éventuelle iatrogénie ou une maladie émergente. Troisième étape : la polymédication est-elle prise en réalité ? Il faut apprécier l'aptitude du patient et la qualité de l'observance. Puis les praticiens réfléchissent à une stratégie d'amélioration. Poursuivre tel ou tel traitement a-t-il du sens ? N'y a-t-il pas des redondances ? à l'inverse, y aurait-il carence en vitamine D ? La patiente, après optimisation du traitement, ne présentera plus ni malaise ni chute.

Outils d'évaluation. Le programme PMSA comporte des outils d'évaluation, selon deux méthodes : l'audit adapté à une démarche institutionnelle (à l'hôpital, en Ehpad), ou l'évaluation entre médecins dans le cadre d'un exercice isolé ou au sein d'un même service. Dans les deux cas, l'évaluation, réalisée en fonction de critères et sur un nombre variable de dossiers, est suivie de mesures d'amélioration. Une seconde évaluation est réalisée deux à quatre mois plus tard, sur un nombre identique de dossiers, éventuellement sur les seuls critères à améliorer. Sont concernées les unités de soins ou d'hébergement accueillant des personnes âgées d'au moins 80 ans, ou de plus de 65 ans et polypathologiques.

évaluation de l'ordonnance. Les praticiens examinent dix ordonnances successives. Elles doivent indiquer la clairance de la créatinine, le poids et l'âge du patient, la durée de prise de chaque médicament... Elles doivent aussi être structurées par domaine pathologique (pour dormir, pour l'hypertension etc.), ne pas contenir plus de deux psychotropes ou encore deux médicaments à l'association contre-indiquée ou illogique. Une prescription peut toutefois sembler illogique d'un point de vue académique, mais être tentée et argumentée dans le dossier du patient.

évaluation du dossier médical. Là encore, les praticiens remplissent une grille, cette fois à partir de cinq dossiers minimum. Seuls quatre des dix-huit critères d'évaluation peuvent être retenus. Par exemple, les coordonnées du patient, du médecin traitant, la liste classée des pathologies en terme d'antécédents significatifs, la recherche du potentiel orthostatique systématique (surtout si le patient prend un traitement antihypertenseur ou psychotrope), un suivi d'efficacité de chaque médicament prescrit, un suivi de la tolérance (recherche d'effets secondaires), la présence de l'ordonnance de sortie du médicament etc.

Autres outils. Les praticiens peuvent aussi juger de la concordance entre l'ordonnance et le dossier selon trois critères, dont celui-ci : est-ce que l'ordonnance est identique au traitement noté dans le dossier ? Il peut aussi être procédé à l'évaluation, importante dans la prévention des accidents liés aux médicaments, de dix comptes-rendus d'hospitalisation. Parmi les questions : ce compte-rendu a-t-il été adressé dans les 48 heures au médecin traitant ? Les critères de suivi de tout nouveau traitement y sont-ils décrits ?

Un kit d'indicateurs. Un kit d'indicateurs de bonne prescription permettant de prévenir, repérer et maîtriser le risque iatrogénique va être publié début 2010. élaboré par les professionnels de santé en lien avec la HAS, il permettra de partager des repères communs entre les soignants, le patient et son entourage.

UN TRAVAIL D'éQUIPE

Le médecin traitant est le principal prescripteur de médicaments. Mais la lutte contre la iatrogénie ne passe pas que par lui. Elle nécessite une coordination entre tous les professionnels. Tous surveillent la survenue d'effets iatrogènes, recoupent les informations et soutiennent les personnes âgées. Une collaboration d'autant plus cruciale qu'un même patient peut être soigné en ambulatoire, à l'hôpital, à domicile...

La coordination entre professionnels. Le médecin généraliste doit coordonner le parcours de soin. à condition d'être pleinement lié à la famille, il peut ne pas suivre la prescription du spécialiste à qui il a demandé un avis. Il est également bien placé pour éviter les doublons en supervisant les ordonnances des divers prescripteurs. En effet, peuvent parfois être prescrits plusieurs diurétiques (furosémide par le cardiologue et acétazolamide par l'ophtalmologiste), anxiolytiques (diazépam par le psychiatre et alprazolam pour dormir par le généraliste) ou AINS (6). En cas d'introduction d'un médicament de la même famille, « le gain en efficacité est modeste et cette attitude favorise la surconsommation médicamenteuse ». Entre professionnels, l'ordonnance peut servir d'outil de communication, de même que le dossier médical personnel ou le cahier de suivi. Pour multiplier les échanges entre ville et hôpital, réunions ou fiches de liaison sont possibles. Enfin, dans le dossier pharmaceutique, le pharmacien peut recenser, avec l'accord du patient, ses traitements des quatre mois précédents.

Le rôle de l'infirmière. En raison de son importance dans la préparation et la distribution des médicaments (notamment via le pilulier) puis dans la surveillance, l'infirmière joue un rôle d'alerte auprès des prescripteurs si elle soupçonne un effet indésirable, repère un événement intercurrent ou constate une difficulté de prise de telle ou telle pilule - dans ce cas, elle peut demander un format de médicament plus adapté. Elle peut aussi être amenée à contrôler l'armoire à pharmacie... et le réfrigérateur. « à l'hôpital, le pharmacien ou l'infirmière peut [aussi] interroger les prescripteurs : "Est-il légitime de poursuivre ce traitement chez ce malade, qui n'en a peut-être plus besoin, ou qui l'expose à un risque injustifié ?" » (7).

Mais la surveillance de la prise effective des médicaments est « moins simple qu'il n'y paraît. En effet, l'infirmière est souvent amenée à parlementer avec la personne âgée, à négocier, à s'assurer de la prise réelle, ce qui est très consommateur de temps », indique-t-on dans l'ouvrage Thérapeutique de la personne âgée. Comme le précise Marie-Claude Guelfi dans Gérontologie et société, « le plus souvent pour [les] patients [souffrant de troubles de la déglutition], ainsi que pour ceux alimentés par nutrition entérale (...), les infirmières n'ont pas d'autre solution que d'écraser les comprimés ou d'ouvrir les gélules et de les mélanger tous ensemble pour obtenir une poudre (...) sans tenir compte de la compatibilité des principes actifs entre eux, de leur stabilité à l'air et à la lumière et surtout de l'autorisation donnée par les laboratoires pharmaceutiques ». L'infirmière peut aussi être contrainte de broyer un médicament si le patient refuse de le prendre à cause de son goût désagréable. Il faut alors que le yaourt ou la compote soit intégralement avalée pour que la dose soit prise...

Sensibiliser et « éduquer » le patient. Les professionnels de santé informent le malade de son traitement, ou son entourage quand lui-même ne peut comprendre. Ils les incitent à consulter en cas d'événement intercurrent. Une telle information nécessite de passer plus de temps avec les personnes âgées, d'être à leur écoute, de délivrer une ordonnance claire, d'éventuellement y dessiner les comprimés, d'expliquer que le médicament ne devient pas forcément obligatoire avec l'âge...

CONCLUSION

Comment concilier un maximum de bénéfices avec un minimum de risques ? La lutte contre la iatrogénie vise à faire bénéficier les personnes âgées du meilleur traitement en réduisant les éventuels effets néfastes d'une polymédication, et non à restreindre l'accès aux médicaments. Outils d'alerte et indicateurs sont utiles, associés à une large information des professionnels et du grand public. D'autres pistes peuvent être dessinées, comme les alternatives non médicamenteuses, trop souvent ignorées. Ainsi, la consommation d'antalgiques, de somnifères ou de laxatifs peut se réduire avec un exercice physique régulier, de même que celle de somnifères avec l'exposition à la lumière en journée. Bref, la « thérapeutique » ne se réduit pas à la seule prescription médicamenteuse. Par ailleurs, la vieillesse ne peut être vue sous un angle comptable, ni redoutée ou repoussée comme une image de la mort. Pour les soigner mieux, le regard sur les personnes âgées doit changer.

1- Enquête santé et protection sociale, réalisée en 2000 par le Credes (devenu Irdes).

2- « Les pathologies des personnes âgées vivant en établissement », Drees, études et résultats n° 494, juin 2006.

3- Enquête IMS-Health de 2000, citée dans Gérontologie et société (cf. bibliographie).

4- Exemple cité dans Thérapeutique de la personne âgée.

5- Ce cours s'appuie sur la table ronde de Bichat « iatrogénie médicamenteuse chez le sujet âgé : le programme PMSA », et sur la conférence « risques iatrogéniques des médicaments cardiovasculaires chez le sujet âgé ». Et merci au Dr Desplanques-Leperre, de la HAS, pour sa relecture.

6- Exemples donnés dans l'article « Faut-il traiter toutes les maladies de la personne âgée ? », Thérapie.

7- Patrice Queneau, « La thérapeutique est aussi la science et l'art de "dé-prescrire" », La presse médicale, mai 2004, tome 33, n°9, cahier 1.

Une sous-évaluation

Les effets iatrogènes sont sans doute sous-évalués, car un nouveau symptôme n'est pas toujours facilement imputable à une iatrogénie et un accident est souvent mal recensé par les centres de pharmacovigilance. Les accidents médicamenteux sont deux fois plus fréquents après 65 ans. Et souvent plus graves, représentant 5 à 20 % des hospitalisations selon les études. En France, les effets indésirables sont la cause de 130 000 hospitalisations par an au total. Et un nouvel accident iatrogène peut survenir à l'hôpital...

Les sujets âgés peu présents dans les essais

Avant son Autorisation de mise sur le marché (AMM), un médicament doit être testé. Depuis 1993, les Agences recommandent de recruter des personnes âgées dans les essais. Mais selon nombre de gériatres, les sujets âgés polypathologiques et polymédiqués, qui peuvent pourtant être les bénéficiaires du futur traitement, sont en réalité absents ou peu présents. « Hormis les rares cas de produits qui leur sont spécifiquement destinés, les informations sur la tolérance des médicaments chez les sujets âgés sont très insuffisantes », notait en 2004 la revue Thérapie. Le constat n'a pas changé en 2010, selon l'un des auteurs de cet article. Délicat, alors, d'optimiser les doses et d'éviter d'éventuels effets iatrogènes. Les raisons de cette sous-représentation sont notamment méthodologique (comment démontrer l'efficacité d'un produit sur des sujets très hétérogènes ?) et éthique (comment obtenir le consentement d'un patient âgé ?). Un point positif, toutefois : le développement des études post-AMM en « vie réelle », comportant « un pourcentage notable de personnes âgées ».

33 pistes pour faire mieux

Dialogue avec les personnes âgées, ordonnance, prescription, communication entre professionnels, coordination ville/hôpital et conditionnements des médicaments : le groupe de travail Santé en action, qui fédère des professionnels du secteur privé, met en avant 33 propositions « pour prévenir les accidents médicamenteux évitables chez les personnes âgées ». Certaines de ces pistes figurent dans le cours ci-contre et toutes sont énumérées dans un récent article de La revue de gériatrie (tome 34, n° 8, octobre 2009).

Les symptômes d'une iatrogénie

Une iatrogénie médicamenteuse, pas toujours évidente à reconnaître, se manifeste sous de nombreuses formes, et pas forcément au niveau de l'organe visé par le traitement. Les médicaments cardiovasculaires, par exemple, ont pour effets indésirables l'hypotension artérielle, la déshydratation ou le malaise. Le patient peut aussi souffrir de troubles neuro-psychiques (altération de la vigilance et de l'équilibre, confusion), ou digestifs (nausées, vomissements, troubles du transit), d'amaigrissement... Peuvent donc faire penser à une possible iatrogénie une somnolence, des palpitations, une fatigue, une sensation de malaise ou d'étourdissement, des crampes ou douleurs musculaires, des éruptions cutanées, des saignements, une chute... Chaque année, 900 personnes de plus de 65 ans meurent des suites d'une chute liée à un médicament, et beaucoup souffrent d'une fracture du col du fémur. La iatrogénie peut aussi être liée à l'usage de matériel, telle une infection nosocomiale après une perfusion.

En savoir plus

> Livre blanc de la gériatrie française, coordonné par Marc Bonnel et Claude Jeandel, ESV production, 2004.

> Thérapeutique de la personne âgée, sous la direction de Jean Doucet, Maloine, 1998.

> Dossier « Médicaments et personnes âgées », Gérontologie et société, décembre 2002, n°103.

> Dossier sur la thérapeutique gériatrique dans Thérapie, mars-avril 2004, 59 (2).

> Le dossier de la HAS sur le sujet : http://www.has-sante.fr

> Articles sur le site de chercheurs http://argses.free.fr

> Documents en recherchant « personnes âgées » sur http://www.afssaps.sante.fr

> Le Dictionnaire médical à l'usage des IDE, aux éditions Lamarre (3e éd., 2009).

La canicule, un événement intercurrent

Combien des 14 000 morts de la canicule de 2003 auraient pu être évitées en révisant les doses de certains médicaments ? Jusque là, certains patients bénéficiaient d'un équilibre grâce à leur traitement, bien supporté. Mais le coup de chaud a entraîné déshydratation, fièvre et diarrhée. Et certains patients par exemple sous diurétique, vasodilatateur et bêta-bloquant, ont été victimes d'insuffisance rénale aiguë, d'hypercalémie, de grande bradycardie, et parfois de décès. La déshydratation joue un grand rôle dans la survenue des accidents iatrogènes du sujet âgé. En cas de canicule, la prescription de diurétiques ou de neuroleptiques peut être adaptée.

Non dangereux seulement par eux-mêmes, certains médicaments, recensés sur le site de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), pourraient toutefois « contribuer à l'aggravation des états pathologiques graves induits par la chaleur ». De même, certains médicaments pourraient « être responsables de la survenue ou de l'aggravation de symptômes liés au froid ».