Experte en plaies - L'Infirmière Magazine n° 257 du 01/02/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 257 du 01/02/2010

 

Andrée-Alice Allain

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Pour mettre en place la consultation « plaies » de son service, il a fallu surmonter quelques difficultés. Aujourd'hui, cette infirmière bénéficie d'une autonomie peu courante, entre soin infirmier et démarche médicale.

Le téléphone sonne. À son bureau, une praticienne en blouse blanche décroche : « Consultation vasculaire, Mme Allain. » Mme Allain, prénommée Andrée-Alice, 53 ans, est experte en plaies au CHU de Pontchaillou, à Rennes. Chaque mois, 230 patients passent par son bureau et les deux salles attenantes, l'une d'attente et l'autre d'examen, pour un bilan de retard de cicatrisation ou un suivi de plaies majoritairement vasculaires.

Il existe en France d'autres consultations « plaies » assurées par des infirmières, mais bien souvent en présence d'un médecin. Infirmière et chirurgien examinent ensemble le patient. Puis la première propose un dispositif médical, et le second « dispose ». À Pontchaillou, la première consultation se fait en principe avec le chirurgien. Ensuite, « dès qu'un malade est dans le circuit, je peux le voir sans médecin : je suis très souvent seule, raconte Andrée-Alice. Je décide de la conduite à tenir, du suivi de protocole, du rythme de consultation. » Elle a un regard sur la prescription.

« UNE LOGIQUE DES MOTS »

« Seule », elle ne l'est pas, en réalité. Elle passe beaucoup de temps au téléphone, avec les infirmières de ville ou d'autres institutions. En cas d'aggravation ou de nette amélioration, elle appelle l'équipe médicale, par exemple pour effectuer un doppler, prescrire un antibiotique, confirmer une décision. Elle connaît ses « limites », ce qui a pu rassurer d'éventuels collègues frileux vis-à-vis d'une grande autonomie infirmière...

« Je ne prends jamais une décision sans être sûre », souligne Andrée-Alice Allain. De même, elle exhorte ses consoeurs à « parler "médical". Médecins et chirurgiens ne sont jamais autant rassurés que quand on parle comme eux ! Une plaie, ça se décrit de façon médicale. Est-elle atone, fibrineuse... ? Présente-t-elle des signes infectieux ? Il y a une logique des mots. Dire que c'est "moche", "beau", ça ne parle pas. »

« PAS FACILE AU DÉPART »

Pour mettre en place cette consultation et surmonter les difficultés, il a donc fallu rassurer, instaurer la confiance. Et montrer et argumenter la nécessité de ce nouvel outil. D'abord, Andrée-Alice est sollicitée pour ses connaissances... en plus de ses huit heures de travail. A l'occasion de l'installation dans de nouveaux locaux, il y a cinq ans, des consultations sont instaurées par l'équipe. Il faut alors en déterminer le temps et les moyens. Inventer. « Au début, ce n'était pas facile, se souvient Andrée-Alice, je faisais tout toute seule, je prenais les rendez-vous, j'appelais le taxi... » L'infirmière se consacre uniquement à cette activité, en détachement, hormis des visites dans les services. Progressivement, le nombre de patients augmente. Un poste d'aide-soignant devrait être créé.

Pour installer une telle consultation, « il faut une volonté collective. Et tout le monde y gagne. » Le chirurgien Antoine Lucas le confirme. « Autrefois, on pouvait garder les malades à l'hôpital pour que le pansement arrive à maturité. Avec la diminution du nombre de lits et de la durée d'hospitalisation, on peut de moins en moins se le permettre. Le suivi en ville, ça va mieux après avoir été parfois difficile... Donc on prend en charge une partie du suivi en externalisant. » A ses yeux, l'autonomie d'Andrée-Alice s'explique aussi par son isolement, les chirurgiens étant très peu disponibles.

« UNE DÉMARCHE MÉDICALE »

D'autres facteurs s'avèrent plus individuels : l'expérience, le dynamisme, la propension à ne pas compter ses heures de travail ni de repos (pendant lesquels elle part en congrès ou assure des formations) et une passion de la plaie, cette « pathologie à part entière ». Une passion née chez Andrée-Alice lors de ses études, en stage en dermatologie. Le hic, c'est que les infirmières ont de peu de formations dans ce domaine. « La plaie ne s'inscrit pas encore dans les cultures infirmière et médicale, analyse Andrée-Alice. Très longtemps, les médecins ont confié les plaies à l'infirmière... qui n'y connaissait rien. Il n'y avait pas d'approche scientifique, ni de reconnaissance. » L'infirmière bretonne, elle, décide de se spécialiser. Comme cinq autres de ses consoeurs de Pontchaillou, elle décroche un Diplôme universitaire (DU) en plaies et cicatrisation. Une obtention qui accroît encore la confiance des chirurgiens à son égard.

Et qui lui apporte de nouvelles compétences pour mener à bien ses examens. « La prise en charge d'une plaie ne doit pas être réduite au choix du pansement, même si celui-ci est important. Ce choix, surtout en vasculaire, ne peut se décider sans une démarche clinique. » Etude de la cause de la plaie (étiologie), analyse de l'aspect de la plaie (sémiologie) et du pansement, interrogatoire du patient, examen clinique vasculaire... « Je suis un peu sortie du schéma classique de l'infirmière pour prendre une place réelle dans le domaine de la plaie, en ayant une démarche médicale », résume-t-elle.

« DU DIAGNOSTIC TOUT COURT »

S'agit-il d'un « diagnostic infirmier » ? « C'est une notion que je ne comprends pas, note Antoine Lucas. Andrée-Alice fait du diagnostic tout court. » Et pour les soins, elle a appris des gestes auprès des chirurgiens, telles les résections osseuse et tendineuse ou la détersion chirurgicale. « Plus on fait de gestes, plus on voit de patients, plus on est performant. » L'infirmière s'en amuse : « Certains médecins me disent : "Tu n'es plus infirmière mais tu n'es pas médecin !" » Aurait-elle, d'ailleurs, voulu être médecin ? « Pas du tout ! Je suis très bien comme ça ! »

Entre soin infirmier et pratique médicale, la praticienne partage en tout cas son expertise ailleurs que dans son exercice. A l'hôpital, elle s'investit dans le groupe « pansement », aux côtés d'autres IDE DU « plaies » et stomathérapeutes, d'un pharmacien, de médecins. Ce groupe a notamment réalisé un poster « Quel pansement pour quelle plaie ? », affiché dans le CHU. Y sont illustrés dix types de plaies, avec, adaptée à chacun, une recommandation de prise en charge.

Andrée-Alice Allain est par ailleurs vice-présidente de l'APCI 35, l'Association plaies et cicatrisations d'Ille-et-Vilaine (sur Internet à l'adresse http://www.apci35.org). Cette structure revendiquant 120 adhérents (cabinets infirmiers, médecins, pharmaciens, pédicures...) et dont Antoine Lucas est le secrétaire général organise des formations. Par exemple ces sessions sur les antalgique et la douleur, rapportées en septembre dans le cahier de formation de L'Infirmière magazine. À titre bénévole, toujours avec l'association, Andrée-Alice intervient dans le secteur privé, auprès de patients souffrant de plaies complexes.

« UN VIDE JURIDIQUE »

Patients diabétiques, artériopathes, dialysés, en gériatrie, hospitalisés d'urgence, en vasculaire (avec des plaies chroniques, plus dures à traiter)... Toute infirmière est amenée à prendre en charge une plaie ou des brûlures, des plaies traumatiques, des hématomes. Mais ce grand nombre de soins infirmiers n'empêche pas « un vide juridique », comme le remarque Andrée-Alice Allain.

Parmi les actes infirmiers, le Code de la santé publique évoque bien la réalisation de pansements et la prise en charge de plaies et d'ulcères, mais sans grande précision. La détersion mécanique n'y figure pas en toutes lettres. « Et elle est limitée pour les infirmières à 4 mm en France... contre 1,5 cm aux Etats-Unis. » Autre problème : « Le pansement ne figure pas dans la tarification à l'activité (T2A). Je le cote en AMI 4, comme une libérale. Ça ne donne pas un sou à l'hôpital. » La praticienne déplore donc « le flou statutaire » des pratiques similaires à la sienne, comme, par ailleurs, la non- reconnaissance de la recherche infirmière.

Montrer qu'une consultation infirmière peut fonctionner, servir éventuellement d'exemple, telles sont les raisons qui ont poussé Andrée-Alice à accepter de témoigner ici de sa pratique.

moments clés

- 1976 : stage de huit semaines en dermatologie pendant ses études d'infirmière.

- 1978 : diplôme d'état d'infirmière et recrutement au CHU de Rennes, d'abord en gériatrie et médecine interne (diabétologie).

- 2003 : diplôme d'université en plaies et cicatrisation à Paris-VII.

- 2004 : mise en place d'un poste de consultation « plaies » au sein du département cardio- thoracique et vasculaire du CHRU de Rennes.

- 2005 : co-fondatrice de l'Association plaies et cicatrisations d'Ille-et-Vilaine.

- 2009 : les 1res « Journées armoricaines plaies et cicatrisation » de l'APCI 35 réunissent 600 personnes. 2e édition prévue en septembre 2010 (date à confirmer).