Polémique autour des annuaires de soignants de couleur - L'Infirmière Libérale Magazine n° 373 du 01/09/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 373 du 01/09/2020

 

COMMUNAUTARISME

ACTUALITÉ

Anne-Lise Favier  

La création d’annuaires de professionnels de santé de couleur suscite des réactions et nourrit la polémique. Les Ordres des médecins et des infirmiers se sont fendus d’un communiqué commun pour condamner cette initiative.

C’EST UNE PETITE ANNONCE PUBLIÉE SUR TWITTER (AUJOURD’HUI SUPPRIMÉE) QUI A FAITBONDIRLALIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET L’ANTISÉMITISME (LICRA) : « Nous recherchons une infirmière à domicile #IDEL racisée pour des soins à domicile, dans le 13e arrondissement de Paris. N’hésitez pas à diffuser cette annonce. Merci beaucoup #soignantnoir. » Pour la Licra, c’est la folie identitaire qui conduit à vouloir choisir un médecin ou une infirmière en fonction de sa couleur de peau. Pour les défenseurs de cette pratique, c’est l’occasion de trouver un soignant sensibilisé aux particularités de certaines populations : « Où est le problème, s’il est en mesure de répondre à nos problèmes de santé spécifiques ? » D’autres témoignages font état de remarques racistes de la part de certains médecins, justifiant le recours à des praticiens de couleur : « J’ai subi un acte médical qui pouvait se faire sous anesthésie, mais on m’a dit “vous les Noirs, vous supportez bien la douleur” », témoigne Ramatoulaye. Marie-Reine, de son côté, explique avoir consulté un dermatologue qui lui a rétorqué que, « de toutes façons, les peaux noires, c’est toujours difficile à traiter ».

Racistes, les professionnels de santé ? Une assertion qui a fait bondir les Ordres professionnels, des médecins (Cnom) et des infirmiers (Cnoi), qui ont rédigé un communiqué commun « condamnant fermement la constitution d’annuaires de professionnels de santé communautaires ». Dans ce texte, Cnom et Cnoi s’élèvent contre cette initiative, « qui va à l’encontre des principes fondamentaux de nos professions, mais aussi de notre République. Engagés au service de la population, les professionnels de santé ont prêté serment pour soigner avec le même dévouement quelles que soient les origines, la couleur de peau, la situation sociale ou les orientations religieuses, philosophiques ou sexuelles de leurs patients ».

Affronter la question du racisme en santé

Les Ordres professionnels s’insurgent par ailleurs que de telles accusations soient portées à l’encontre des soignants et ne peuvent accepter que « la santé soit soumise aux sirènes du communautarisme et de la division ». Une communication qui en a fait réagir plus d’un : « Plutôt que de s’attaquer à la racine du problème, le racisme parmi les professionnels de santé, les Ordres préfèrent condamner ceux qui essayent d’aider les personnes qui ont souffert de discrimination », estime Aïda. « Si ces listes de soignants racisés existent, c’est que le besoin est là, c’est la triste réalité. Encore aujourd’hui, il est parfois difficile d’avoir accès à un médecin qui ne fera pas de remarque connotée sur l’origine, la religion ou les orientations sexuelles d’un patient », explique-t-elle en rappelant que lors de l’explosion des cas de Sida, dans les années 1980, les patients homosexuels s’échangeaient aussi des listes de médecins “gayfriendly”.

Des préjugés à la peau dure

Pour le Syndicat des jeunes médecins généralistes (SNJMG), « le racisme en santé n’est pas un débat, mais une réalité scientifique documentée ». Et de citer diverses études dont Trajectoires et origines, réalisée en 2012, qui révèle un taux de réponses positives trois fois plus élevé chez les personnes d’origine subsaharienne à la question « vous est-il déjà arrivé que du personnel médical ou un médecin vous traite moins bien que les autres ? ». De même, citant l’étude Hommes et migrations de 2012, le SNJMG souligne que « la plupart des praticiens sont porteurs de préjugés qu’ils héritent des représentations ethniques qui imprègnent la société française dans une histoire et une actualité qui construisent des “eux” et des “nous”. De ces préjugés découlent des façons de faire différentes avec les patients qu’ils catégorisent comme “Africains” ».

Le débat est loin d’être clos entre ceux qui s’insurgent contre ces pratiques et ceux qui les soutiennent pour échapper à la discrimination, voire à une prise en charge inadaptée. Ainsi, le ministre de la Santé pourrait être saisi par les Ordres professionnels qui souhaitent mettre fin à ces initiatives contraires aux principes de leurs professions et du droit. De leur côté, certains groupes communautaires continueront sans doute de s’échanger sous le manteau des listes de praticiens « racisés », selon leur propre terme.

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