Exercer en centre de santé - L'Infirmière Libérale Magazine n° 373 du 01/09/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 373 du 01/09/2020

 

ENTRE HÔPITAL ET LIBÉRAL

DOSSIER

Véronique Hunsinger  

Depuis quelques années, les centres de santé connaissent un regain d’intérêt, d’autant qu’ils ont réussi à trouver un nouvel équilibre financier. Les infirmières qui y exercent ne font pas ou très peu de soins à domicile, qui sont pourtant au cœur de l’exercice des Idels. Mais les centres de santé leur offrent l’occasion d’exercer d’autres missions de la profession d’infirmière, pour le moment encore un peu complexes à mettre en place en libéral : pratique avancée, éducation thérapeutique, consultation infirmière en amont de celle du médecin, etc.

Aujourd’hui, les centres de santé n’ont aucune difficulté à recruter des infirmières, preuve de l’intérêt de la profession pour cet exercice, perçu comme à mi-chemin entre l’hôpital et le libéral. Dans les centres gérés par des municipalités ou des conseils départementaux, les infirmières peuvent venir travailler en détachement ou en mutation de l’hôpital public, ce qui peut être l’occasion de tâter le terrain de l’exercice en ville, même si celui-ci reste assez différent des soins à domicile classiques majoritairement pratiqués par les Idels. Néanmoins, les deux mondes sont de moins en moins étanches. Traditionnellement, deux types de structures attirent les infirmières : les centres de santé polyvalents, où elles travaillent avec des médecins et qui sont surtout présents dans les grandes villes et les banlieues (en particulier et historiquement en région parisienne), et les centres de santé infirmiers, plutôt implantés dans les zones rurales ou semi-rurales où les infirmières pratiquent beaucoup de soins à domicile et sont amenées à intervenir dans les Ehpad.

Des parcours professionnels variés

« Depuis deux ans, nous sommes de plus en plus souvent contactés par des centres de santé infirmiers qui nous demandent de les aider à se médicaliser, constate pour sa part le Dr Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS). En particulier dans les régions de déserts médicaux, proposer des postes de praticien salarié est un moyen de faire venir plus facilement les jeunes médecins généralistes. » De leur côté, des Idels, lassées des contraintes de l’exercice libéral, postulent quelquefois dans des centres de santé infirmiers ou polyvalents, mais l’inverse est également vrai. « Toutes les situations sont possibles, il n’y a pas de parcours types, confirme le Dr Colombani. Les histoires de vie et les envies professionnelles déterminent aussi bien les choix. » Fini les temps où les centres de santé étaient connotés idéologiquement - beaucoup, notamment en banlieue parisienne, avaient été créés par des mairies communistes - et mal vus du secteur libéral. « Il y a aussi des centres de santé polyvalents qui, s’ils n’ont pas d’infirmières salariées, n’hésitent pas à passer des conventions avec des Idels, par exemple pour des vacations de vaccination ou des prélèvements, observe en outre la présidente de la FNCS. Et à l’opposé, certaines maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), sans Idel dans leur équipe, passent parfois des partenariats avec des centres de santé infirmiers. »

Un salaire fixe et des patients en commun

La différence de taille qui demeure entre les maisons et les centres de santé, c’est évidemment le mode de rémunération des professionnels qui y exercent. Faute de paiement à l’acte, les infirmières des centres de santé ne réalisent quasiment pas de soins à domicile. En revanche, comme il n’est pas nécessaire de les payer à l’acte pour leurs interventions puisqu’elles perçoivent, comme les médecins, un salaire fixe, il est beaucoup plus simple de mettre en place, au sein de ces centres, des interventions conjointes entre les différents professionnels. En effet, c’est la structure et non les individus qui sont rémunérés par l’Assurance maladie. Le Dr Colombani, par exemple, est médecin généraliste et elle rédige régulièrement des certificats médicaux pour ses patients qui pratiquent la plongée. La rédaction de ce certificat nécessite la réalisation d’un électrocardiogramme. Au centre, elle peut demander à l’infirmière d’effec tuer l’examen. En ville, ses confrères doivent reverser une partie des honoraires pour cet acte au professionnel qui fait l’ECG, ce qui est forcément plus compliqué au quotidien. « Le salariat facilite vraiment les choses, car lorsqu’un protocole ou une action est mis en place, on n’a pas besoin de réfléchir à qui doit être rémunéré pour quo », relève le Dr Colombani. « Dans un centre de santé, on peut plus facilement engager des actions de coordination entre les professionnels, car nous avons la capacité d’échanger en temps réel autour des patients que nous traitons en commun, ce qui permet de faire face plus efficacement aux situations pathologiques complexes et aux difficultés liées à une potentielle vulnérabilité sociale », confirme le Dr Éric May, président de l’Union syndicale des médecins des centres de santé (USMCS).

La consultation infirmière confortée

De plus en plus de centres mettent effectivement en œuvre, pour les demandes de soins non programmés, des préconsultations infirmières, un peu comme ce qui se pratique depuis longtemps en Grande-Bretagne ou en Catalogne. « C’est une vraie consultation que les infirmières apprécient de réaliser, car cela leur permet de conforter leur pratique clinique, estime la présidente de la FNCS. Pour le médecin qui voit ensuite le patient si nécessaire, c’est beaucoup plus confor table et il peut assurer davantage de consultations. » Pour autant, il ne s’agit pas encore d’un protocole formalisé de délégation de tâches, car le médecin reste prescripteur et garde un œil sur la consultation des infirmières. Mais ces dernières peuvent, généralement à leur initiative, effectuer notamment des tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) en cas de suspicion d’angine, avant d’adresser le patient au généraliste du centre. Elles fournissent aussi des conseils de bonnes pratiques d’hygiène aux patients, par exemple pour le lavage de nez chez les nourrissons. De plus, les infirmières sont généralement impliquées au sein des centres de santé dans des actions de prévention et d’éducation thérapeutique. Autant d’actes qui seraient difficiles à réaliser en libéral faute d’une cotation ad hoc.

À l’interface entre hôpital et la médecine de ville

Toutefois, le modèle économique des centres de santé reste précaire, même si la dernière convention avec l’Assurance maladie a enfin permis de le consolider. De plus, les récents accords conventionnels des médecins généralistes, des Idels et des chirurgiens-dentistes libéraux ont également été transposés aux centres de santé, ou sont en voie de l’être, afin de leur assurer une égalité de traitement. C’est notamment le cas des financements à la structure. Les centres s’intègrent aussi, sans trop de difficultés, dans les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui sont en train de se monter dans toute la France. En outre, c’est dans les centres de santé que les premières infirmières en pratique avancée (IPA) de ville ont pu faire leurs armes, grâce là encore au salariat, avant qu’un mode de financement ait été trouvé pour les libérales. « Les IPA sont vraiment la pièce manquante dans notre système de soins, se réjouit le Dr Éric May. Elles vont pouvoir prendre une place très intéressante dans les soins non programmés. Elles vont aussi nous permettre d’améliorer le suivi des patients chroniques, en faisant le lien entre l’hôpital, les médecins spécialistes et les médecins traitants. »

Enfin, les centres de santé participent aux expérimentations de type “article 51”, lancées en 2018 par l’Assurance maladie et le ministère de la Santé pour tester de nouveaux modes d’organisation dérogeant à la réglementation actuelle. Ainsi, une douzaine d’entre eux sont partie prenante de l’expérimentation Peps, pour “paiement en équipe de professionnels de santé en ville”, qui a débuté en juillet 2019. Les professionnels de ces structures y sont rémunérés au forfait, soit sur l’ensemble de la patientèle “médecin traitant” de la structure, soit sur les patients de plus de 65 ans, soit sur la file active de patients diabétiques. « Nous verrons si ce nouveau mode de financement est bénéfique pour nous sur le plan économique, et surtout s’il peut nous permettre de mettre en place plus facilement de nouvelles actions », explique le Dr May, qui exerce dans le centre de santé de Malakoff au sud de Paris, et fait partie des expérimentateurs. Les premiers résultats sont attendus d’ici à quatre ans. Si une telle formule de rémunération à la capitation venait à se développer dans les centres comme dans les maisons de santé, les deux modèles continueraient de se rapprocher

CARTE D’IDENTITÉ DES CENTRES DE SANTÉ

En 2017, 101 centres médicaux pour 471 centres infirmiers et 658 centres dentaires ont été recensés dans l’état des lieux établi par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la Santé. Un gros tiers des centres de santé médicaux sont associatifs, un peu moins de 30 % sont gérés par des collectivités territoriales, environ 10 % par des mutuelles ou des institutions de prévoyance et autant par un organisme de Sécurité sociale. À près de 90 %, ils sont implantés dans des zones urbaines et les régions les plus couvertes sont l’Île-de-France, le Nord, les Pays-de-la-Loire et Rhône-Alpes-Auvergne.

Martine Vambana, infirmière coordinatrice au centre de santé municipal Maurice-Thorez de Nanterre

« L’organisation d’actions spécifiques est facilitée »

Dans une précédente vie, Martine Vambana était cadre de santé à l’hôpital, mais la pratique des soins infirmiers lui manquait cruellement. L’ouverture, en 2011, d’un poste d’infirmière coordinatrice au centre de santé de Nanterre à l’ouest de Paris, qui est lui-même réparti sur trois sites, a su combler ses attentes. « Nous sommes six infirmières, décrit-elle. Nous ne faisons aucun soin à domicile, mais outre les injections, les prélèvements et les pansements, nous réalisons un certain nombre d’interventions que nous pourrions difficilement mettre en place en libéral. » Les infirmières animent en effet des ateliers d’éducation thérapeutique sur des sujets comme l’asthme ou le diabète. Le centre de santé est par ailleurs un Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (Cegidd). Les infirmières y consacrent quatre demi-journées par semaine sur place, ainsi qu’au sein de l’université de Nanterre voisine. En outre, elles apprennent aux patients à se servir des appareils de mesure ambulatoire de la pression artérielle (Mapa) qui leur sont prêtés. Martine Vambana a également mis en œuvre un dispositif pour réaliser des saignées chez les patients atteints d’hémochromatose, seul traitement disponible pour cette maladie génétique rare. « Il y a peu d’endroits pour les faire, car les hôpitaux se désengagent de cet acte et les Idels sont réticentes à le pratiquer à domicile, ce qui est compréhensible, car il faut garder le patient sous surveillance après la saignée, explique-t-elle. J’ai donc mis sur pied une formation pour les infirmières du centre et nous avons réfléchi à une organisation qui sera effective à la rentrée. » Cette prise en charge aurait dû débuter en mars dernier, avant que l’épidémie de Covid-19 ne suspende le projet. Le nouveau coronavirus a évidemment, comme partout, bousculé le travail du centre. Mais son poste d’infirmière coordinatrice a permis à Martine Vambana de mettre rapidement en place un centre de consultation dédié à l’infection au sein du centre, puis par la suite un espace pour les prélèvements.

CENTRE DE SANTÉ À ROMAINVILLE : UNE OFFRE DE SOINS RICHE

C’est un bâtiment élégant et fonctionnel situé à Romainville, une commune populaire au nord-est de Paris, qui abrite le centre de santé municipal Louise-Michel. Inauguré il y a cinq ans, l’offre de soins y est particulièrement développée : consultations de médecine générale et spécialisée, centre dentaire, kinésithérapie, vaccination, centre de planification et d’éducation familiale, consultation de psycho-traumatologie, etc. Au rez-de-chaussée, l’infirmerie occupe plusieurs pièces en enfilade : le bureau des infirmières et les salles de soins, de prélèvement et de stérilisation s’articulent autour d’une salle d’attente dédiée. Fabienne et Claire sont deux des trois infirmières du centre, l’une depuis trois mois, l’autre depuis dix ans. « Auparavant, j’avais travaillé dans une clinique, mais je trouvais que la rentabilité des soins y était trop prépondérante, raconte la première. En centre de santé, au-delà des soins infirmiers, on peut participer à d’autres missions. » La seconde exerçait avant comme infirmière scolaire et avait envie de « revenir aux soins ».

Depuis peu, le centre réalise des interruptions volontaires de grossesse (IVG) par aspiration, sous anesthésie locale, auxquelles participent les infirmières, notamment pour l’accueil des patientes et l’organisation du rendez-vous de suivi. Elles sont également très impliquées dans de multiples actions de prévention, dont la vaccination. « Nous participons aussi au dépistage des maladies rénales et du diabète, en lien avec le Réseau de néphrologie d’Île-de-France (Rénif), qui se déroulent sous la forme de quatre demi-journées réparties entre mars et juin », raconte Fabienne. Les patients y viennent sans rendez-vous et les infirmières s’occupent de la première partie de la prise en charge (questionnaire, prise de tension, mesure du poids et de la taille, bandelette urinaire et dextro) avant de les renvoyer vers le médecin ou la diététicienne lorsque c’est nécessaire. « Un dépistage par les infirmières des troubles du langage chez les enfants de 4 ans est également organisé sur rendez-vous au centre, souligne Claire. Nous avons été formées par un pédiatre pour effectuer ces tests, qui durent environ un quart d’heure. » Les infirmières peuvent en outre être amenées à recevoir les patients qui se présentent à l’accueil pour des soins non programmés, afin d’évaluer l’urgence de la situation et de les adresser aux médecins, le cas échéant, sur leurs différents créneaux sans rendez-vous. « Dans un centre de santé, le relationnel avec les patients est très important, décrivent Claire et Fabienne. Ce sont souvent des personnes que nous connaissons depuis longtemps et avec qui nous avons établi une vraie relation de confiance. » Nombreuses sont celles qui ont besoin d’une assistance pour dénouer des situations administratives compliquées. « C’est plus facile pour elles de s’adresser à nous que de demander de l’aide à une assistante sociale qu’elles ne connaissent pas, ajoutent les infirmières du centre. Cela fait partie de notre travail. » Mais pour le coup, c’est une mission qu’endossent aussi régulièrement les Idels.

Mathilde Charpigny, infirmière en pratique avancée au centre de santé municipal de Saint-Denis

« La pratique avancée est une plus-value pour tout type de patients »

Officiellement diplômée depuis un an de l’université Paris-Diderot, Mathilde Charpigny occupe désormais le poste d’infirmière en pratique avancée (IPA) au centre de santé municipal de Saint-Denis, au nord de Paris, où elle est infirmière depuis 2007 et infirmière Asalée depuis 2017, après l’obtention d’un master en santé publique “parcours évaluation des soins/sciences infirmières en gériatrie” dans la même université. « Je travaille désormais presque exclusivement en consultations, il me reste quatre heures par semaine de soins infirmiers classiques », raconte celle qui a toujours voulu rejoindre un centre de santé pour « pouvoir exercer en pluridisciplinarité dans un lieu qui accueille tous les types de patients ». Pour le moment, ces consultations de pratique avancée ne sont pas encore prises en charge par la Sécurité sociale, mais cela devrait être le cas d’ici à la fin de l’année, lorsque la convention des centres de santé sera complétée d’un nouvel avenant. « Ce sont des consultations gratuites pour les patients et la municipalité a considéré, au vu de la plus-value apportée, qu’il était intéressant de les proposer sans attendre le financement de l’Assurance maladie », indique-t-elle. Son salaire n’a pas non plus été revalorisé. Même si elle attend cette reconnaissance de ses compétences, la première motivation est ailleurs. « Les patients me sont adressés par le médecin traitant et nous avons un dossier partagé ensemble, explique-t-elle. Ce sont des consultations qui durent environ une heure. Je commence par faire le point avec le patient sur sa santé et sur ses objectifs. Certains ont besoin d’un suivi très régulier, d’autres de séances d’éducation thérapeutique ou d’une aide à l’observance des traitements. » Les maladies rencontrées sont variées : diabète, troubles cardiovasculaires, asthme, bronchopneumopathie chronique obstructive, etc. « Il n’y a pas de rythme défini pour les consultations, qui sont réparties selon les besoins, ajoute Mathilde Charpigny. J’ai un temps d’échange une fois par mois avec chaque médecin pour parler des patients de notre file active commune et discuter des stratégies à mettre en place pour chacun d’eux. » Généralement, les patients la connaissaient déjà avant d’être pris en charge en pratique avancée. « Les gens savent que, dans un centre de santé, les médecins et les infirmières travaillent ensemble, commente l’IPA. Ils n’ont donc pas de réticences à être vus en consultation par moi et sont contents de cette prise en charge complémentaire. »

info +

Le 60e congrès national des centres de santé, qui se tiendra les 15 et 16 octobre 2020 à Paris, dans le 7e arrondissement, aura pour thème « Reconstruire le système de santé ».