Tester, tracer, isoler : les infirmières en bout de chaîne - L'Infirmière Libérale Magazine n° 371 du 01/07/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 371 du 01/07/2020

 

CRISE SANITAIRE

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Véronique Hunsinger  

Pendant la phase de déconfinement, les pouvoirs publics ont mis en place des outils pour dépister massivement les cas contacts de patients atteints de Covid-19. Un dispositif de traçage dans lequel les infirmières libérales auraient aimé jouer un rôle plus important que la seule réalisation des prélèvements.

Testez, testez, testez. » Dès l’émergence du nouveau coronavirus Sars-CoV-2, identifié en janvier 2020, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, n’a eu de cesse de le marteler. Manquant de réactifs et d’écouvillons, la France n’a pu que très tardivement mettre en place cette recommandation de l’OMS. C’est au troisième jour du déconfinement, le 13 mai dernier, que le dispositif “Contact Covid” est enfin entré en phase opérationnelle, non sans avoir auparavant suscité quelques réserves au sein du monde de la santé. « L’enregistrement des données médicales doit être alimenté par le médecin et il ne doit pas y avoir de croisement possible des données avec un autre fichier de santé, avait notamment mis en garde le Conseil de l’Ordre des médecins. L’anonymat doit être garanti pour l’enregistrement des données et la conservation de celles-ci doit être limitée dans le temps. »

Duel sur le champ sanitaire

En coulisses, une lutte d’influence s’est jouée entre l’Assurance maladie et les Agences régionales de santé (ARS) pour savoir qui dirigerait ces “brigades sanitaires” chargées d’identifier les personnes entrées en contact avec des malades, afin de leur proposer test et mesures d’isolement, et dont la mise en place avait été fortement recommandée par le conseil scientifique chargé de guider le gouvernement dans la lutte contre l’infection au nouveau coronavirus.

C’est la première qui a gagné. « Même si c’est un dispositif d’une ampleur inédite, Contact Covid s’appuie néanmoins sur les fondamentaux de la lutte contre les maladies infectieuses », a fait valoir le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), Nicolas Revel, lors d’une visioconférence organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis). Il faisait notamment référence au système de déclaration obligatoire qui existe pour 34 de ces maladies, dont la méningite, le tétanos, la dengue ou encore le chikungunya. Pour autant, l’infection au Sars-CoV-2 n’est pas devenue la 35e maladie de cette liste, même s’il s’agit bien d’enregistrer tous les cas positifs de Covid-19 après des tests de laboratoire sur la plate-forme sécurisée SI-DEP (système d’information de dépistage). « La démarche qui consiste à remontrer les chaînes de contamination et à contacter les personnes pour les mettre sous une mesure de protection est quelque chose d’habituel », rappelle Nicolas Revel. C’est notamment le cas lorsqu’un enfant déclare une méningite et que ses camarades d’école sont placés sous une antibiothérapie préventive.

Les Idels sur la touche

Dans le cas de l’épidémie de Covid-19, le médecin généraliste est le chef d’orchestre du dispositif qui a mis de côté les Idels. « Les infirmières ne sont effectivement pas amenées à jouer un rôle au niveau du socle de Contact Covid puisque c’est le médecin qui prescrit le test et ensuite, lors de diagnostic positif, amorce la recherche des cas contacts, reconnaît Nicolas Revel. À ce stade, par son champ de compétences, l’Idel ne peut pas intervenir. En revanche, audelà du suivi des malades, qu’elles réalisent déjà depuis le début de l’épidémie, les infirmières ont un rôle très important à jouer pour effectuer les prélèvements. » Une négociation avec les syndicats d’infirmières libérales et de médecins biologistes a effectivement eu lieu en mai. « Nous avons voulu valoriser le fait que les Idels participent à cette activité de prélèvement, que ce soit entre les murs des laboratoires, au domicile ou dans des centres dédiés sous la forme de drives », explique Nicolas Revel (lire l’encadré). Impossible, pour l’heure, de savoir précisément combien d’Idels ont apporté leur renfort aux laboratoires de biologie médicale.

« C’est un acte assez technique et nous avions besoin du concours des infirmières pour nous aider à réaliser les prélèvements, notamment dans les Ehpad et au domicile des patients qui peuvent difficilement se déplacer, commente le Dr François Blanchecotte, président du Syndicat des biologistes. Sur le terrain, nous avons organisé des rencontres dans les laboratoires avec les Idels volontaires, notamment pour leur montrer les informations dont nous avons besoin pour faire remonter les renseignements sur la plateforme SI-DEP. » Les laboratoires mettent les équipements de protection individuelle (EPI) à la disposition des Idels et des fiches techniques sont partagées. « Nous avons mis en place une doctrine de prélèvement qui a reçu l’appui du Syndicat des biologistes, qui l’a diffusée à ses adhérents, raconte Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Ensuite, il y a eu des contacts entre les professionnels infirmiers et biologistes au niveau de bassins de vie pour s’organiser selon les besoins locaux. Dans tous les cas, nous préconisons de façon préférentielle une organisation sous la forme d’une permanence dédiée, avec une mutualisation du matériel, pour éviter les chaînes de contamination et économiser les EPI. » Dans ces cas, la cotation est inférieure à celle du prélèvement à domicile. « Cela a pu provoquer un peu d’émotion au départ, mais la productivité n’est évidemment pas là, même lorsqu’on réalise des prélèvements à la chaîne », justifie Daniel Guillerm. « Beaucoup de dispositifs de dépistage se sont appuyés sur les équipes pluriprofessionnelles qui s’étaient organisées pour prendre en charge les patients atteints de Covid-19 pendant le pic épidémique, constate Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmiers et infirmières libérales (Sniil). Au cours des premières semaines, les prélèvements étaient effectués dans des centres dédiés, puis ces structures ont lentement fermé à mesure que l’épidémie a commencé à refluer. Désormais, ils sont surtout réalisés en laboratoire. »

Après la (première) bataille

Arrivé à maturation à la fin du mois de mai en même temps que l’épidémie était en phase nette de reflux, le dispositif Contact Covid n’a pas donné lieu à autant de tests que prévu. Le ministère de la Santé tablait en effet sur 700 000 tests chaque semaine. En visite dans un centre de dépistage à Argenteuil (Val-d’Oise), début juin, le ministre de la Santé, Olivier Véran, l’avait expliqué : « Nous ne faisons pas le nombre de tests attendu, car le virus circule très peu. Il y a une centaine de diagnostics effectués chaque jour, mais avec moins de 2 % de résultats positifs, nous ne sommes pas à saturation. »

Quant à l’application mobile Stop-Covid, elle est arrivée presque après la bataille. Après un débat parlementaire fin mai et quelques vicissitudes techniques, l’appli était disponible sur les stores le 2 juin et téléchargée un million de fois une semaine plus tard. Ce qui reste néanmoins encore insuffisant pour la rendre efficace. Il n’en demeure pas moins que ces dispositifs pourraient se révéler bien utiles en cas de deuxième vague épidémique, à l’automne.

Le Trod Covid en ligne de mire

De leur côté, si les Idels ont effectivement été intégrées au dispositif de dépistage de masse “en bout de chaîne”, beaucoup auraient aimé avoir un rôle plus important. « Nous l’avons proposé, car on avait une carte à jouer, regrette Catherine Kirnidis. On aurait pu imaginer, par exemple, qu’en cas de résultat positif chez une personne testée à domicile, nous puissions dépister l’entourage familial. »

Pour sa part, l’Ordre des infirmiers avait réalisé, au printemps, une consultation de la profession au sujet des enjeux sanitaires de la crise épidémique, à laquelle 70 000 professionnels avaient répondu. « Les infirmiers souhaitent aussi pouvoir prescrire et réaliser les tests de dépistage du coronavirus, ce qui nous semble nécessaire pour déployer une stratégie de dépistage à grande échelle », soulignait Patrick Chamboredon, président de l’Ordre à la mi-avril. Cette idée, plébiscitée par les deux tiers des personnes interrogées, avait d’ailleurs été portée par plusieurs députés sous la forme d’une proposition d’amendement à la loi sur la prolongation de l’état d’urgence sanitaire… mais sans succès. « Pour déployer une stratégie de dépistage du plus grand nombre, il nous semble pourtant essentiel de s’appuyer sur la première profession de santé par le nombre », avait argumenté l’Ordre.

La Haute autorité de santé a également donné son feu vert, fin mai, à l’utilisation de tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) pour dépister la Covid-19. « Il serait totalement logique que les Idels, qui vont chaque jour au domicile des patients, puissent être autorisées à réaliser les Trod, a également plaidé la FNI. Pour ce type d’acte, la prescription médicale n’est pas nécessaire. » Là encore, l’implication des Idels dans de nouvelles formes de dépistage pourrait se révéler extrêmement bénéfique dans le cadre d’un rebond de l’épidémie, en particulier pour protéger les personnes les plus fragiles au sein de la population.

DES COTATIONS SPÉCIFIQUES

L’Assurance maladie et les syndicats d’infirmiers libéraux ont négocié les cotations spécifiques suivantes pour le prélèvement nasopharyngé :

- s’il est réalisé seul à domicile : AMI 4,2 (pris en charge à 100 % depuis le 5 mai 2020) ;

- s’il est réalisé en association avec une séance de soins Covid-19 à domicile : AMI 1,5 + AMI 5,8 + MCI ;

- s’il est réalisé lors d’un accompagnement à la téléconsultation dans un lieu dédié : AMI 1,5 + TLL (pris en charge à 100 % depuis le 20 mars) ;

- s’il est réalisé en laboratoire : AMI 3,1 (pris en charge à 100 % depuis le 5 mai) ;

- s’il est réalisé en dehors du domicile ou d’un laboratoire, ou à domicile mais en association avec un acte autre que la séance de surveillance Covid-19, le prélèvement nasopharyngé se cote en AMI 1, le prélèvement sanguin en AMI 1,5 et leur facturation se fait selon les règles habituelles décrites dans la NGAP.