Les soins primaires sont-ils en péril ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 370 du 01/06/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 370 du 01/06/2020

 

POINT(S) DE VUE

DÉBAT

Sandrine Lana  

En ville comme à l’hôpital, les professionnels de santé redoutent une discontinuité dans les soins généraux depuis la survenue de l’épidémie de Covid-19 et le confinement. Pour y remédier, il faudra faire preuve de coordination et d’inventivité…

Les consultations sont-elles vraiment en recul depuis le confinement et une autre crise sanitaire est-elle à craindre, après celle du coronavirus ?

Caroline de Pauw : C’est indéniable, après plusieurs semaines de confinement, le constat ne change pas. Les chiffres de l’Assurance maladie montrent, dans les Hauts-de-France, une baisse de 50 % des activités pour les professionnels de santé, dont les paramédicaux. Les patients n’ont pourtant pas disparu. Nos inquiétudes portent sur leur capacité à repérer leurs propres symptômes et sur le degré d’urgence qu’ils y associent. Les urgences, hormis celles liées au coronavirus, ne sont pas traitées, car elles ne sont pas identifiées comme telles. Nous redoutons une perte de chances et une aggravation des inégalités sociales en matière de santé : ceux qui ont une culture moindre en santé repéreront moins facilement les signes, appelleront moins rapidement à l’aide ou ne s’autoriseront pas à “embêter” les soignants.

Sophie Chrétien : Nous avons été alertés par des infirmières en pratique avancée, libérales et hospitalières. À l’hôpital Bichat où je travaille, qui s’est progressivement transformé pour accueillir des patients atteints de Covid-19, la question des prises en charge en soins palliatifs (cancer, insuffisance d’organes) a été soulevée, car les besoins n’ont pas diminué. Par semaine, j’ai l’habitude de suivre vingt-cinq patients, avec un renouvellement de la file active de dix personnes. Or avec la prise en charge des patients infectés par le coronavirus, les demandes de suivi ont cessé. En ville, certains réseaux de soins palliatifs ne se rendent plus à domicile pour limiter la contamination des patients âgés. D’autres se sont transformés en réseaux de soins Covid-19 et ne suivent plus les autres patients. À l’Anfipa, nous nous sommes rendu compte que c’était la même chose en psychiatrie ou dans les communautés professionnelles territoriales de santé : les patients ont peur de venir. Cela peut perdurer après la crise actuelle. Il y a un vrai risque, car les affections à peu près stabilisées peuvent devenir aiguës et conduire à des hospitalisations, alors qu’en temps normal, cela n’aurait pas été le cas. Le risque de surmortalité est aussi bien réel.

Quels sont les patients concernés ?

S. C : Le problème se pose pour les diabétiques et les patients suivis en cancérologie, notamment pour les chimiothérapies orales. Comme les enfants ou les proches des patients ne passent plus les voir, ils ne donnent plus de nouvelles, sauf lorsque c’est très grave, et là c’est l’infirmière d’annonce qui alerte. Certaines personnes n’osent pas aller faire des examens complémentaires et cela pose des problèmes pour le renouvellement des prescriptions. Aux urgences, c’est aussi l’étonnement d’avoir beaucoup moins de monde que d’habitude.

C. de P. : Après deux mois de confinement et un premier renouvellement des ordonnances par les pharmaciens, les médecins commencent à vouloir revoir leurs patients atteints de maladies chroniques pour vérifier l’équilibrage des traitements, voire pour les ajuster. Les affections aiguës restent également de côté, c’est la grande inconnue. Par exemple, selon le 15, des enfants arrivent aux urgences avec une appendicite au stade de la péritonite et les soignants voient les cas d’infarctus quatre jours après leur survenue… En outre, étant donné que certains signes dermato – logiques ou ORL du coronavirus sont peu connus, des personnes positives se présentent à des stades avancés de la maladie. Psychologiquement, la décompensation touche aussi ceux qui ne supportent plus le confinement, notamment les enfants en situation de handicap d’habitude hébergés en institution. Les problèmes de santé mentale peuvent aujourd’hui survenir sur d’autres terrains pathologiques.

Comment agir en faveur de la continuité des soins pour tous ?

C. de P. : Les patients voient aux informations télévisées des services de réanimation saturés à l’hôpital et ne veulent surtout pas déranger. En ville, ils sont peu nombreux à consulter. Il faut parvenir à nous rendre disponibles pour prendre le temps de discuter. Déjà, nous constatons un renforcement de la coordination existante entre le médecin et un binôme infirmier libéral. À eux deux, ils peuvent effectuer des passages plus réguliers et pertinents pour rassurer les patients. Cette coordination se développe, avec l’augmentation des suivis à domicile de patients atteints de Covid-19, mais il faut que tous les soignants soient équipés de masques et de matériel de protection. Le manque d’équipements peut entraver les prises en charge. Dans les Hauts-de-France, où le plateau de l’épidémie semble atteint, les cabinets devraient reprendre en charge les urgences ressenties par la population, car c’est une demande prégnante. Avec le confinement, la communication gouvernementale s’est aussi modifiée. On ne parle plus d’alerte, mais d’information “coronavirus”, cela change tout.

S. C : L’Assurance maladie a octroyé énormément de moyens, comme la téléconsultation, pour garder le lien avec ses patients en ville. Même si cette prise en charge s’est développée, elle a ses limites. Cela ne remplace pas un examen clinique, les patients ont besoin du regard d’un professionnel à domicile pour une bonne transmission des symptômes. Des choses sont en train de se mettre en place. Pour le moment, l’Anfipa tente d’alerter le grand public et les collègues. Cela permet de mettre en commun des solutions et de partager des connaissances, des manières de faire, qui peuvent ensuite faire leur chemin.

le contexte

Début avril, les professionnels des urgences et de la médecine de ville ont alerté sur la diminution des consultations physiques, des demandes de rendez-vous ou des appels pour d’autres causes que l’infection au coronavirus. Le Collège de la médecine générale rappelle d’ailleurs, que « les soins ambulatoires, nécessaires, doivent être poursuivis aussi pour les patients sans suspicion de Covid-19. [Il y a un] risque de délaisser les soins de santé primaire, qui regroupent les soins de base et les soins chroniques. Il est connu et reconnu que ces soins sont ceux qui ont le plus d’impact sur la mortalité ». Dans le même temps, l’Assurance maladie a constaté une hausse exponentielle des téléconsultations dès la première semaine du confinement. Elles constituaient alors plus de 11 % de l’ensemble des consultations, au lieu de moins de 1 % avant la crise sanitaire.