La Polynésie épargnée, mais parée - L'Infirmière Libérale Magazine n° 369 du 01/05/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 369 du 01/05/2020

 

CORONAVIRUS

ACTUALITÉ

Delphine Barrais  

Le 7 avril, la Polynésie française enregistrait son 47e cas de Covid-19 et sa 3e hospitalisation. Le territoire ultramarin reste relativement préservé, même si les professionnels de santé se sont préparés au pire.

« NOUS AVONS ÉTÉ ÉPARGNÉS, AU MOINS JUSQUE-LÀ, reconnaît Jérôme Fernandez, président du Syndicat des infirmiers libéraux de Polynésie française (SILPF). Car même si le nombre de cas officiels ne correspond pas au nombre de cas réels, nous n’avons déploré que très peu de complications. » Depuis l’annonce officielle du premier cas, le 11 mars, le nombre de malades a certes augmenté, sans toutefois exploser. Le confinement général est intervenu le 20mars. Au 7 avril, la Direction de la santé annonçait 694 personnes dépistées (sur 275 000 habitants), 47 cas confirmés, 3 hospitalisations en cours et toujours aucun décès.

Une cellule de crise sanitaire, opérationnelle depuis le 23 mars, regroupe différents acteurs et représentants du territoire qui s’y relaient 24 heures sur 24. Parmi eux, Sean Casey, un expert de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la zone Pacifique, appelé au début de la crise pour mettre en place cette cellule. Il n’a pu rentrer chez lui, aux îles Fidji, en raison de la fermeture précoce des frontières de l’archipel. D’après lui, le Pacifique, qui a été la dernière zone touchée, « a bénéficié de l’expérience des autres pays du monde ».

Seuls au monde…

La Polynésie française a été protégée par son isolement, même si ce dernier présente aussi un inconvénient majeur : « Il n’y a pas d’aide possible, pas de ressources humaines ou de matériels supplémentaires, il nous faut faire front seuls. » Et faire avec un territoire si particulier. « Notre crainte est de voir apparaître des cas dans les îles, car la logistique pour effectuer des prélèvements ou transporter les patients sera très compliquée. Il n’y a plus aucun vol ! »

… mais tous mobilisés

La Polynésie française est un territoire autonome en matière de santé. Elle compte 118 îles réparties sur une surface grande comme l’Europe. Une “filière Covid” a été mise en alerte dans les structures publiques et privées (deux cliniques et cinq hôpitaux). La Direction de la santé, à l’initiative du ministre Jacques Raynal, a activé le niveau 1 du plan Blanc dans ses structures, et notamment à l’hôpital du Taaone, dès le 18 mars. Ce plan tient compte des particularités géographiques, mais aussi sociales et sanitaires de la Polynésie où, par exemple, le taux de diabétiques est estimé à 35 %. Les habitudes de vie communautaire et la précarité ne favorisent pas le confinement ou la distanciation sociale. Certaines familles vivent parfois à quinze dans 30 à 40 m2 où l’hygiène n’est pas optimale. Pour répondre à cette situation, « tout le personnel des établissements est impliqué, les congés ont été reportés, de même que les interventions non urgentes, l’accueil des patients et des familles a été repensé », souligne le ministre de la Santé. Une infirmière formée à la réanimation, mais qui avait quitté ce service, a été remobilisée, tout comme ses collègues avec le même parcours. Les 24 lits de réanimation sont désormais tous dédiés aux cas de Covid-19. « On pourrait monter jusqu’à 60 postes au besoin », précise-t-elle, affirmant se sentir confiante et en sécurité dans ce contexte. « Nous sommes prêts à affronter la tempête. » Des messages sont régulièrement envoyés par mail pour rappeler les mesures barrière, des formations sont assurées par l’équipe d’hygiène, la mobilisation générale est une réalité.

Le vent du boulet

Pour équiper les libéraux, l’Agence de régulation de l’action sanitaire et sociale (Arass) fournit des masques en quantité limitée, via les pharmacies. « Et c’est bien tout », regrette Jérôme Fernandez, obligé comme ses collègues - ils sont 150 conventionnés et une soixantaine de remplaçants sur tout le territoire - de se débrouiller seul face aux problématiques de la crise. « Nous avons organisé une réunion avec le ministre, la Direction de la santé et des représentants de l’Arass quinze jours avant le premier cas, pour connaître la stratégie, savoir comment nous protéger, comprendre ce qu’ils attendaient de nous, etc. Nous n’avons pas eu de suite. » Par ailleurs, lors de la mise en place du plan Blanc, les patients de l’hôpital ont été ramenés chez eux sous suivi médical. « Nous, les infirmiers libéraux, sans avoir été prévenus, nous avons dû faire face à cette surcharge de travail », rapporte le président du SILPF. Il estime que si le nombre de cas graves n’augmente pas à grande échelle, « alors nous aurons senti le boulet passer sans avoir été touchés ». Par cette première vague tout au moins. Le confinement, annoncé jusqu’à mi-avril, devrait être progressivement allégé, même si les mesures de déconfinement ne sont pas encore établies.

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