Drôles de DAM - L'Infirmière Libérale Magazine n° 364 du 01/12/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 364 du 01/12/2019

 

ASSURANCE MALADIE

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Adrien Renaud  

En théorie, les délégués de l’Assurance maladie (DAM) accompagnent les professionnels de santé dans leur travail quotidien. Mais dans la pratique, la qualité des relations qu’ils entretiennent avec les Idels varie d’un département à l’autre. Zoom sur un couple pas tout à fait comme les autres.

Dans quelques semaines, bien des choses vont changer dans la pratique des Idels. En cause : l’avenant numéro 6 à la convention qui les lie à l’Assurance maladie. Ce texte a été signé au printemps dernier, et une partie des mesures qu’il prévoit entrera en vigueur au 1er janvier 2020. Pour obtenir des informations sur le sujet, les professionnels peuvent se tourner vers les réseaux sociaux, vers leurs syndicats, vers des organismes de formation indépendants… ou vers les DAM, qui dans certains départements ont déjà commencé à sillonner le territoire afin de propager la bonne parole de la Sécu. Problème : sur le terrain, ces envoyés des caisses primaires d’Assurance maladie (CPAM) ne sont pas toujours perçus comme les interlocuteurs les plus fiables.

« Les premiers retours qu’on a montrent qu’il est difficile d’obtenir un discours cohérent de la part des DAM sur l’avenant », indique par exemple Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), l’une des trois organisations jugées représentatives de la profession par le ministère de la Santé. La militante cite notamment la question des forfaits. « C ertains DAM annoncent qu’il va y avoir des forfaits, mais sont dans l’incapacité d’expliquer comment seront calculés les algorithmes, constate-t-elle. Le problème, c’est que l’organisation reste variable : dans certains départements, les caisses s’entendent avec les syndicats pour construire le discours ensemble, et dans d’autres départements, cela ne se fait pas comme cela. »

Prise en charge ou non, là est la question

Catherine Kirnidis conseille donc aux Idels de ne pas se contenter de l’information sur la nouvelle convention apportée par les DAM, et de se tourner notamment vers leurs syndicats, dont les cadres sont selon elle mieux formés. Mais au-delà de l’avenant 6, la variabilité entre les discours véhiculés par les CPAM a le don d’irriter les Idels. « Notre cabinet est à cheval entre deux départements, et nous sommes bien placés pour voir que les exigences des caisses ne sont pas les mêmes », témoigne par exemple Ève-Marie Cabaret, Idel qui travaille à Ligny-le-Ribault, une commune du Loiret frontalière du Loir-et-Cher.

Et même au sein d’un même département, les consignes peuvent varier. « Un jour, une DAM nous a dit que les déplacements ne seraient plus pris en charge pour la vaccination antigrippale des personnes âgées, se souvient-elle. Quelque temps plus tard, elle revient, et nie nous avoir jamais dit cela. Nous avons écrit à son responsable qui nous a confirmé qu’il fallait les facturer. » Depuis, Ève-Marie Cabaret consigne les messages des DAM par écrit, et leur fait signer un compte rendu à la fin de chaque rendez-vous.

Geneviève Bridier, Idel aujourd’hui à la retraite mais qui continue à faire des remplacements dans son ancien cabinet de Villejuif, dans le Val-de-Marne, constate également que la convention est sujette à interprétation. « Certaines personnes font passer des choses qui ne passent pas du tout pour d’autres », regrette-t-elle. Elle a notamment constaté qu’en fonction de la manière dont l’ordonnance du médecin est rédigée, les DAM peuvent avoir des avis divergents sur la prise en charge de la pose de bas de contention ou sur celle de l’administration de collyres chez les personnes âgées.

La HAS pour boussole

Pourtant, si l’on se réfère à la fiche de poste des DAM telle qu’elle est présentée sur le site de l’Assurance maladie, ceux-ci ont tout pour offrir aux professionnels un discours harmonisé : leur accompagnement s’appuie sur les bonnes pratiques médicales issues des recommandations des autorités en santé : Haute Autorité de santé (HAS), Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), sociétés savantes… Benoît Grisole, DAM à la CPAM de la Marne, le confirme : « Nous suivons la HAS, c’est notre boussol e », indique-t-il.

Ce Rémois précise par ailleurs que l’harmonisation des pratiques est notamment assurée par des formations dispensées par la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam). Il indique également que les CPAM fournissent d’importants efforts pour assurer un message cohérent. « Nous nous appuyons beaucoup sur le service médical, témoigne-t-il. Par ailleurs, nous faisons des trainings entre nous : l’un prend le rôle de l’Idel, et l’autre le rôle du DAM. Nous avons également une foire aux questions qui permet d’intenses échanges entre DAM. »

Quelle formation ?

Reste que pour certaines Idels, la question de la formation des DAM demeure problématique. « Ils n’ont pas de formation médicale », regrette Geneviève Bridier. La fiche de poste de l’Assurance maladie précise en effet que ce métier est accessible « à partir du niveau Bac + 2 dans le domaine du commerce et des sciences humaines, avec une expérience confirmée soit en entreprise (visiteur médical, conseiller commercial en assurances), soit dans le cadre de l’Assurance maladie ». Une formation certifiante est par ailleurs nécessaire avant la prise de fonction. Benoît Grisole l’a suivie pendant un an, après un master dans une école de commerce (ESC Clermont).

Or Geneviève Bridier estime qu’une formation médicale est nécessaire au regard de la complexité de certaines des prises en charge sur lesquelles les DAM sont amenés à prodiguer leurs conseils. Ève-Marie Cabaret confirme. « Je me demande parfois si les DAM sont véritablement en capacité de répondre aux questions des Idels, qui sont des questions extrêmement précises, auxquelles je suis, par exemple, incapable de répondre », s’interroge-t-elle. Mais Benoît Grisole n’est pas de cet avis. Pour lui, les DAM n’ont bien sûr pas vocation à se substituer aux professionnels de santé, et ce bien que les formations qu’ils reçoivent soient « de plus en plus médicalisées ». Il assure par ailleurs qu’ils doivent faire remonter au service médical toute question qui dépasserait leur compétence.

Partenaire médical ou contrôleur économique ?

Mais pour certaines Idels, la question dépasse celle de la formation. « Normalement, les DAM sont là pour expliquer les règles, et les infirmiers sont bien conscients de la nécessité de faire la juste prescription, explique Catherine Kirnidis, du Sniil. Mais la façon dont certains présentent les choses est parfois très mal vécue par les Idels, qui ont l’impression qu’il s’agit de faire des économies à tout prix. » Pour Ève-Marie Cabaret, il s’agit d’une évolution relativement récente. « Depuis cinq ans, la différence est très nette, estime-t-elle. Avant, le DAM arrivait avec sa liste de messages à faire passer, alors que maintenant, on a vraiment l’impression que leur objectif est de cibler les infirmières. »

La nécessité de favoriser les économies est d’ailleurs inscrite noir sur blanc dans la fiche de poste des DAM. Ceux-ci, stipule ce document, contribuent « à la mise en œuvre des programmes de maîtrise médicalisée construits dans le but de limiter l’évolution des dépenses de santé ». L’objectif est de « soigner mieux en dépensant mieux », peut-on lire un peu plus loin. Mais Benoît Grisole préfère présenter les choses autrement. « Ce n’est pas la façon dont je le perçois », indique-t-il quand on lui demande si son rôle est de générer des économies pour l’Assurance maladie. « Certes, nous parlons de maîtrise médicalisée, mais nous avons avant tout un rôle d’explication, d’accompagnement. » D’ailleurs, Benoît Grisole a une façon bien à lui de présenter son métier. « Je suis un peu le commercial de l’Assurance maladie, je vends de la bonne pratique », sourit-il. Tout est dans la sémantique.

FAIRE DU DAM UN ALLIÉ

Idel à Saint-Christol-lès-Alès dans le Gard, Dominique Jakovenko a une vision plutôt positive des DAM avec lesquels il a pu échanger. « Ils nous donnent des informations, vous pouvez ne pas être d’accord, mais cela vous permet tout de même de savoir quel est le ressenti de la Caisse », estime-t-il. Et en certaines occasions, les échanges avec le DAM peuvent selon lui être l’occasion de prendre recul sur son activité. « Lors d’une récente réunion, nous avons pu faire un bilan d’activité, ils nous ont sorti pour chaque professionnel la part d’AMI et la part d’AIS, par exemple, avec des chiffres à jour que nous n’avions pas encore », se souvient-il.

Mais surtout, Dominique Jakovenko a pu constater qu’il pouvait dans certaines situations utiliser les DAM de son département pour mener à bien ses propres projets. Il participe en effet à une expérimentation sur le diagnostic de fragilité chez les personnes âgées dans le cadre d’un protocole de coopération avec les médecins, et a donc besoin que ces derniers soient sensibilisés au programme. « Je suis donc allé voir le directeur de la CPAM, et je lui ai demandé de faire en sorte que les DAM puissent parler du protocole aux généralistes dans les zones où je savais qu’un Idel était intéressé, raconte-t-il. Nous avons eu une très bonne coopération. »