« Aujourd’hui, nous essuyons les plâtres » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 364 du 01/12/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 364 du 01/12/2019

 

POINT (S) DE VUE

INTERVIEW

Véronique Hunsinger  

Alors que les négociations sur la rémunération de la pratique avancée viennent de s'achever, le modèle proposé ne semble pas convenir aux toutes premières diplômées, qui se sont plutôt tournées vers le dispositif Asalée. Les explications de Pierrette Meury, vice-présidente de l’Union nationale des infirmières en pratique avancée (Unipa).

Quelle est votre réaction à l’avenant n° 7 à la convention des Idels qui prévoit les modalités de rémunération de la pratique avancée ?

Pierrette Meury : Le problème de ce qui a été négocié entre les syndicats d’infirmières libérales et l’Assurance maladie est que l’insuffisance de la rémunération pour l’activité d’IPA va imposer aux Idels qui ont envie de se lancer dans ce nouveau type d’exercice de maintenir une activité d’Idel classique en parallèle. Nous pensons que le schéma de rémunération ne permettra pas de travailler correctement. C’est un modèle qui a été pensé en voyant l’IPA comme une substitution du médecin généraliste. Or son rôle n’est pas la substitution mais la complémentarité avec lui.

Nous avons fait un sondage auprès des membres de l’Unipa. Les trois quarts affirment que le modèle économique prévu entraînera un changement dans leur choix d’exercice et 56 % des infirmières libérales en formation en pratique avancée envisagent de ne pas exercer en soins primaires. Les personnes interrogées estiment que le revenu minimum en soins primaires doit être de 3?900 euros nets par mois en libéral.

Un double exercice d’IPA et d’Idel classique vous semble-t-il possible ?

P. M. : Si c’est possible sur un territoire, pourquoi pas ? Aujourd’hui, personne ne l’a encore fait, donc il va falloir passer par une phase d’exploration. Mais notre crainte est quand même qu’il puisse y avoir des difficultés entre collègues d’un cabinet entre celles qui seraient IPA et les autres ou avec les autres cabinets d’un territoire. Le risque est qu’on aboutisse à une situation où très peu d’Idels vont se consacrer entièrement à la pratique avancée en raison de l’amputation de revenus que cela constituerait. Peut-être qu’un certain nombre d’Idels vont commencer à s’intéresser de plus en plus à la pratique avancée, se former et mettre cette nouvelle compétence au service de leurs patients. Mais cela ne correspondra pas tout à fait au modèle qui était attendu de la pratique avancée.

Vous exercez vous-même déjà en tant qu’IPA. Quel est votre statut ?

P. M. : Nous sommes aujourd’hui quatre IPA Asalée et 30 infirmières Asalée sont actuellement en formation de pratique avancée. Asalée est une association qui existe au niveau national et qui a été créée dans les Deux-Sèvres, il y a une douzaine d’années, par des médecins généralistes qui voulaient travailler avec des infirmières, d’abord sur le sujet de l’éducation thérapeutique du patient (ETP), puis dans le cadre de protocoles de délégation. Asalée reçoit un budget de l’Assurance maladie, qui a été revalorisé cette année pour intégrer des nouveaux postes Asalée et des IPA. En effet, l’association a accepté de nous suivre dans notre projet professionnel sur la pratique avancée. Nous pouvons être payés à la prestation de service sous statut libéral ou à l’heure sous statut salarié.

Pourquoi, de votre côté, avez-vous fait le choix de travailler avec Asalée ?

P. M. : Au départ, il n’y avait pas d’autre solution. Par ailleurs, le cadre Asalée me convient bien. De toute façon, aujourd’hui nous essuyons les plâtres. Pour ma part, je n’ai toujours pas de numéro de prescripteur, c’est toujours le médecin généraliste qui est obligé de rédiger mes prescriptions. Pour autant, il n’est pas souhaitable que toutes les Idels qui veulent exercer en pratique avancée soient obligées d’intégrer Asalée pour pouvoir travailler, d’autant que les généralistes avec qui elles exercent devraient le faire aussi.

Où exercez-vous ?

P. M. : Je suis installée à la Guadeloupe et j’interviens dans deux cabinets différents ainsi que et dans une maison de santé pluridisciplinaire dans des endroits différents de l’île de Basse-Terre. Il faut être conscient que pour développer son activité d’IPA sur les premières années, il faut trouver des médecins qui nous fassent confiance et surtout qui ont le besoin de travailler avec nous. On ne va pas forcément les trouver près de chez soi tout de suite.

Que faites-vous par exemple dans la MSP ?

P. M. : Nous avons notamment instauré un protocole global sur la réponse aux problématiques de troubles du sommeil. Tous les acteurs de la MSP mettent en place des outils de repérage de ces troubles et orientent, le cas échéant, les patients vers moi. À ce moment, je réalise des explorations à l’aide de plusieurs échelles d’évaluation pour les adresser ensuite vers un des médecins de la MSP, qui s’est notamment spécialisé sur la prise en charge de l’apnée du sommeil.

Quelle est la clé de la réussite ?

P. M. : Il est impératif d’être en relation étroite avec le médecin généraliste. On ne pourra faire du bon travail qu’en ayant une confiance mutuelle dans l’exercice commun. Cela demande aussi du temps d’échange et du temps pour se connaître. La pratique avancée implique une approche clinique beaucoup plus importante que la pratique de soins classique mais cela ne veut pas dire qu’on décide seul.

le contexte

L’Unipa a consulté en octobre ses 289 adhérents suite à la proposition de rémunération de la Cnam : 95 % s’opposent à sa signature en l’état. « Ils le qualifient d’insuffisant, d’inadapté et de décevant pour notre profession, malgré l’ajout du forfait d’inclusion que nous avons défendu », explique l’Unipa dans un communiqué. L’organisation plaide pour la création d’un forfait pour les patients nécessitant un suivi renforcé, optionnel, modulable, trimestriel, d’un montant de 32,70 € par patient et facturable jusqu’à quatre fois par an si la situation le justifie. « La finalité est de permettre le suivi renforcé, lorsque l’état de santé et les recommandations professionnelles le préconisent, avec plusieurs objectifs : éviter les ruptures de parcours, les hospitalisations, les complications et diminuer les comorbidités, gérer les événements intercurrents ou les facteurs de risques aggravés dans les situations complexes, accompagner la dépendance, la fin de vie, le changement dans l’état de santé », estime l’Unipa. « Le modèle proposé par l’Assurance maladie va effectivement être compliqué à mettre en œuvre car il comprend plein de majorations et de conditions » analyse également Florence Ambrosino, infirmière auteure de l’ouvrage Le guide de l’infimier en pratique avancée (Vuibert) qui n’est pas étonnée que les premières IPA diplômées utilisent le cadre Asalée. Pour autant, « l’IPA exerce sous sa propre responsabilité alors qu’une infirmière Asalée travaille dans le cadre d’un protocole de coopération c’est-à-dire sous délégation médicale, rappelle-t-elle. L’autre point est que dans les missions des IPA figure également l’approche populationnelle. En ce sens, elles auront pleinement leur place dans les communautés professionnelles de territoire (CPTS) par exemple pour organiser les parcours des soins des personnes âgées ou des patients diabétiques ». Encore faut-il qu’un modèle économique émerge également rapidement pour ces autres missions.