Soutenir l’observance du traitement antidépresseur - L'Infirmière Libérale Magazine n° 359 du 01/06/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 359 du 01/06/2019

 

CAHIER DE FORMATION

Savoir faire

Prise de poids et troubles sexuels font partie des effets indésirables qui entraînent le plus d’interruptions du traitement par antidépresseurs. Par ses explications et ses conseils, l’infirmière peut favoriser l’observance du traitement. Et quand la dépression s’installe dans le temps, elle a aussi des conséquences sur les proches. Là encore, l’infirmière peut aider à traverser les périodes difficiles.

La prescription de médicaments antidépresseurs est recommandée pour les épisodes dépressifs caractérisés (EDC) d’intensité modérée à sévère (voir partie « Savoir »). Il existe plus de vingt substances réparties en cinq classes (voir tableau) :

→ les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) ;

→ les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) ;

→ les « autres antidépresseurs » avec des mécanismes pharmacologiques différents ;

→ les imipraminiques, tricycliques ou non ;

→ les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO), sélectifs ou non de la MAO-A.

CRITÈRES DE CHOIX DE L’ANTIDÉPRESSEUR

→ Il n’existe pas de différence d’efficacité clinique démontrée entre les différents types d’antidépresseurs.

→ En raison de leur meilleure tolérance, sont recommandés en première intention : les ISRS, IRSN et les médicaments classés « autres antidépresseurs » (voir page suivante), à l’exception de la tianeptine (Stablon) et de l’agomélatine (Valdoxan).

→ Les imipraminiques (tricycliques) ne sont recommandés qu’en deuxième intention en raison de leur risque de toxicité cardiovasculaire.

→ La tianeptine (Stablon) et l’agomélatine (Valdoxan) en troisième intention, en raison du risque d’abus et de dépendance de la tianeptine et de la toxicité hépatique de l’agomélatine.

→ Les IMAO ne sont recommandés qu’en dernier recours, du fait des leurs nombreux effets indésirables et interactions médicamenteuses.

EFFETS INDÉSIRABLES LES PLUS FRÉQUENTS (1)

Les éventuels effets indésirables apparaissent généralement avant les effets bénéfiques attendus. Ils doivent être anticipés et précisés au patient pour améliorer l’observance du traitement. Le risque suicidaire doit être signalé en incitant le patient à consulter rapidement en cas de modification de l’humeur.

ISRS et IRSN

→ Nausées, vomissements et parfois constipation sont le plus souvent transitoires.

→ Baisses de la libido et troubles sexuels : un des effets indésirables les plus fréquents (à dépister).

→ Insomnie, céphalées, hypersudation (moins fréquents que les précédents).

→ Allongement du QT, en particulier avec le citalopram (Seropram) et l’escitalopram (Seroplex).

→ Les IRSN peuvent aussi provoquer une augmentation de la pression artérielle, une tachycardie et des troubles du rythme, liés à leur activité noradrénergique. Mesurer la pression artérielle avant et pendant le traitement.

→ Risque d’atteinte hépatique avec la duloxétine (Cymbalta), surtout pendant les premiers mois de traitement.

« Autres antidépresseurs »

→ Miansérine (Athymil) et mirtazapine (Norset) : somnolences, prises de poids, arthralgies, myalgies, convulsions.

→ Tianeptine (Stablon) : troubles digestifs, hypotension orthostatique, effets anticholinergiques (sécheresse buccale, constipation, dysurie, troubles de l’accommodation, confusion et troubles mnésiques, surtout chez le sujet âgé).

→ Agomélatine (Valdoxan) : hépatites et pancréatites, troubles neuropsychiques (irritabilité, cauchemars, convulsions, vertiges…), rhabdomyolyses, crampes, myalgies. Un bilan hépatique est recommandé avant le traitement, puis un contrôle systématique, et un arrêt du traitement si surviennent des symptômes ou des signes évocateurs d’une atteinte hépatique (ictère, jaunissement de la peau et des yeux, ascite, tendance aux ecchymoses et aux saignements, asthénie, faiblesse, nausées et perte d’appétit).

→ Vortioxétine (Brintellix) : nausées, diarrhée, constipation, vomissements, sensations vertigineuses, prurit.

Imipraminiques

Effets anticholinergiques (sécheresse de la bouche, constipation, trouble de la miction), hypotension orthostatique, trouble de la libido, somnolence ou sédation, bouffées de chaleur, sueurs, insomnie et tension nerveuse (avec l’imipramine).

IMAO

Hypotension orthostatique, crises hypertensives, syndrome sérotoninergique, atteintes hépatiques. Interactions médicamenteuses et restrictions diététiques contraignantes pour le patient.

PRESCRIPTION

Le traitement est débuté à une posologie dite « d’instauration », augmentée progressivement par paliers jusqu’à l’obtention d’une efficacité qui détermine la posologie d’entretien (voir l’encadré ci-dessus). Les antidépresseurs rééquilibrent le fonctionnement de certains neurotransmetteurs impliqués dans les symptômes de la dépression. Le délai d’action de l’antidépresseur est de plusieurs semaines et son efficacité est évaluée après au moins 2 semaines de traitement à dose efficace. Ces données doivent être expliquées au patient. Le traitement antidépresseur pour un EDC est maintenu entre 6 mois et 1 an après la rémission afin de prévenir les rechutes.

→ En cas d’anxiété, d’agitation ou d’insomnie invalidantes, un traitement anxiolytique concomitant peut être prescrit en début de traitement antidépresseur pour une durée de 2 semaines (benzodiazépine ou apparenté).

→ En cas de non-réponse ou d’efficacité insuffisante d’un premier traitement antidépresseur, différentes stratégies thérapeutiques sont envisageables :

- changement de médicament antidépresseur ;

- combinaison de deux médicaments antidépresseurs ;

- potentialisation du traitement antidépresseur par des interventions non médicamenteuses et/ou l’association d’autres médicaments (sels de lithium, hormones thyroïdiennes, antipsychotiques de seconde génération) (2).

SURVEILLANCE

Des consultations régulières sont plus particulièrement recommandées en début de traitement par un antidépresseur, notamment au bout de la première semaine de traitement, puis de la deuxième, afin de surveiller :

→ un comportement suicidaire ;

→ une agitation ou un autre facteur majorant le risque suicidaire (conflit interpersonnel, alcool, etc.) ;

→ des effets indésirables somatiques.

ARRÊT DU TRAITEMENT

« L’arrêt du traitement antidépresseur est prévu par des protocoles. Il est envisagé après 6 à 12 mois de traitement pour un premier épisode dépressif et après 2 ans pour un deuxième épisode. Un troisième épisode justifiant un traitement au long cours pour éviter de nouvelles récidives », précise le Dr Olivier Doumy, psychiatre au centre de référence régional des pathologies anxieuses et de la dépression (Cerpad) du centre hospitalier Charles Perrens, à Bordeaux.

L’arrêt du traitement antidépresseur :

→ ne doit pas se faire sans accompagnement médical ;

→ doit être progressif sur plusieurs semaines ou mois, pour éviter un syndrome de sevrage et prévenir le risque de rechute ;

→ est de préférence envisagé dans une période de stabilité affective et sociale pour le patient. Ce qui permet de mieux repérer une éventuelle rechute indépendamment d’autres facteurs perturbateurs.

En cas de symptômes de sevrage, un retour temporaire à la posologie précédente peut être nécessaire avant de reprendre un arrêt plus progressif.

CONSEILS AUX PATIENTS

Les effets indésirables des antidépresseurs sont différents et n’ont pas la même intensité d’un médicament à l’autre et d’une personne à l’autre. La plupart de ces effets ne sont pas graves, et beaucoup d’entre eux régressent dès les premières semaines du traitement. La variété des antidépresseurs disponibles permet au médecin de changer de molécule en cas d’inefficacité d’un traitement mais aussi en fonction de leur tolérance par le patient. Quelques conseils permettent de mieux gérer les effets indésirables les plus fréquents. Si les symptômes persistent, inviter le patient à demander l’avis de son médecin ou de son pharmacien.

En cas de sécheresse buccale

→ Boire souvent un peu d’eau.

→ Prendre des gommes ou des bonbons sans sucre pour stimuler la salivation.

→ Sucer de la glace.

→ Vaporiser un spray de salive artificielle.

→ Maintenir une bonne hygiène dentaire.

→ Éviter le café et l’alcool.

→ Éviter ou cesser de fumer.

En cas de somnolence

→ Signaler ce symptôme au médecin qui peut proposer d’autres horaires de prise dans la journée.

→ Éviter ou faire preuve de prudence lors d’activités qui nécessitent de la vigilance.

→ Éviter la conduite automobile.

En cas d’insomnie

→ Éviter les siestes pendant la journée.

→ Adopter une routine pour l’heure du coucher et du lever.

→ Pratiquer si possible une activité physique adaptée aux capacités de chacun (marche…). Éviter cette activité après 19 h, cela pourrait retarder l’endormissement.

→ Dormir dans un endroit calme à une température pas trop élevée, environ 20 °C.

→ Éviter la prise d’excitants le soir (café, thé, vitamine C, cola), ainsi que l’alcool et les repas trop copieux.

→ Favoriser des activités relaxantes comme la lecture, les tisanes et un bain tiède au moins 2 heures avant le coucher.

En cas de nausées et vomissements

→ Prendre de préférence le médicament au milieu d’un repas.

→ Privilégier des repas moins copieux en mangeant plus fréquemment dans la journée.

→ Éviter les aliments gras, sucrés et épicés, et l’alcool.

→ Bien s’hydrater en buvant un peu plus d’eau si besoin.

→ Demander conseil à votre pharmacien, il existe des anti-nauséeux naturels ou homéopathiques.

En cas de constipation

→ Pratiquer si possible une activité physique adaptée aux capacités (marche…).

→ Consommer des fibres (fruits crus, légumes verts).

→ Bien s’hydrater en buvant un peu plus d’eau si besoin.

→ Aller à la selle à heure régulière sans retarder cette étape.

→ Utiliser un laxatif doux sur les conseils de votre pharmacien.

→ Contacter votre médecin ou votre pharmacien en cas de douleurs abdominales.

Prise de poids

→ Ne pas arrêter le traitement antidépresseur.

→ Pratiquer si possible une activité physique adaptée aux capacités (marche…).

→ Manger des crudités avant le repas pour diminuer le volume du repas.

→ Éviter les aliments gras et sucrés.

→ Prendre conseil auprès d’un(e) nutritionniste.

En cas de troubles sexuels ou de diminution du désir

Ne pas arrêter le traitement antidépresseur mais signaler cet effet au médecin, car des solutions existent pour améliorer cet effet indésirable.

(1) HAS, « Épisode dépressif caractérisé de l’adulte : prise en charge en soins de premier recours », octobre 2017 (consulter le lien bit.ly/2yGGtib).

(2) « Référentiel de Psychiatrie et Addictologie », 2e ed., collection L’Officiel ECN, Presses universitaires François-Rabelais, 2017.

Cas pratique

M. S., 55 ans, vous dit qu’il n’a pas pris son antidépresseur ce matin. Il compte arrêter le traitement qu’il prend depuis plus de 2 mois, car il se sent beaucoup mieux et qu’il n’a plus de raison d’en supporter les effets secondaires, particulièrement la prise de poids et les troubles sexuels.

Vous mettez tout de suite en garde M. S. contre les effets du sevrage, qui ont de fortes chances de survenir en cas d’arrêt brutal du traitement. Vous soulignez le fait que, s’il se sent mieux, c’est précisément parce qu’il prend régulièrement son traitement. Que la durée de traitement pour un premier épisode dépressif est de 6 mois. Et qu’il existe des moyens pour améliorer les effets indésirables de l’antidépresseur. Vous conseillez à M. S. de prendre son antidépresseur et de parler de son souhait d’arrêter son traitement avec son médecin.

L’avis du spécialiste

« La bonne posologie à la bonne personne »

Dr Olivier Doumy, psychiatre au centre de référence régional des pathologies anxieuses et de la dépression (Cerpad) du centre hospitalier Charles Perrens, à Bordeaux.

« Les antidépresseurs ont été décriés dans la presse pour leur manque d’efficacité, mais restent d’actualité. Ils ont un intérêt démontré dans les dépressions modérées à sévères. Ils doivent être prescrits à la bonne personne et à la bonne posologie. Un problème vient de leur prescription pour traiter des personnes qui ont des symptômes dépressifs mais pas forcément une dépression caractérisée. Dans ce cas, ils n’apportent rien. L’autre problème vient des posologies prescrites, parfois insuffisantes. La dose efficace est atteinte lorsque le patient retrouve son fonctionnement antérieur à l’épisode dépressif. Pour atteindre cette efficacité, il ne faut pas hésiter à augmenter progressivement les doses jusqu’à la posologie maximum recommandée par l’autorisation de mise sur le marché. »

Association

Réseau soins psy

Jennifer Verbeke, Idel, créatrice de l’association Réseau Soins Psy Paris*.

Pouvez-vous nous présenter votre association ?

Après mon diplôme d’infirmière généraliste, 11 ans d’expérience en psychiatrie et un DIU Psychiatrie de liaison et soins somatiques en santé mentale, j’ai créé Réseau Soins Psy. Cette structure, composée de psychologues, psychothérapeutes et infirmiers libéraux formés à l’accompagnement et au soutien, propose à la fois une évaluation rapide d’une situation de crise via un numéro gratuit et une orientation des patients et/ou de leurs proches vers des soins adaptés à leurs besoins et ressources.

En quoi consiste la prise en charge d’un patient souffrant de dépression ?

Cela va dépendre de la position du patient vis-à-vis de son état dépressif. Si le patient n’a pas encore une conscience claire de son trouble, nous allons l’accompagner dans un premier temps vers la reconnaissance et l’acceptation de son trouble. Ce qui fut le cas récemment pour une patiente qui nous avait été adressée pour des injections de Spasfon par des collègues qui soupçonnaient une problématique sous-jacente. Après quelques échanges lors de nos visites, les douleurs abdominales récurrentes se sont avérées être en lien avec des symptômes anxio-dépressifs. La patiente n’avait pas de suivi psychiatrique et nous l’avons progressivement orientée vers un centre médico-psychologique. Lorsque le patient a déjà conscience de son état dépressif, notre rôle va être de l’accompagner dans l’amélioration de sa situation par des séances de soutien et des conseils.

Comment êtes-vous rémunérés pour le temps passé à l’accompagnement thérapeutique des patients ?

Pour le repérage d’un trouble psychiatrique à l’occasion d’un soin de type pansement ou autre, nous ne cotons que le soin somatique. Lorsque nous mettons en place un suivi spécifique, nous cotons deux AIS3 pour une séance d’une heure. Le tarif pour la séance est de 45 € avec un dépassement d’honoraire à la charge du patient, par exemple de 26,60 € si les deux AIS3 + le déplacement reviennent à 18,40 €. Le but étant de faire le moins de séances possible et d’orienter le patient le plus rapidement vers la solution la mieux adaptée à son cas.

* Prise en charge à domicile ou au cabinet pour les 11e, 12e et 20e arrondissements de Paris et petite couronne. Ligne d’écoute gratuite pour la France entière : 01 48 04 89 40. Mail : reseausoinspsy75@gmail.com - Site Internet : www.reseausoinspsy.fr